En presque 30 ans d’existence, les Victoires de la musique classique n’ont couronné que deux guitaristes, en Révélation Soliste instrumental : Emmanuel Rossfelder en 2004 à 31 ans, et Thibaut Garcia en 2019 à 25 ans, nommé ensuite en 2021 comme Soliste de l’année. Mercredi 24 août 2022, celui-ci partagera la scène du théâtre des Terrasses de Gordes avec le contreténor Philippe Jaroussky (page officielle ; voir aussi notre entretien), tous deux invités par les Saisons de la Voix (site officiel ) et par Musique Baroque en Avignon (site officiel). Rencontre avec un jeune artiste (28 ans) d’une délicieuse simplicité, à la carrière très prometteuse, que nous avions déjà interviewé en 2020, déjà invité par Musique Baroque en Avignon.
-Thibaut Garcia, avec Philippe Jaroussky, vous vous êtes rencontrés par Alain Lanceron, le patron d’Erato, qui a ensuite accueilli votre disque commun, « A sa guitare ». Le mariage de la voix de contre-ténor avec la guitare est-il facile ?
-Plutôt que la question de la voix et de l’instrument, c’est plutôt la question des artistes qui se pose. Dès que deux artistes ont envie d’un programme, ils font en sorte que celui-ci fonctionne. Concernant « A sa guitare », il s’agit d’un répertoire… qui n’existe pas ! C’est Philippe et moi qui nous sommes permis de créer 400 ans de musique depuis la Renaissance, en arrangeant des œuvres qui n’avaient pas été créées pour nous. Et le mariage entre nous fonctionne, avec un contreténor très aigu, et une guitare plutôt grave. Grave comme le violoncelle, comme la voix de baryton.
-Le programme de votre CD et de votre concert impose de nombreux arrangements, ou transcriptions ; avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
–Oui. Sur ce programme, nous avons à la fois l’album et les propositions de concerts. Derrière, il y a quantité d’arrangements que j’ai réalisés, ou que d’autres ont réalisés. J’ai fait des essais, j’ai mis les mains dans le cambouis, et pour certains je n’ai pas réussi. Je voulais retrouver Fauré (« Le secret ») que j’adore, retrouver la longueur du son sur le piano. Mais cela sonnait sec à la guitare. J’ai donc cherché l’écriture idiomatique pour la guitare, repensé le mode de jeu ou le langage, pour garder l’essence des pièces, et que l’instrument respire. Puis j’ai abandonné. J’aime le répertoire, j’aime qu’il soit bien défendu. J’ai un idéal en tête, ces œuvres sont tellement belles au piano ! Mais il ne faut pas faire des arrangements à tout prix. Il faut se demander si l’on cherche simplement à se faire plaisir ou si c’était pour rendre justice à cette musique.
-L’été, les vacances pour beaucoup même si vous-même n’êtes pas au repos, ramènent souvent des souvenirs d’enfance ; quelle est votre madeleine de Proust ?
–On allait chez mes grands-parents maternels en Vendée, aux Sables d’Olonne ; on écoutait de la musique tout le long du trajet. Pour moi, les vacances d’été, c’est la famille. Quant au concert, je n’ai pas du tout choisi. Mais sortant des 2 ans de Covid je suis très content de retrouver le public. C’est en septembre que je serai en congés ; j’irai à Grenade avec mes parents, pour trouver une guitare très particulière pour mon papa (lui-même guitariste amateur, NDLR), et Grenade est le seul endroit où je sais en trouver une.
-Lors d’un entretien antérieur, en 2019, nous avions évoqué l’atmosphère artistique particulière de Toulouse ; est-ce toujours le cas après les 2 années que nous avons traversés ?
–D’une manière générale, Toulouse a retrouvé toutes ses couleurs, et elle a toujours énormément de propositions artistiques. On est revenu à une période vraiment normale. Mais les attitudes ont changé : le public ne fait pas le même type de réservations, il réserve plus tardivement. Nous avons tous subi des annulations, des reports, et nous en avons souffert. Mais maintenant le public est là, et les propositions sont là. De même Toulouse guitare se porte bien…
-J’allais vous poser la question, concernant ce festival, ou plutôt cette saison, que votre enthousiasme a créé en 2018, me semble-t-il.
