Hors des sentiers battus
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Nathanaël Gouin, pianiste français, mène sa carrière loin du « passage obligé » des concours internationaux. Il s’exprime avec délicatesse et poésie dans son dernier disque « Bizet sans paroles », qui a obtenu un Diapason d’Or (Mirare). Rencontre avec un artiste sensible, que l’on entendra au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron (site officiel et notre présentation) les 1er et 8 août 2023.
-Durant votre enfance, vous avez baigné dans un milieu très musical, avec un père chanteur lyrique professionnel et une mère pianiste. Avez-vous souvenir de votre première émotion musicale ?
–Ma mère n’est pas pianiste mais peintre sculpteur. À 20 ans, elle a rencontré la musique au cours de ses études de sculpture et de peinture. Elle a décidé d’apprendre le piano et la flûte traversière durant 4 à 5 années avec une boulimie de musique et d’art, mais elle n’est pas pianiste en tant que telle.
Je fais partie de ceux qui ont commencé la musique extrêmement tôt. Vers 3 ans j’ai étudié le piano et le violon. Je me souviens vraiment d’une émotion très forte : je sais exactement où j’étais en écoutant pour la première fois le second concerto pour piano de Rachmaninov, il s’agissait d’un disque que j’écoutais au casque ; cela m’a particulièrement marqué. Dans ma jeunesse, j’ai entendu énormément d’opéras avec mon papa, des morceaux qui me touchaient vraiment comme Turandot de Puccini, mais il semblerait que je sois né sur un disque de Clara Haskil, alors c’est peut-être ça ma première émotion musicale, mais je n’en ai pas souvenir (rires).
-À 3 ans vous avez débuté le piano et le violon. Comment s’est effectué 10 ans plus tard le choix de l’instrument pour votre carrière musicale ?
–Ce choix s’est fait à un moment de ma vie difficile à décrire, car j’avais environ 14/15 ans, j’en ai assez peu de souvenirs mais je sais juste que j’étais guidé par mon instinct. Je me rendais compte que j’avais une oreille très harmonique. Je suis encore guidé et fasciné par l’harmonie, par les mélanges de rencontres verticales des sons. J’ai trouvé cette qualité sonore dans l’orchestre quand je jouais du violon. Approcher cela de si près avec le piano, pouvoir gérer la qualité des sons, ça a été un facteur extrêmement important dans mon choix. D’autre part, avec le piano je pouvais toucher de nombreux répertoires, n’importe quel concerto, les quatuors…le choix est beaucoup plus grand pour cet instrument ! Une anecdote amusante que l’on m’a rapportée dit que « je préférais plutôt être assis que jouer debout au violon ! »
-Revenons à votre parcours : le Conservatoire de Toulouse, celui de Paris, La Juilliard School de New York, et vous avez cependant passé peu de concours prestigieux alors que vous êtes largement reconnu, pouvez-vous nous en dire plus ?
–Il y a plusieurs facteurs à cela : j’ai commencé assez tardivement à avoir confiance en moi en tant que soliste. Certains de mes collègues pianistes avaient déjà gagné ces fameux premiers prix quand moi j’étais encore en train de me chercher, à me demander si je voulais faire de la composition, de l’accompagnement, de la musique de chambre à très haut niveau, ou peut-être même du solo. Ce sont des rencontres tardives dans mon parcours qui m’ont conforté dans l’idée que le piano n’était pas un adversaire contre lequel il fallait se battre mais un ami qui pouvait me procurer des moments d’abandon et de partages. J’en ai fait l’expérience assez tardivement grâce à des gens comme Jean-Claude Pennetier, Maria-João Pires et Avedis Kouyoumdjian. Ils ont été très importants pour moi et m’ont donné de nombreuses clés techniques et instrumentales que j’ai découvertes très tardivement. Maria-João Pires pendant 3 ans, entre 24 et 27 ans m’a prouvé qu’il y avait une autre voie à prendre que celle de passer des concours, une autre manière de « faire carrière » grâce à son projet pédagogique Partitura. L’objectif était de partager la scène avec de grands musiciens, cela permet aux jeunes pianistes dont j’étais, de se faire connaître différemment. Quelle expérience unique !
Du coup les concours je n’y ai jamais trop pensé. Je me suis rapidement rendu compte que je préférais m’exprimer par les disques plutôt que concourir dans des endroits où il faut avoir des nerfs extrêmement solides : on joue en un quart d’heure le résultat d’un travail réalisé durant 2 ans ! J’ai vite senti que certains étaient très à l’aise là-dedans, moi pas tant que ça !
–Quelle place tient la pratique de la musique de chambre dans votre vie ? Est-elle importante ?
