Geneviève Casile, on croit la connaître, comme une grande dame du théâtre, un peu intemporelle. Et puis, quand on la rencontre, pimpante à peine sortie de scène (et d’une pièce très dure), on trouve une comédienne primesautière dont la jeunesse n’en finit pas de dévorer la vie et de partager sa passion. En ce festival Off 2024, Geneviève Casile joue Julia Maesa, dans Héliogabale, qui n’est pas une pièce facile. D’ailleurs, aurait-elle choisi cette pièce si elle avait été facile ?
(Héliogabale, l’empereur fou, Gémeaux, 13h30, 1h15, jusqu’au 21 juillet, relâche les 9 & 16 juillet, réservation au 04 88 60 72 20).
-Geneviève Casile, auriez-vous choisi cette pièce si elle avait été facile ?
-En fait tous les rôles sont difficiles. C’est ici une tragédie, mais pas dans les canons habituels. Le texte est écrit en prose, et c’est une histoire qui date de près de 2.000 ans, en 222 de notre ère. Mais il est vrai que c’est une histoire terrible.
-Comment fait-on pour se protéger de cette dureté ?
-C’est le métier, on fait en sorte de ne pas être trop atteint. Mais comme on a déjà fait son chemin d’apprentissage… (sourire)
-Vous n’aviez jamais joué, je crois, avec vos deux partenaires, Mickael Winum en rôle-titre de l’empereur fou, et Gérard Rouzier en préfet de Rome.
-En effet, c’est le metteur en scène qui nous a choisis et présentés, et l’alchimie a tout de suite bien fonctionné ; les rôles sont très équilibrés.
-Qu’est-ce qui vous a fait accepter ce rôle ?
-(Sans hésiter) Il est tellement contraire à moi (éclat de rire) ! ç’a été pour moi une découverte, que de forcer mes émotions à aller dans une autre direction. Mais plus la surprise est grande, plus le travail du comédien est intéressant. Ce qui me plaisait, c’est l’intransigeance de Julia Maesa. Il faut savoir aussi qu’elle appartient à toute une dynastie, tous Syriens, très proches des dieux, des oracles. Même elle a beaucoup travaillé pour monter toutes ses… disons, combines. Elle a pris une décision irrévocable par rapport à la conception qu’elle se fait de la romanité : elle préfère tuer son petit-fils Héliogabale, l’empereur régnant, pour permettre au cousin, un autre de ses petits-fils, et de la même dynastie, d’accéder au trône. Ce qui lui permettra à elle de continuer à gouverner. Avec l’aide du préfet de Rome, son seul confident, seul compagnon ; on suppose qu’ils ont été autrefois amoureux, mais ce sont deux fortes personnalités, et dans des situations compliquées. Ce qui porte Julia Maesa, c’est la volonté de tenir le plus longtemps possible, c’est un besoin obsessionnel du pouvoir qui m’épate ; c’est cela qui me la rend possible. (Un arrêt) Mais c’est aussi une femme qui écoute beaucoup… D’ailleurs, vous ne trouvez pas qu’il y a beaucoup de silences dans la pièce ?
-Pas du tout. Le temps des silences appartient à la pièce. Ils sont chargés de présence.
-Sur scène évidemment on ne le vit pas de la même façon.
-Vous aimez les personnages hauts en couleur, et les grands textes. Quels sont ceux qui vous inspirent le plus ?
-(Soupir) Il y en a tellement ! et tant de génies différents ! Molière, Racine, Tchékhov, mais aussi les romantiques, Hugo et son immense lyrisme… et les contemporains.
-Y a-t-il des rôles dont vous rêvez ?
-Vous savez, chez Racine par exemple je n’ai pas tout joué : j’ai joué Britannicus, Bérénice, Andromaque… Andromaque, quel rôle extraordinaire !
-Sans être une habituée du festival, on vous y a vue plusieurs fois, ainsi qu’à Villeneuve ; je vous avais d’ailleurs déjà interviewée en 2016 pour Un bateau pour Lipaïa. Que pensez-vous de ce début d’édition ?
-Il me semble pour l’instant un peu particulier, avec l’année scolaire encore en cours, les festivaliers pas encore arrivés… Moi-même je suis venue fin juin, alors la salle du théâtre des Gémeaux où je devais jouer a eu des problèmes de plafond, je suis repartie chez moi pour voter, et me revoilà… On a connu des éditions plus animées, mais attendons…
-On est en ce moment entre les deux tours des élections législatives. Ne pensez-vous qu’une pièce comme Héliogabale est d’une actualité puissante ?
-Evidemment, une pièce sur le pouvoir ne peut que trouver une résonance dans notre époque.
-Vous expliquiez en 2019 votre longue carrière par « un esprit de résistance ». Vous l’avez appris ?
-Même pas. Je ne pense pas que cela m’ait été inculqué par mes parents, c’est en moi. Et puis, physiquement aussi, je suis résistante, j’ai cette chance, mais qui se cultive aussi. La danse aussi m’a aidée, le Conservatoire, et tout ce que j’ai fait…
-Il est vrai que vous avez tous les talents ! Vous avez été musicienne par imprégnation (piano), danseuse par passion (chez Roland Petit et Maurice Béjart), comédienne par le hasard des rencontres, quels talents multiples ! Et 32 années à la Comédie-Française, avec, en 1968, trois 1ers prix de Conservatoire : comédie, comédie moderne, tragédie. Quel est finalement votre univers préféré au théâtre ?
-Ici je suis dans la tragédie, mais vous savez, j’aime bien faire rire aussi (un éclat de rire juvénile), et j’aime aussi le drame. En fait, j’aime quand ça sort tout seul (sourire). J’aime entendre dans la salle le rire partagé ; sa force est de la même essence que l’émotion tragique, elle a la même immédiateté. On fait ouf quand on entend la salle à l’unisson. Parce que le théâtre c’est fatigant aussi, et en retour de cet effort, c’est le public qui nous donne l’énergie.
Propos recueillis par G.ad.
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