Dans le cadre de sa Saison 2024-2023 (report de la saison précédente), Musique Baroque en Avignon accueillera, dimanche 11 février 2024, Lucile Richardot, l’une des plus talentueuses mezzo-sopranos françaises, et Jean-Luc Ho, jeune claveciniste dont l’étoile tutoie déjà les sommets… Leur programme réunit trois figures de magiciennes qui ont inspiré des compositeurs très divers.
Rencontre avec un jeune instrumentiste enthousiaste.
-Jean-Luc Ho, pouvez-vous nous présenter le programme que vous donnerez à Avignon avec Lucile Richardot, et que vous avez déjà donné en divers lieux.
-Il s’appuie sur de grandes figures qui ont inspiré des cantates, des opéras, des œuvres mythologiques, des œuvres scéniques. Ce sont des femmes de caractère, des moments véhéments d’expression puissante, des monologues. Ce sont bien sûr des extraits d’œuvres. Lucile Richardot en fait un programme très théâtral, car c’est une actrice totale.
-Vous avez déjà tissé ensemble une belle complicité.
-Notre collaboration date de 4 ans. Nous donnons ensemble des concerts de clavecin dans des salles plus ou moins grandes, et des concerts religieux avec orgue dans des églises, comme la Messe en si ou la Passion de Bach.
-Vous pratiquez plusieurs instruments, jusqu’au clavicytherium. Quelles sont les couleurs propres du clavecin ?
-Il n’a pas la dimension sacrée de l’orgue. Il permet de dire ce qu’on ne peut pas dire dans une église. C’est une façon d’avoir dans son salon la réduction d’un orchestre dans la fosse. Le clavecin à l’époque baroque servait surtout à l’accompagnement du chant.
-Votre programme évoque trois figures, à travers des compositeurs français, anglais, italiens, espagnols, allemands… Comment se crée l’unité du programme ? De façon thématique, formelle ?
-L’unité se crée par la force de l’expression, avec des figures qui parlent à la 1e personne. Mais oui, il y a aussi une énorme variété : l’époque va du début du baroque jusqu’à 1730 environ avec Blamont ; et l’on y parle plusieurs langues. C’est aussi le jeu théâtral qui donne l’unité, le thème de l’amour et l’intensité des affects.
-Vous avez un parcours très riche. Si vous deviez n’en retenir que quelques grandes étapes, quelques moments-clefs ?
-J’ai eu beaucoup de chance, j’ai rencontré des personnages marquants ; c’est aussi les concerts que j’ai entendus, et des ateliers qui ont forgé ma décision. J’ai eu la chance d’avoir un clavecin très tôt à la maison, alors que j’avais 10 ans ; c’était alors pour moi un passe-temps, une simple activité de découverte. A 7 ans j’étais à l’école de musique ; le clavecin était plus rare que le piano ; il n’y a pas de clavecin électronique, il est fabriqué à la main, ce n’est pas une fabrication de série. Et pour une famille il représente un investissement qui n’est pas négligeable ! En fait, mon frère aîné allait à l’école de musique, moi j’étais au jardin musical, et en parallèle j’ai fait le choix de l’instrument. On fait le tour des classes d’instruments ; pour moi ç’a été un coup de cœur, une évidence. Un gamin de 8 ans n’analyse pas son choix avec des mots ; ce sont les émotions réelles qui sont décisives. Ç’a été aussi une surprise : aimer ce à quoi on ne s’attend pas. Et le contact avec le professeur a été également déterminant. J’avais envie de découvrir. Quelquefois on peut changer d’instrument après un an, c’est même assez fréquent. On pourrait penser que pour beaucoup c’est le choix des parents ; mais en fait les enfants découvrent vraiment les instruments, le contact avec eux. Moi j’ai toujours aimé les claviers, différents, que ce soit le piano ou les épinettes décorées de jolies couleurs. Mais le clavecin est particulier : en appuyant, on a la sensation du pincement de la corde ; et puis, la mécanique est plus légère, le clavier a moins de touches, l’instrument semble plus proche.
