Gautier Capuçon partagera un concert avec son complice le pianiste Frank Braley le 28 mars 2024 dans l’agréable salle de l’auditorium départemental Jean Moulin au Thor, à l’invitation de Musique Baroque en Avignon. Nous avons déjà entendu et rencontré dans la région les deux artistes, en duo ou en solo, et nous avons pu apprécier leur affabilité tout autant que leur talent. Il semble que pour beaucoup d’artistes, 2024 gonfle les agendas, et l’on ne peut que s’en réjouir, après la parenthèse Covid. Ainsi pour Gautier Capuçon : « La période est vraiment très intense avec des concerts tous les jours, des voyages, des répétitions, des retards de voyage ; et tout de même quelques moments de repos nécessaires avant chaque concert », nous a-t-il expliqué. Néanmoins il a réussi à nous offrir quelques précieux instants en audio pour nous présenter le programme du concert.
-Le concert commencera par une œuvre de Bach (1685-1750), baroque s’il en est. Dans l’œuvre de Bach, quelle est la place particulière des 3 sonates pour violoncelle et piano, et notamment de la BWV1029 ?
-Jean-Sébastien Bach, évidemment, a une place toute particulière pour nous, les violoncellistes, puisque ses Suites pour violoncelle seul (1718-1723, NDLR) sont un peu notre Bible, et notre livre de chevet, qui nous accompagne toute notre vie. Les Sonates, en revanche, sont beaucoup moins jouées, en tout cas par le violoncelle, je dirais, classique, puisqu’elles ont été composées pour la viole de gambe, mais c’est toute l’évolution aussi du violoncelle que l’on mesure ainsi. Une évolution déjà perceptible dans les Suites mais surtout dans les Sonates pour viole de gambe et clavecin (composées ou à Köthen, 1717-1723, ou à Leipzig à partir de 1723, NDLR) : d’instrument accompagnateur, le violoncelle est devenu un instrument beaucoup plus solistique. Cette troisième sonate, on la joue depuis très longtemps avec Frank. On l’a jouée, je pense, pour la première fois il y a une quinzaine ou même une vingtaine d’années. Donc, je suis très heureux de revenir avec cette troisième sonate, de retrouver Frank dans ce répertoire. Et puis, bien évidemment avec ces trois sonates de Beethoven.
-Précisément, parmi les 5 Sonates pour piano et violoncelle de Beethoven, quelle est la place particulière de l’op.5 n°2, composé presque en début de carrière, et, me semble-t-il, le seul en mode mineur de la série ?
-En mode mineur, vous avez tout à fait raison. On peut d’abord souligner, pour ces cinq sonates, que c’est un véritable voyage musical, un voyage exceptionnel que d’interpréter ces cinq sonates. Il en est de même évidemment pour les cahiers de Variations, mais nous les évoquerons un peu plus tard. C’est exceptionnel de pouvoir faire ce voyage en un concert. On joue parfois ces cinq sonates en deux concerts, ces cinq sonates. Là, le programme est quelque peu différent, avec cette sonate de Bach et les variations. Mais il est vrai que quand on peut faire ce voyage des cinq sonates dans le même concert, c’est assez extraordinaire, parce qu’elles retracent d’une certaine manière en accéléré les différentes périodes de Beethoven avec ces deux sonates, ces deux premières sonates de l’Opus 5, donc l’Opus 5 numéro 2 qu’on va interpréter.
-De même, quelles sont les caractéristiques de l’op. 69, écrit quelques années après le tournant que représente le testament de Heiligenstadt ?
-La 3e, l’Opus 69, est le point central, la clé de voûte un peu de ces cinq sonates, et également de la vie de Beethoven, puisqu’on est là un peu plus dans le romantisme de sa vie artistique. Ensuite, les deux dernières sonates, la quatrième et la cinquième, évidemment, la cinquième qui se termine avec cette fugue magistrale. C’est passionnant de faire ce voyage musical à travers ces cinq sonates et de se plonger vraiment, vraiment dedans.
