Lucas Andrieu est un jeune comédien et metteur en scène toulonnais. Formé à l’école d’art dramatique le Lucernaire à Paris, il conjugue rapidement sa carrière de comédien avec celle d’écriture et de mise en scène. En 2020, il reçoit le trophée « Jeune talent » décerné par l’association Anne-Sophie Deval. Dès 2021, il est présent au Festival Off d’Avignon, avec la pièce (qu’il a écrite et mise en scène) Ce monde pourra-t-il changer un jour ?, sans pour autant cesser de créer d’autres pièces (comme Secteur 28 en 2022, ou L’Etrange Affaire Emile Artois en 2019). La pièce Ce monde pourra-t-il changer un jour ? est sa deuxième création, et c’était notre COUP DE COEUR cette année (voir notre compte rendu).
-Cette pièce a une résonance particulière pour vous. Vous l’avez créée à Toulon en 2021 en prévision du Festival Off d’Avignon 2021. Pourquoi décider d’écrire puis de mettre en scène une histoire familiale, celle de votre arrière-grand-mère ?
-En fait, pendant le premier confinement, je me suis rendu compte qu’il y avait plein de questions que je n’avais pas posées à ma grand-mère, qui a eu 80 ans en 2021, ainsi qu’à ma famille. Un jour ma grand-mère va disparaître et je vais regretter de ne pas lui avoir posé ces questions. Donc, je lui ai demandé si cela ne la dérangeait pas car c’était l’histoire de ses parents. Je savais seulement qu’elle avait fui l’Italie et le fascisme, qu’il y avait une vague histoire de cousin enterré vivant, mais je ne savais rien d’autre. J’ai commencé alors à lui poser des questions et cela lui a fait un bien fou de parler de ses parents, alors que je redoutais de lui faire de la peine en lui rappelant de mauvais souvenirs. Elle était très contente, elle me sortait les photos quand j’allais chez elle au premier déconfinement, en mai-juin 2020. On a retrouvé beaucoup de choses, comme l’acte de propriété de la maison qu’ils ont construite de leurs mains. En fait, elle avait tout gardé ; c’était sous mes yeux depuis que j’étais tout petit car j’allais très souvent chez ma grand-mère. J’ai énormément de cahiers de notes de nos échanges, je voulais au départ faire une traversée du siècle à travers l’histoire d’une famille, jusqu’à la chute du mur de Berlin, mais j’ai finalement dû me limiter dans les informations que j’ai exploitées car c’était trop ambitieux : j’avais déjà presque une pièce d’une heure en exploitant les faits jusqu’en 1945.
-Donc finalement cette histoire n’attendait que vous…
-Oui. Elle était déjà une réussite pour moi avant de la montrer au public parce que j’étais déjà très fier du travail émotionnel que j’avais fait. Et je suis en plus très content qu’elle plaise au public.
-Vous avez choisi une comédienne très émouvante qui incarne tous les personnages, une mise en scène sobre, un texte juste et précis. Pourquoi avoir fait ces choix ?
-Je voulais tout d’abord une mise en scène sobre car la pièce est déjà très dense, avec beaucoup de dates et d’événements. Je voulais aussi un décor qui se renouvelle et le choix des caisses en bois qui se réinventent en étant déplacées s’explique parce qu’il est neutre. Au début j’avais pensé à des plantes, mais cela alourdissait le décor finalement. Quant au choix de la comédienne, Laetitia Strus avait déjà travaillé avec moi sur un autre projet, elle m’assiste pour la mise en pièce d’une autre pièce et c’était une évidence que ce soit elle qui fasse la reprise de rôle depuis l’an dernier. Et surtout, nous avons réussi l’an dernier à aller à Aurigo dans le village de ma grand-mère, c’était très fort, nous nous sommes nourris de cette immersion pour le spectacle, notamment avec le linge qui sèche aux fenêtres en Ligurie, c’est pourquoi nous avons rajouté l’étendoir dans la mise en scène. D’ailleurs, c’était tellement une évidence pour nous que nous avons un étendoir sur roues pour parader dans les rues d’Avignon et promouvoir notre spectacle.
-A la sortie du spectacle, j’ai rencontré un public enthousiaste qui a été sensible aussi à un discours encore d’actualité. Est-ce pour vous important de tirer des sonnettes d’alarme pour que chacun réfléchisse au poids de l’histoire dans nos vies ?
-Je suis animé par le discours de la fin de la pièce : je ne comprends pas et ne supporte pas l’injustice. Si d’autres personnes peuvent s’y reconnaître et y voir une résonance dans l’actualité, j’en suis très touché mais je ne cherche pas à imposer ma vision car pour moi la richesse du monde est d’avoir des visions différentes.
Propos recueillis par C.L. Photo MireilleOver60
Laisser un commentaire