On ne présente plus Jean-Philippe Daguerre, auteur, metteur en scène, adaptateur. Sa pièce Adieu Monsieur Haffmann a remporté quatre Molières dont celui de l’auteur francophone vivant. Les deux autres pièces qu’il a signées ont également été de grands succès, tant La Famille Ortiz que le Petit Coiffeur. Avec sa troupe le Grenier de Babouchka c’est un habitué d’Avignon, qui y apporte des classiques dans une revigorante modernité – Molière, Rostand, Corneille…- mais aussi ses propres pièces. C’est avec pas moins de six pièces qu’il est à Avignon en cette année 2022, dont deux créations : La Chambre des merveilles dont il signe l’adaptation et la mise en scène, et le Voyage de Molière dont il est le co-auteur avec Pierre-Olivier Scotto et dont il fait la mise en scène. Pour les autres pièces, il s’agit de : Adieu Monsieur Haffmann et Le Petit Coiffeur – auteur et metteur en scène -, Les Vivants – metteur en scène -, et Les Trois Mousquetaires – adaptateur, Charlotte Matzneff signant la mise en scène -.
-Dans quel état d’esprit abordez-vous ce festival, au vu des dernières années et de la crise sanitaire qui revient sur le devant de la scène ?
-C’est de manière euphorique que j’ai abordé ce festival il y a un mois quand j’ai eu la chance de venir faire la résidence de la Chambre des merveilles à Avignon (au théâtre Actuel, NDLR), surtout que les amis et les différentes personnes rencontrées à cette occasion annonçaient un bel Avignon avec de nombreuses réservations. La crainte d’annulation à cause du Covid est pourtant là, car si un acteur l’attrape, tout s’arrête, on ne peut plus jouer et on ne peut pas reporter les dates comme à Paris, ce sont des millions perdus. Je fais donc attention, mais je n’ai pas d’appréhension.
– Le festival vient de commencer : comment avez-vous vécu ces premiers jours ?
-Je suis vraiment heureux de ces premiers jours : cinq spectacles sur six complets au bout de trois jours, c’est super ! Mais je n’oublie pas qu’Avignon est un marathon qui se joue sur plein de choses différentes. Je n’écoute plus aucune information, je vis sans penser au Covid. C’est un plaisir de retrouver les spectateurs, de voir les gens heureux qui ont envie et besoin de se retrouver et de retrouver le théâtre. Je suis donc à la fois fébrile, émotif et enthousiaste après ces premiers jours.
-Vous apportez cette année à Avignon deux créations. Comment sont-elles nées ?
-Pour la Chambre des merveilles, cela a été une commande de la famille Houdinière qui aimait le livre et trouvait que j’étais la bonne personne pour l’adapter, car l’univers du roman et le sujet sont proches de ce que je fais. Mais cela a été un pari de faire cette adaptation, d’aller sur un type de théâtre différent de ce que je fais d’habitude ; car, si nos univers se ressemblent avec Julien Sandrel, ils sont en même temps un peu éloignés.
Pour Le voyage de Molière, c’est une collaboration avec Pierre-Olivier Scotto : la pièce est née de l’envie de rendre hommage à Molière pour les 400 ans. Elle a été écrite pendant le confinement avec l’idée originale d’un retour vers le futur. Cette pièce est un cri du cœur envers cet écorché vif qu’est Molière qui a besoin d’expliquer les difficultés mais aussi la joie de jouer.
-Vous avez de multiples casquettes. Que préférez-vous : mettre en scène vos propres pièces ou celles d’autres auteurs ? Ecrire une pièce ou faire une adaptation ?
-Je ressens le même plaisir quand je fais des mises en scène, que ce soient mes textes ou ceux des autres. J’oublie complètement qui est l’auteur quand je fais la mise en scène. Il m’arrive même parfois de me dire : mais pourquoi a-t-il écrit ça ? alors qu’il s’agit de mon texte à moi !
En revanche, pour ce qui est de l’écriture, c’est différent. Pour une adaptation, on est guidé par le texte d’origine, mais il faut trouver sa place et c’est un véritable défi. L’écriture d’une pièce, elle, est pure, intime. C’est un peu comme avec un enfant : l’adaptation, c’est une adoption, l’écriture un accouchement, mais le même amour est là.
-A Avignon, serez-vous aussi spectateur ? Comment choisissez-vous ce que vous allez voir ?
-Je vais voir une vingtaine de pièces en général à Avignon, vers la fin du festival. Je n’ai pas de type de théâtre particulier que je vais voir, je suis très éclectique dans mes choix : du classique, de l’humour, du cirque, de la danse… J’y vais au feeling, j’écoute le bouche-à-oreille, je vais voir les amis aussi.
-Savez-vous vous ménager des pauses pour vous ressourcer, dans ce marathon d’Avignon ?
-J’habite à 1km5 du centre, et je n’hésite pas à retourner faire des siestes pour me reposer. Sinon je m’isole dans des endroits calmes, un peu cachés, des hôtels, des cafés, ou même dans un cimetière : je gère alors les spectacles, les interviews… Pour moi l’art de tenir, c’est de s’isoler, d’arriver à avoir des moments de solitude.
-Il y a une vie après Avignon ! Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
-J’ai deux projets de création en ce moment, deux écritures. D’abord Du charbon dans les veines, sur les mineurs du Nord de la France, une pièce qui sera créée en 2024 au théâtre Rive gauche. Et Le huitième ciel qui sera créé au théâtre du Balcon l’an prochain, avec Florence Pernel, qui est géniale, mais aussi d’autres acteurs avec qui j’ai l’habitude de travailler. C’est l’histoire d’une femme puissante et riche qui a construit 27 tours dans 27 pays d’Europe et qui décide de prendre sa retraite à 55 ans pour profiter de sa famille. Mais rien ne va se passer comme prévu, sa famille n’arrive pas à vivre avec elle car elle a vécu à côté d’elle depuis des années. Elle se retrouve isolée, et, alors qu’elle était tout, elle ne devient plus rien. Mais une rencontre avec des migrants lui fera trouver une vocation et s’engager pour les autres.
Je suis heureux d’être dans ces créations, j’ai besoin de savoir que le projet abouti ne s’arrête pas là, sinon je déprime. La pièce une fois créée, elle ne m’appartient plus, elle appartient aux acteurs, au public.
Propos recueillis par S.T. Photo G.ad.
Laisser un commentaire