–Absolument. De 18 à 22 ans je ne faisais que ça, je faisais du trio toute la journée, de la sonate aussi avec Guillaume Chilemme, j’avais de nombreux partenaires, j’adorais ça et j’imaginais presque que cela pourrait être l’essentiel dans ma vie.
Le fait d’avoir pratiqué le violon me donnait l’impression d’avoir une connection particulière avec les instruments à cordes lorsque je jouais avec eux et j’aimais cette capacité du piano à enrober les cordes en oubliant les marteaux et en trouvant des variétés de sons. On ne sait plus trop qui joue de la corde frottée ou frappée. J’ai retrouvé un peu la même chose en jouant avec orchestre, j’aime bien avoir des partenaires avec lesquels il y a une connection forte.
-Votre répertoire est éclectique, il semble tourné surtout vers les romantiques. Comment s’effectuent vos choix musicaux en matière de programmation ?
–Comme je suis quelqu’un d’instinctif, je me laisse un peu porter. Quand je me suis lancé dans un programme de disques, je pense par exemple à Georges Bizet, je n’avais pas pris conscience que cela allait m’engager pendant plusieurs années à jouer de la musique française. J’aime bien ce côté sacerdoce où pendant quelques années on vit une connection très forte avec un compositeur ou une époque. De ce fait effectivement, je pense que j’ai une âme romantique, mais je prends aussi grand plaisir à jouer du Bach, de la musique baroque ou contemporaine. Le plus dur pour moi, c’est de choisir.
-Vos enregistrements ont reçu un accueil enthousiaste de la presse musicale (Diapason d’Or pour le CD Bizet ses Paroles). Est-ce que vous avez envisagé, comme d’autres pianistes, de procéder à l’enregistrement d’intégrales ?
-Oui, même si je ne peux pas en dire vraiment plus. Je suis en train de réfléchir à une intégrale pour les années à venir. Cela m’intéresse si derrière j’y donne du sens. Même si cela peut paraître un peu présomptueux, j’aimerais que tous mes projets soient sous-tendus par un lien entre eux. Au-delà d’une compilation d’œuvres concernant un compositeur, j’aimerais avoir un fil narratif, raconter une histoire. De la même façon, l’attribution d’adjectifs comme « Macabre » pour le disque de Franz Liszt ou « Sans Paroles » pour Georges Bizet, ont pour objectif de donner du sens aux enregistrements. Le disque qui sort à la rentrée et qui va s’appeler « Caprices » sous-tend la même idée de raconter une histoire, même s’il s’agit là d’une compilation d’une dizaine de compositeurs. (Sortie officielle de ce CD le 13 octobre, et pré-sortie à La Roque d’Anthéron le 8 août, NDLR)
-Assistez-vous à des concerts et marquez-vous une préférence pour tel ou tel interprète contemporain, pianiste ou non ?
–Dernièrement j’ai entendu le concert d’Arcadi Volodos autour de Mompou et Scriabine, ce pianiste était absolument prodigieux. J’ai vu également Roméo et Juliette à l’opéra, magnifique de pureté et d’extase vocale. J’écoute régulièrement le Quatuor Ebène, j’essaie le plus possible d’assister à des concerts pour faire l’expérience de la vibration dans tous ses états, pas qu’au piano. Il y a des périodes où c’est plus facile que d’autres, mais cela me semble très important.
-De quelle manière travaillez-vous une œuvre nouvelle pour vous l’approprier ?
–Si je vous répondais, c’est que j’aurais une recette, or ce n’est pas trop le cas. J’ai tendance à essayer globalement d’apprendre le plus vite possible par cœur et ensuite d’aller chercher dans les recoins, mains séparées, les harmonies. Le travail d’interprétation se fait ensuite petit à petit. Je m’enregistre beaucoup. En vous répondant comme ça, on pourrait penser que j’ai une trame que je respecte à chaque fois mais en réalité, ce n’est pas vraiment le cas !
–Vous intéressez-vous à l’accompagnement du lied, sinon à la direction d’orchestre ?
–Pour l’accompagnement du chant, ayant un papa chanteur, cela m’intéresse toujours et j’aime énormément la composition ; c’est quelque chose qui est très proche de moi. J’ai plusieurs fois dirigé du piano des concertos mais je sais bien aujourd’hui que je ne me sens pas une âme de chef d’orchestre, c’est une discipline qui n’est pas en phase avec ma personnalité de pianiste.
-Suivez-vous une méthode de travail personnelle particulière pour préparer un concert ?
-Non. Une chose m’a marqué dans l’enseignement de Maria-João Pires, c’est ce qu’elle nous disait souvent : « il faut éviter d’avoir un système de jeu ». Pour durer il faudrait arriver à se réinventer pour chaque œuvre, tendre vers ça et ne pas avoir une seule manière de travailler ou d’interpréter. J’essaie de me renouveler le plus souvent possible même si c’est difficile.