-Quels sont vos projets ? Un concert le 23 mars à Marseille dans le cadre de Mars en Baroque ? (la question a été posée début mars 2023, NDLR)
-Oui, Mars en Baroque, avec concert et actions pédagogiques. Puis un séminaire à Royaumont, où j’ai déjà enregistré un CD, dans le cadre d’une résidence de 5 ans. Et des masterclasses à Marseille. A la fin de l’année, une série de concerts sur les Variations Goldberg, que j’ai enregistrées en 2022, notamment le 11 juin à la Sainte Chapelle.
-Un lieu particulièrement inspirant ! Vous avez été également invité au Festival de La Roque d’Anthéron, au moins en 2022. Comment vivez-vous l’ouverture progressive de ce festival de piano à votre instrument ?
-C’est évidemment une très bonne chose. Et c’est une façon d’écouter différente. Moi je suis le premier à être un peu monomaniaque, à aimer les intégrales, les cycles… Et il y a du jazz aussi à La Roque.
-En effet, de plus en plus. Et nous sommes dans la dernière ligne droit de préparation des Victoires de la musique classique ; elles aussi s’ouvrent à la musique baroque, à la viole de gambe. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
-C’est une bonne chose de s’apercevoir que le baroque fait partie du répertoire. Pensez que, en 1981, Athys a été une révolution : c’était la 1e fois que l’Opéra Garnier programmait un opéra baroque ! Mais il faut être très vigilant : nos classes d’enseignement supérieur sont pleines. Le niveau grimpe, mais on assiste à une sorte de lissage ; en devenant classique, la démarche change, on tombe dans les automatismes. On perd ce qu’on avait il y a quelques années : le renouveau de la musique, la curiosité, la volonté d’interroger les sources, de défendre quelque chose de sourcé et d’argumenté, issu d’une recherche… Evidemment on peut se réjouir que notre répertoire tombe dans les « musts » !
-La pandémie a-t-elle affecté vos disciplines ?
-Etre étudiant, avoir 20 ans dans ces conditions, amène à se demander quelles envies on a vraiment. Pour ceux qui étaient en début de carrière, la Covid n’a pas permis d’enchaîner, les opportunités de jeu étaient annulées. Le diplôme s’est passé par contrôle continu, sans audition, c’est très dur. Or le métier est de plus en plus exigeant, les jeunes sont de plus en plus nombreux, mais le métier change, et il n’y a pas de la place pour tous.
-La situation est en effet difficile. Les maisons d’opéra revoient leur programmation ou leur calendrier à la baisse : Rouen, Montpellier, Covent Garden, le Metropolitan Opera…. Qu’en pensez-vous ? (la question a été posée début mars 2023, NDLR)
-A une plus petite échelle on ressent la même chose : même dans des institutions moins grandes, les décisions se prennent à la dernière minute, les délais se raccourcissent. Beaucoup de lieux ferment, à cause de la facture de chauffage, de coupes budgétaires ; les organisateurs sont plus prudents. Pour ma part, je fais ce que je peux, du mieux possible, avec la même exigence.
-Une question que j’aime poser : si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
-Toujours une sorte d’artisanat. Travailler quelque chose, toucher ce que j’aurai fabriqué, un objet concret, qu’on peut toucher. J’ai toujours été entouré d’instruments à la maison, les clavecins sont en bois, j’aime le bois, j’aime les ateliers de facture ; j’aime le bois, que ce soit le bois vivant ou travaillé.
-Si vous deviez convaincre des spectateurs de venir entendre votre concert ?
-Il faut venir pour entendre des choses pleinement humaines, des émotions vivantes, l’amour, la peur, la tendresse, tout ce qui est coloré… Et venir pour entendre la formidable artiste qu’est Lucile… »
Propos recueillis par G.ad. Photo Neo Tony Lee
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