Pour l’un et l’autre, Bach est un compositeur exceptionnel
Musique Baroque en Avignon et l’Opéra Grand Avignon reçoivent deux immenses artistes, le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste David Fray. Renaud Capuçon est très médiatisé, présent sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, jouant dans les lieux publics, ayant donné des mini-concerts gratuits sur Facebook chaque jour du confinement. David Fray, de 5 ans son cadet, est sans doute moins connu du grand public, mais bénéficie du même rayonnement international. Et l’un et l’autre ont même attachement à leurs origines (respectivement Chambéry et Tarbes), même talent, même enthousiasme communicatif… et même rapport privilégié avec certains compositeurs. Nous nous sommes entretenue avec Renaud Capuçon et David Fray séparément. Puis nous avons reconstitué ici un entretien croisé, raccourci, avec un violon lumineux et un piano aérien.
-Que trouvez-vous de particulier chez Jean-Sébastien Bach, aujourd’hui, que vous ne trouvez chez aucun autre compositeur ?
-(R.C.) C’est le seul compositeur qui m’apaise, qui panse les plaies, et qui rayonne aussi ; qui apaise, quel que soit l’état d’esprit dans lequel on est.
-(D.F.) Une forme d’équilibre souverain, une architecture parfaite au service d’une grande expressivité, et une puissance d’émotion que la musique romantique serait bien en peine d’égaler, parce que Bach a exploré tous les sentiments humains, de façon très profonde et exhaustive.
-Votre concert avignonnais affiche aussi Schumann et Schubert ; pourquoi ce choix ?
-(R.C.) Ce sont deux compositeurs romantiques. A chaque sonate de Bach, nous voulions associer une autre sonate qui lui fasse écho. Schubert a la même pureté que Bach, et l’on sait par ailleurs combien Schumann admirait Bach.
-(D.F.) Schumann a montré bien des fois combien il révérait Bach. Schubert, lui, peut paraître plus insolite ; mais il constitue une sorte de respiration dans le programme. C’est un voyage dans le répertoire germanique, dont nous avons ensemble, Renaud et moi, une longue fréquentation.
-Avez-vous un rituel d’avant-concert ?
-(R.C.) Une sieste impérative. Puis un thé : c’est alors une nouvelle journée qui commence. La sieste me permet de recharger les batteries, et d’être en pleine capacité, en pleine forme physique et nerveuse.
-(D.F.) Une répétition dans le lieu du concert, pour vérifier l’acoustique, et pour moi, prendre contact avec le piano, éventuellement demander des réglages. Et dormir l’après-midi : je m’impose cette discipline quand je joue. Plus jeune, j’avais l’obsession de travailler jusqu’au bout ; puis je me suis rendu compte que cela enlevait de l’énergie et même de l’inspiration. Dormir permet de recharger ses batteries et son imagination, et d’aborder le concert avec une certaine fraîcheur. Sinon, c’est du tiède et du réchauffé, et ce n’est pas le but d’un concert.
-Vous jouez souvent avec David Fray/ Renaud Capuçon. Quelle qualité vous séduit le plus chez lui ? Quel défaut vous agace le plus ?
-(R.C.) (rire) On aime jouer ensemble, donc toute qualité a son revers. David a une vraie intransigeance musicale, cherchant la précision absolue. Il est convaincu et convaincant, mais peut aller jusqu’à l’obstination. Mais on en rit ensemble, en franche camaraderie. C’est vraiment pour essayer de lui trouver un défaut !
-(D.F.) (Eclat de rire) Parmi ses nombreuses qualités, l’écoute, développée par la musique de chambre. C’est aussi la qualité du son, un son très pur, avec un certain classicisme, et un équilibre. Quant à ses défauts (rire)…, je cherche, mais j’ai du mal à en trouver… Nous avons une collaboration équilibrée, mais il est vrai que Renaud est très curieux, il joue avec beaucoup de musiciens, et je regrette qu’on ne joue pas suffisamment ensemble. Ce n’est pas un défaut, c’est simplement un regret.
– Comment avez-vous vécu la récente période de pandémie, sur le plan professionnel ?
-(R.C.) Par la sidération, comme tout le monde, la peur, puis l’action. Tout est fragile, il faut protéger les artistes. On le voit encore aujourd’hui : la reprise est tellement fragile, et dans certains pays les salles de concerts sont à nouveau fermées. Il faut tirer les leçons : les salles de spectacles ne sont pas des lieux de contamination, de nombreuses études l’ont montré.
-(D.F.) Mal, très mal. Comme une sorte de violence, d’injustice, dans les décisions qui ont impacté essentiellement le milieu de la culture, sans que les études scientifiques en montrent une quelconque rationalité. Vers quelle société allons-nous si la première valeur à sacrifier est la culture ? Et je me suis inquiété – plus pour des collègues que pour moi-même – du sort des musiciens indépendants, qui ont une carrière internationale, et qui ont été les grands oubliés, au contraire des intermittents.
-Et sur le plan personnel ?
-(D.F.) J’ai été totalement anéanti. Certes, j’ai pu passer du temps avec ma femme et ma fille, mais je me suis rendu compte que chez moi le travail est lié à la perspective joyeuse du partage. J’ai vu s’écrouler des valeurs que je croyais intouchables : la solidarité, l’échange.
-(R.C.) Par mon tempérament, je suis quelqu’un de positif, qui avance, qui a du ressort. On est à la merci des événements mais il ne sert à rien de se lamenter. »
Propos recueillis par G.ad., décembre 2021. Photos Paolo Roverso Erato. Jean-François Leclercq Virgin classics
Voir aussi la version intégrale de chacun des entretiens (liens en haut de page).
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