2024, William Mesguich revient en terre avignonnaise. Après Le souper, où s’affrontaient magistralement père et fils (Talleyrand et Fouché) pour le compte des ATP (Amis du Théâtre Populaire) le 19 mars, William revient le 18 avril au théâtre du Balcon, avec la double casquette de comédien et de metteur en scène dans Les Forêts de Sibérie. Rencontre avec ce marathonien de la scène.
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-William Mesguich, ce printemps vous deviez créer Mars de Sylvain Tesson. Vous avez changé d’avis ?
–Nous nous connaissons depuis longtemps, Sylvain Tesson et moi, et j’ai interprété plusieurs de ses textes, nos pères se connaissaient déjà. Mais divers problèmes notamment techniques m’ont empêché de créer cette année Mars. C’est souvent difficile de faire des adaptations, tant il y a d’exigences, et beaucoup de metteurs en scène ne veulent plus en faire. D’ailleurs à l’occasion de mon mémoire de maîtrise sur Samuel Beckett, j’ai eu l’occasion de réfléchir sur les problèmes d’interprétation.
-Vous revenez donc avec Dans les forêts de Sibérie, du même auteur, qui a été un immense succès, en saison au théâtre du Balcon et au festival.
–On y retrouve le même Sylvain Tesson, cet aventurier atypique, qui part au bout du monde, sans contact, sans téléphone portable.
– Que représente cette pièce dans votre carrière ?
–Il y a quatre ans, j’étais submergé par la violence, depuis Hamlet sous la direction de mon père. Depuis aussi Le dernier jour d’un condamné, depuis Les Mémoires d’un fou de Flaubert, depuis Artaud-Passion, et même Pascal-Descartes(de Jean-Claude Brisville, comme Le Souper, NDLR), avec cette intransigeance d’absolu; et avec Richard III, et même avec ce personnage de Fouché… tout cela, c’était pour moi un rictus et du fiel envoyés à la face du monde. J’avais l’impression que même mon visage conservait cette contraction…
-Et les forêts de Sibérie, sont-elles moins rudes ?
–Après dix ans de rôles très durs, la pièce des Forêts de Sibérie raconte un monde plus léger, plus apaisé, le ravissement du monde, la contemplation. Je me suis posé la question : pourquoi ne pas m’aventurer dans ces territoires nouveaux ? Depuis plus de 25 ans en effet, j’ai connu plusieurs étapes. Comme Molière, j’ai d’abord vécu la vie de troupe itinérante ; avec ma compagnie, à pied, je portais le théâtre dans les villes et les villages ; une vie d’aventurier en quelque sorte ; je jouais Molière, le Prince de Hombourg, le jeune premier, l’élégance, le romantisme. L’occasion d’aller ailleurs, je la trouvais alors en moi-même, c’est en moi que je portais ces immensités, mais sans en éprouver le manque ou l’envie. Puis j’ai créé ces Forêts, au théâtre de la Huchette, un très petit théâtre parisien. J’ai réussi à faire tenir l’immensité de la Sibérie sur cette petite scène. Sylvain Tesson est d’ailleurs venu m’y voir une fois.
-Comment le metteur en scène que vous êtes a-t-il réussi à faire tenir l’immensité dans l’exiguïté ?
–Par le son, les lumières, les regards, pour faire rêver… Et cette heure et demie a été un pas dans ma vie ; non pas une parenthèse, mais six mois où je n’ai joué absolument que les Forêts.
-La raison d’être du théâtre, c’est pourtant le partage. Comment concilier cette exigence avec cette solitude assumée ?
–Le seul-en-scène est toujours une gageure. Certes, j’avais joué les Mémoires d’un fou, le Dernier jour d’un condamné ; mais la Sibérie, elle, me mettait face à moi-même.
-Comment se préparer à un tel face à face ?
–Quand on se prépare, seul, dans sa loge, on convoque aussi tous ses fantômes. Certes on a toujours une équipe autour de soi. Mais ce sont des parcelles de moi qui se cristallisent pour aller à ce moment dans une autre direction. C’est une forme de tendresse que j’ai trouvée, après des années à avoir forcé mon jeu, et avoir vécu dans cette violence.
-Ces Forêts ont donc marqué un tournant, sur scène et dans la vie ?
