Frank Braley et Gautier Capuçon seront accueillis le 28 mars 2024 en terre vauclusienne à l’invitation de Musique Baroque en Avignon (site officiel). Les deux artistes sont en pleine tournée internationale, sans compter les engagements éventuels en solo ou en autre formation. L’un et l’autre ont eu néanmoins l’extrême courtoisie de répondre à nos questions en amont du concert.
Voir aussi notre entretien avec Gautier Capuçon,
et toute la saison de Musique Baroque en Avignon
-Frank Braley, vous avez en ce moment un agenda très chargé, et ces minutes sont d’autant plus précieuses. Vous êtes justement en tournée avec Gautier Capuçon ?
-Oui, ces jours-ci, nous avons joué l’intégrale, les 5 Sonates pour violoncelle et piano de Beethoven, en Italie, en Hollande, en Suisse…
-Le concert que vous allez donner à Vedène va de Bach à Beethoven, en passant par Mozart ; c’est un sacré grand écart, non ?
-En fait, nous pianistes avons l’habitude de parler des « 3 B », Bach, Beethoven, Brahms, qui ont entre eux une vraie filiation. Bach est très important ; il est une charnière ; il est à la fois un modèle, qui a su faire la synthèse de tout ce qui l’a précédé ; il a aussi ouvert des mondes, et il a inspiré tous ceux qui lui ont succédé. D’ailleurs Beethoven à la fin de sa vie a écrit beaucoup de fugues, sur les traces de Bach justement. Quant à Mozart dans le programme, il n’est là que comme inspiration de Beethoven, qui aimait beaucoup ce genre de variation ; il y montrait l’étendue de son imagination, dans un jeu très simple.
-A l’époque de Bach, il n’y avait ni violoncelle ni piano, stricto sensu. Les instruments d’aujourd’hui, cordes et claviers, sont bien différents…
-Le clavecin et le piano sont des cousins très proches. Et il existait à l’époque un autre instrument, le clavicorde, qui permettait déjà des nuances, et même de faire vibrer certaines notes. C’était un instrument très délicat, qui ne jouait que dans de petites pièces, parce que, à la différence du piano, il avait peu de puissance ; mais on pouvait tout de même jouer avec une dynamique. Il y avait un autre instrument que Bach utilisait beaucoup, l’orgue ; on n’a pas de dynamique pour les doigts, mais en utilisant les jeux on a des nuances et un jeu orchestral, avec des sonorités proches de ce qu’on veut restituer avec le piano moderne. Le cousinage est évident.
-Il y a donc un cousinage dans les instruments. Et quant à la partition, passez-vous de Bach au piano par des transcriptions, transpositions, réécritures ?
-J’ai l’habitude de dire que la musique de Bach est incassable, invulnérable. Au contraire de Mozart ou de Schubert, qui sont plus fragiles, comme du verre filé ! Bach, lui, résiste à tous les instruments ; je l’ai entendu jouer par toutes sortes d’instruments, les plus inattendus. Finalement, le vecteur importe peu. Le texte, lui, est toujours le même, à la virgule près. Quand je le joue, je fais souvent le rapprochement avec l’orgue, je pense aux cordes, à la voix, proche du violoncelle.
-Dans ses sonates, Beethoven a écrit pour le piano, souvent associé à des cordes, violon ou violoncelle, ensemble ou séparément. C’est un mariage d’amour, de raison, de convenance ?
-L’instrument de Beethoven, bien sûr, c’est le piano. Un instrument pour lequel il a écrit, toute sa vie, sa Comédie humaine à lui, avec 32 sonates, beaucoup de pièces orchestrales… Il a écrit 5 sonates pour violoncelle, et 10 pour piano. Dans les sonates piano-violoncelle, les deux premières sont presque des sonates pour piano, dans lesquelles le violoncelle n’est qu’un accompagnement ; la 3e, la favorite des solistes, est un vrai mariage parfait entre le piano et le violoncelle, qui dégage alors davantage sa voix lyrique ; et dans les 4e et 5e, on découvre Beethoven visionnaire, plus expérimental. Et il termine le cycle sur cette fugue magistrale, en reprenant ses racines dans le grand Bach ! Pour résumer, parfois ces sonates sont une conversation, parfois un combat, parfois un mariage, parfois une osmose. Dans le concert prochain, nous allons jouer la 2e et la 3e ; la 2e est semblable à un concerto, et la 3e laisse chanter le violoncelle, avec une sorte de course-poursuite. Il y a une rupture entre les deux premières et les autres…
-Presque 20 ans les séparent, et le fameux Testament d’Heiligenstadt… Dans un tout autre domaine, quels sont vos projets les plus proches, en solo, en duo ou autre ?
-Il y a un sujet dont je voudrais parler, c’est le CD qui vient juste de sortir, avec Gabriel Le Magadure, du Quatuor Ebène, et le Quatuor Agate, avec le grand chef-d’œuvre de Chausson, son Concert pour violon, piano, et quatuor à cordes (en ré majeur, op.21, composé entre 1889 et 1891, et dédié à Eugène Ysaÿe, NDLR), et la Sonate de Lekeu. C’est ce que j’ai envie de défendre, un projet dans lequel nous avons mis beaucoup d’énergie, beaucoup de cœur.
Propos recueillis par G.ad.
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