Tilemachos Moudatsakis, auteur et metteur en scène grec, présente au Festival Off d’Avignon sa vision de l’Ajax de Sophocle. Originaire de Héraklion (Crète) Tilemachos Moudatsakis est traducteur, professeur de la théorie et de la pratique du théâtre auprès de l’Université de Crète. En tant que metteur en scène, il a travaillé avec le Théâtre National et le Théâtre de Grèce du Nord (TNGN). Fondateur du Théâtre des Vivi (1993), il a traduit et mis en scène plus de 35 œuvres d’Euripide (festival international d’Avignon dès 2011), Aristophane, Shakespeare, Molière, Calderon, Beckett, Nikos Kazantzakis, etc. Son premier roman Amfia etairas, a été nominé pour le Prix d’État en 2008.
Tilemachos Moudatsakis fait revivre le théâtre grec tel qu’il était joué il y a 2.500 ans. Nous avions vu Oreste, les Perses d’Eschyle en 2022, et la création de cette année 2024 Ajax. Nous avons saisi le traducteur-metteur en scène entre deux répétitions…
-Tilemachos, en quoi votre travail sur le tragique grec peut nous parler encore aujourd’hui ?
-Mon travail de mise en scène est centré sur le corps, le corps qui absorbe le tragique comme douleur et qui est par la suite autorisé à l’exprimer sur scène. Cette écriture fait jaillir le tragique comme la quintessence de l’existence humaine. Ma technique se concentre aussi sur la voix. Le répertoire des sons que l’appareil phonatoire de l’acteur produit compose, chez lui, un véritable tableau sonore. La voix et le corps se mêlent pour créer un mélange explosif. Et pour aller plus loin, au-delà du réalisme répétitif, j’organise dans des formes algébriques, voire géométriques, le jeu d’acteur, inspiré par le sort des héros tragiques dans la Mythologie Grecque, où tous les membres du corps humain deviennent des matrices génitrices : pensez à Athéna née de la tête de Zeus, à Asclépios né de sa mère Koronis, déjà passée aux enfers, par l’intervention d’Hermès. Mais j’ai aussi devant les yeux les textes de l’Ancien Testament ainsi que l’iconographie et la sculpture classique, de Phidias jusqu’à Rodin. Ce qui m’a permis de développer une technique de Performance fondée aux archétypes de l’histoire et de la civilisation européennes.
-Vous revenez cette année au Festival Off d’Avignon, avec l’Ajax de Sophocle. Vous proposez un sur-titrage en français. Vous connaissez très bien notre langue, mais la traduction poétique est un travail particulier. Comment procédez-vous ?
-Je tiens à traduire moi-même tous les textes, parfois même à les retraduire quand je ne suis pas satisfait. Pour Ajax, en traduisant j’avais devant les yeux 2 ou 3 traductions françaises…et c’est ainsi que j’ai répété certaines phrases, en pensant toujours à leur effet phonétique et scénique… Je travaille toujours avec le corps dans un paroxysme, comme s’il s’agissait de « sculpter » une pierre…Et la phonè (η φωνή) est mon scalpel. J’ai aussi essayé de « sculpter » sur le costume en tissu 2 ou 3 costumes qui a un « vitalisme »… en jetant un œil à la culture-peinture (des vases) géométriques et la sculpture classique et de nos jours. Je suis encore en train de répéter, un travail dur, exhaustif en espérant le meilleur…
-Nous avons vu et apprécié Ajax. Mais l’Atypiq théâtre n’est pas le plus confortable, pour les sièges, pour la climatisation, et trop exigu pour permettre à la force tragique de se déployer pleinement…
-Merci d’avoir vu et apprécié Ajax. Pour cette création il y avait un travail plus dur encore sur le corps d’acteur et la voix, un travail constant, systématique. La salle de l’Atypic n’était pas l’espace approprié pour mon travail, pourtant c’est l’œuvre d’art qui compte.
-Vous avez toujours utilisé le son, la musique, en arrière-plan de votre travail. Mais cette année musique et chant sont totalement intégrés à la pièce, tout à fait dans l’esprit de la tragédie grecque. Il y a quelques années, un professeur de l’université de Metz, Annie Bélis, avait tenté de reconstituer la « musique de la Grèce antique » à partir de fragments épigraphiques de Delphes notamment. D’où vient votre propre création musicale ?
-Maria Syméon, la compositrice, a travaillé pour écrire la musique d’Ajax sur la musique dans l’œuvre de Platon. Là, comme vous le savez, on n’a évidemment pas de document auditif, mais on a une théorie rare et archétypale sur la musique… Le second chant du chœur est un « pirichios », danse enthousiaste que dansaient les guerriers avant l’attaque contre l’ennemi, pour se donner du courage, ou après le combat pour célébrer leur victoire. Ici c’est fait après le faux changement d’Ajax, feignant de pardonner aux Atrides. Du reste les deux autres chants du chœur ce sont des lamentations…, la flûte ou la clarine qu’écoutait Platon jouée par une aulitride (joueuse de flûte, NDLR) quand il était en train de mourir. Vous pouvez noter ça, c’est inédit.
Propos recueillis par G.ad.
En 2017 pour Grèce hebdo, Tilémachos Moudatsakis développait plus longuement la quintessence de son travail.
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