–J’en avais marre de jouer les durs. J’avais besoin de m’éloigner vers la candeur, la naïveté, besoin de dire un monde de douceur. C’était une autre part de moi. Ç’a été un électrochoc, un bain, une respiration. J’ai pu voir le monde autrement. Je vis à Paris, et j’en ai eu assez du béton, assez d’être trop confortable, mais aussi de vivre survolté. Je ne suis pas un aventurier. J’ai nourri mon imaginaire à l’école de la réflexion, par le mental, la culture, par héritage familial. Je n’éprouvais pas la nécessité de découvrir d’autres mondes, je les trouvais dans mon imaginaire. Et je n’en avais pas le courage. Et puis Tesson a fait son premier tour du monde ; moi j’étais sédentarisé ; c’était entre 1999 et 2002 ; j’avais déjà mes deux filles, et l’héritage de mon père. Mais j’ai senti qu’avec Sylvain, d’une certaine façon, nous étions frères d’aventure. Je ne pourrais pas partir comme lui, mais j’en ai eu ras-le-bol d’une forme de la laideur parisienne. Paris est sublime, certes, mais depuis 26 ou 27 ans j’avais beaucoup joué, j’ai eu envie de tenter l’aventure de l’ailleurs, de façon viscérale. Mais j’ai été rattrapé par les contingences d’un nouveau spectacle. Moi je n’ai pas cette folie ; j’ai aussi ce débordement, mais c’est une autre force. Les Forêts m’ont fait du bien ; j’ai été contaminé par les métaphores, je me suis nourri des allégories. Alors que j’allais dans le mur, avec la violence de Richard III, les Forêts m’ont donné une forme de légèreté, d’innocence.
-Votre interprétation de ces Forêts a-t-elle évolué au fil des années et des représentations ?
– Bien sûr. La mise en scène est une horlogerie, celle-ci depuis 2019. Parfois elle fait partie d’un cycle, parfois je mets une projection d’images de nature, parfois un fond noir, parfois je dois m’adapter à un plateau particulier. Et mon jeu a nécessairement bougé, en ayant joué plus de 300 fois ! Je m’y sens plus à l’aise. Mais ce texte, je l’ai dit entre 500 et 600 fois, je le revois encore quand je le joue le lendemain, je le révise, je le ravive. Mais je me sens plus naturel, plus décontracté. Et comme le spectacle plaît, j’ai plus de confiance, plus de tendresse même. Depuis ces derniers temps, j’ai fait un énorme travail de diction. Pendant le confinement, j’ai lu des poèmes ; j’avais une boulimie de déclamation, de profération. J’ai voulu améliorer mon élocution, la finesse de la langue, travailler l’incise, le rythme, la frappe des consonnes…pour maîtriser davantage le texte, être plus tranquille avec lui, plus détendu.
-Mais chaque texte est différent, chaque spectacle a ses spécificités.
–Justement, il faut être capable de passer d’un registre à l’autre, avec plus de virtuosité, de rapidité, de vivacité ; mieux les maîtriser. Il faut que je les aie en moi, puissamment…
-Pour se les approprier ?
–Comme un danseur, comme un footballeur, quelle que soit la situation ou l’activité… J’ai un jeu différent, je m’amuse à colorier différemment, par des petits ajustements, dans le rythme, dans la façon de clore, de se relever, d’attaquer une séquence… Grâce au temps, j’ai une connaissance parfaite du texte, et je suis capable de varier. J’aime marcher en apprenant, je déclame pendant des heures, jusqu’à ce que le texte devienne mien, viscéral.
-Vous serez cette année encore au Festival Off. Avignon et les festivaliers vous connaissent comme un véritable ovni, un marathonien inépuisable. Il me semble que, acteur et metteur en scène, vous avez compté jusqu’à une dizaine de pièces en une journée !
-(rire) Cette année, je ne jouerai que deux spectacles, à 14h30 à la salle Tomasi et à 20h30 aux Gémeaux ; c’est étrange, j’aurai l’impression d’être beaucoup moins actif (sourire) ! J’irai voir aussi les cinq spectacles que je mets en scène, ce que j’ai toujours fait. Et je vais vivre le festival, différemment. Je tracte, je vais à la rencontre des gens… Je ne l’ai pas fait exprès. Comme j’ai dû renoncer à Mars, j’ai décidé de reprendre les Forêts pour la quatrième fois, de faire une nouvelle tentative. Cela m’aurait vraiment fait bizarre de passer, de quatre spectacles en 2022, à trois en 2023, et à un seul cette année, Richard III ! Je reviendrai donc avec les Forêts.
Propos recueillis par G.ad.
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