-Parmi les 12 Variations pour piano et violoncelle, op. 66 en fa majeur, de 1798, s’il s’agit bien de l’air de Papageno (Ein Mädchen oder Weibchen), en quoi reconnaît-on la « patte » de Beethoven sur celle de Mozart ?
–Là aussi, c’est très intéressant de voir ces variations qui sont extrêmement délicates, parce que très courtes. En même temps, bien sûr, on a ce thème de la Flûte enchantée que tout le monde connaît. Et cette patte à laquelle vous faites allusion, cette patte de Beethoven. On ne va pas entrer dans des discours d’analyse musicale. Mais il est évident qu’on entend cette différence de période, cette différence stylistique, et puis cette différence presque architecturale de composition. Et une différence de jeu aussi, parce qu’on sent que c’est quand même Beethoven est extrêmement joueur avec ses variations. D’ailleurs, ces trois cahiers sont un peu différents. Il y a deux cahiers de variations sur le thème de la Flûte enchantée, les fa-majeur et les mi-bémol. Donc là, ce sera les fa-majeur.
-Beethoven a composé surtout pour violon et violoncelle, comme complices privilégiés du piano. Pouvez-vous en quelques mots nous dire pourquoi ?
–Vous savez, on rêve tous de poser la question à tous ces grands maîtres ! (sourire) Et c’est pour cela qu’aujourd’hui, on a aussi la chance de pouvoir travailler avec des compositeurs contemporains à qui on peut poser les questions qu’on n’a jamais pu poser, qu’on ne pourra jamais poser à ces grands génies de la musique comme Beethoven. Quand on regarde tout de même dans l’histoire de la musique, au-delà de Beethoven dont on parle en ce moment, et si l’on prend les grands chefs-d’œuvre de la musique de chambre, de Brahms, de Schubert, de Schumann, il est vrai qu’on voit des choses extrêmement intéressantes… Là, je vais me centrer un peu plus sur le violoncelle de manière un peu égoïste, mais il est vrai que le violoncelle a toujours été l’instrument utilisé par ces grands compositeurs pour exposer les sublimes thèmes des mouvements lents ; ou bien les grands thèmes chantés sont souvent exposés en violoncelle. Je pense qu’un trio avec piano, donc violon, violoncelle et piano, comporte presque un équilibre parfait, finalement, entre ces deux instruments mélodiques et le piano ; et ces deux instruments mélodiques se complètent à merveille, puisqu’on touche à tous les registres en partant du violoncelle et en montant dans les aigus avec le violon. Donc, je pense que c’est un équilibre absolument parfait. Et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles Beethoven a privilégié ces deux instruments, mais pas seulement, puisqu’il a composé d’autres instruments, même si on a la chance d’avoir tous ces trios sublimes et ces sonates pour violon et les sonates pour violoncelle.
-Quels sont vos projets estivaux dans le cadre de « Un été en France », où vous êtes très attendu ?
–Un été en France fera sa cinquième édition cette année. Je suis très heureux de voir l’enthousiasme grandissant, j’allais même dire qui explose, puisque l’année dernière, on avait des parcs avec plus de 5.000 personnes : c’est extrêmement touchant de voir toutes ces familles ! Je rappelle que ce sont des concerts gratuits pour le public. On a la chance de pouvoir faire ces concerts gratuits puisqu’Un été en France est en coproduction avec Société Générale et qu’on emmène avec nous toute une troupe de jeunes musiciens. Ce sont des concerts très importants. C’est un projet vraiment de cœur pour moi, un projet que j’ai lancé en plein Covid. La première édition s’est faite pendant l’été 2020, alors que toutes les salles de concert et les festivals étaient fermés. C’est un projet auquel je tiens énormément, et c’est un projet que j’attends toujours avec beaucoup d’impatience d’une année sur l’autre. Cette année, on repartira du 4 au 19 juillet. Il me semble que l’itinéraire de la tournée devrait être annoncé début avril, donc dans très peu de temps.
Propos recueillis par G.ad.
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