–Toulouse guitare va bien, nous avons repris les masterclasses, les premières parties, les concerts… C’est notre 4e et 5e année suivant les activités. En fait, nous n’avons jamais arrêté, seulement quand c’était vraiment interdit. Mais on a voulu garder le lien, notamment par des vidéos.
-Il y a 2 ans, vous aviez également envie de vous mettre au luth, dont la proximité par rapport à la guitare vous semblait évidente.
–C’est bien que vous me posiez cette question à 2 ans d’écart. J’ai en effet acheté une guitare baroque cette année-là. Ce n’était pas un but, c’était une opportunité ; un super luthier que je connaissais faisait une vente. Jusque-là, je m’en faisais prêter une, mais pas dans la durée. Je n’ai certes pas un niveau de concertiste, mais j’apprends. Je commence à avoir une sensation de liberté, de rythme, de pulsation ; c’est un instrument, comme tout le baroque, qui a un rapport avec le rythme, avec la danse.
-La guitare baroque est-elle très différente de la guitare actuelle ?
–Elle lui ressemble, évidemment. Mais elle est également très différente ; plus proche du luth. Elle a 5 cordes au lieu de 6, et elles sont doublées avec une corde aiguë. La guitare baroque est une guitare basse ; elle a le même système que le yukulélé, avec une corde aiguë de chaque côté ; on l’utilise surtout en accompagnement, au contraire du luth, qui est soliste. Quand on est en mode de jeu en accord, on tombe immédiatement sur une corde aiguë.
-Les instruments souffrent sans doute de la canicule et la sécheresse. Quelles précautions particulières prenez-vous ?
-C’est une bonne question. Les cordes sont sensibles à la température et à l’humidité. Le passage d’une salle à dehors peut affecter l’accord de l’instrument. Je joue beaucoup dans les festivals l’été. Mais il est vrai qu’avec Philipe ce sera la première fois dehors. En extérieur j’ai l’habitude de jouer dehors du Piazzola, mais amplifié. Ici ce sera intime. Mais nous avons la chance de travailler avec un ingénieur du son qui nous suit régulièrement, qui nous connaît parfaitement et connaît parfaitement notre travail ; il est en quelque sorte le 3e instrumentiste. Grâce à lui, le son de l’ampli est très naturel. Il nous connaît par cœur, c’est facile de travailler avec lui. Mais le but est que le public ne le sente pas ; la musique classique est acoustique, le public ne doit pas sentir la sonorisation. Concernant la guitare, en effet il ne faut pas en effet de brusques changements de température, et il faut entre 50 et 60° d’humidité. On prend alors des éponges gorgées d’eau, qu’on met dans l’étui de l’instrument et qui maintiennent un degré d’humidité. On fait l’inverse en cas de pluie : on met une éponge sèche absorbante dans l’étui.
-Connaissant votre enthousiasme, je vous suppose quantité de projets ?
–Nous avons déjà pas mal de dates, et des programmes nouveaux, avec Philippe. Et j’ai également, à titre personnel, deux nouveaux projets artistiques. Le premier, l’enregistrement des Variations Goldberg. Depuis 10 ans, Antoine Morinière (site officiel https://antoinemoriniere.com/fr/biographie/ ) réalise les arrangements, le nez dans les partitions ; nous sommes en résidence à La Chaise-Dieu, et j’ai même fait construire des guitares spécialement pour ce projet ; j’ai dans la tête le son idéal que je recherche, et j’ai recherché longtemps un luthier qui puisse l’offrir. Le second projet est la création d’une œuvre capitale, le Concerto pour guitare de Benjamin Attahir, un jeune compositeur, que vous connaissez peut-être.
-De nom seulement. Je crois qu’il est toulousain comme vous…
–En effet. La création est fixée au 1er mars 2023. Mais encore faut-il que l’œuvre soit écrite ; c’est ce qui se fait en ce moment.
Propos recueillis par G.ad. Photo Mélissa Kavanagh
-Mercredi 24 août, 21h30, durée 1h. Tarifs : 60€/56€ (adhérents). Places numérotées. Réservations sur le site : https://lessaisonsdelavoix.com/, et lieux habituels de réservation.
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