-Le festival de La Roque d’Anthéron fête cette année le 150e anniversaire de la naissance de Rachmaninov, vous-même allez y interpréter une œuvre majeure ; quel est votre rapport avec ce compositeur et ses œuvres ?
-Je me suis toujours senti proche de la personnalité de Rachmaninov. Sa trajectoire de vie, cette grande dépression qu’il a traversée avant de composer le second concerto. Les errements qu’il a dû vivre, son exil où tout a été difficile avant qu’il ne devienne une grande personnalité aux États-Unis m’ont toujours touché. J’ai dernièrement entendu Arcadi Volodos dire que Rachmaninov était peut-être le plus grand compositeur de piano, c’est peut-être grandiloquent de dire ça. Je le rejoins dans le sens où j’ai du mal à voir qui a pu aller plus loin dans cette connaissance de l’instrument afin de le faire sonner de mille et une façons en utilisant les dix doigts avec une telle dextérité. La transe dans laquelle l’interprète doit se mettre pour jouer ses œuvres, c’est quelque chose de vertigineux ! Depuis ses premières œuvres jusqu’aux dernières, ses compositions me touchent toujours autant comme par exemple l’Île des Morts. Ses pièces sont tellement vraies et pures ! J’ai toujours été agacé par ceux qui se moquaient de Rachmaninov en lui trouvant un côté un peu guimauve. Il est tellement sincère dans ses émotions que je trouve ses œuvres merveilleuses !
-Comme beaucoup d’artistes vous avez peut-être connu des périodes de doute ; si c’est le cas, comment avez-vous réussi à les surmonter ?
-J’en ai connu beaucoup parce que mon parcours n’est pas linéaire, il est même un peu erratique. J’ai mes fragilités, j’ai appris à me connaître. La musique est une alliée majeure pour rebondir de mille et une façons, que ce soit en composant, en interprétant ou en donnant des concerts. Je pense qu’il ne faut pas chercher à éviter ces moments-là en les tuant dans l’œuf, au contraire, ils deviennent des sources d’énergie très fortes dans les moments où tout va bien. Ça paraît difficile de jouer du Schumann, ou du Rachmaninov, des compositeurs qui ont été en proie à des sentiments intenses de doutes si soi-même on ne les a pas vécus. Pour rebondir, il faut se convaincre que ce que l’on a vécu est devenu une force ».
Propos recueillis par D.B.
Nathanaël Gouin en quelques dates :
1988 : Naissance à Colombes (92)
1991 : Commence l’étude du piano et du violon
1998 : Etudes au conservatoire de Toulouse et premier concert avec l’orchestre de chambre de Toulouse
2005 : Admis à l’unanimité au Conservatoire de Paris dans les classes de Michel Beroff et de Denis Pascal
2009 : Premier Prix concours International Brahms de Pörtschach
2010 : Etudes à la Juilliard School de New York
2011 : Diplôme du Conservatoire de Paris
2013 : Rencontre avec Maria-João Pires et récitals dans le cadre du projet Partitura. Résidence à la Chapelle Musicale reine Elisabeth de Belgique.
2014 : CD Canal-Ravel avec Guillaume Chilemme (Maguelonne)
2016 : Concerto pour piano en fa mineur d’Edouard Lalo avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, direction : Jean-Jacques Kantorow
2017 : « Liszt macabre » (Mirare)
2020 : « Bizet sans Paroles » (Mirare – Diapason d’Or)
2023 : « Caprices » Pré -sortie 8/08/23. Sortie officielle le 13 octobre 2023
RENDEZ-VOUS:
1/08 La Roque d’Anthéron : Liszt: Les années de pèlerinage
3/8 Festival de piano de Biarritz avec Bizet, Alkan Liszt
4/08 Festival de musique de Chambre du Poet Laval « Amadeus, à la folie » avec Schumann et Mozart
8/8 La Roque d’Anthéron : Rachmaninov avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini et l’orchestre Symphonique de Varsovie sous la direction d’Aziz Shokhakimov
18/08 Vicq sur Gartempe : festival « les Chaises Musicales » avec Marie Chilemme (alto) et Gabriel le Magadure (violon), tous deux du quatuor Ebène, dans des œuvres de Mahler, Tchaikovsky et Rachmaninov
19/8 Romans : « Branle bas de chaussures » dans les jardins du musée, avec un programme éclectique préparé par Astrig Siranossian, directrice artistique. (Brahms à 4 mains, programme texte/musique autour de la chaussure…)
8 /11 concert salle Cortot pour la sortie du CD « Caprices »
21/10 festival de Saumur en Auxois présentation du CD « Caprices »
Novembre 2023 Projet Strauss (musique de chambre)
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