Nous suivons Florian Laconi, comme d’autres artistes, depuis de longues années, notamment depuis un fameux Ferrando en 2006 à l’Opéra-Théâtre d’Avignon (photo). A travers opéras, récitals, et le grand rendez-vous annuel de Musiques en Fête, le ténor trace une carrière solide, marquée par le talent et l’authenticité. Il incarne un certain Alfredo dans ce drôle de spectacle qu’est Opera Locos, « une espèce d’Ovni dans le milieu lyrique », comme il le dit lui-même… Rencontre avec un artiste toujours enthousiaste et chaleureux.
-Florian Laconi, c’est sans doute là une question qu’on vous a posée bien des fois : quelle est la genèse de ce spectacle Opera Locos ?
–Tout est parti d’une troupe espagnole très connue, Yllana, qui produit beaucoup de spectacles déjantés autour de la musique (une trentaine depuis 1991, NDLR). C’était en 2017 ou 2018. La troupe est venue en France en 2019 faire quelques dates à Bobino. Le producteur de Bobino, qui est aussi le nôtre, a trouvé ce spectacle tellement génial qu’il a voulu créer une troupe française pour faire tourner ce spectacle en France.
-Il avait déjà en tête une distribution ?
–On nous a donc tous castés. Moi j’ai eu un casting un peu spécial : je chantais alors à l’opéra de Saint-Etienne, j’ai fait l’aller-retour dans la journée ; les autres ont eu un casting sur plusieurs jours, au lieu d’une heure ou deux pour moi… (rire)
-Votre carrière parle suffisamment pour vous…
–On était évidemment plusieurs à être castés, mais aujourd’hui on serait encore bien plus nombreux ! Samedi à La Ciotat ce sera notre 235e représentation, et on a déjà fait 3 exploitations parisiennes, on aura la 4e à Bobino en novembre.
-Le succès populaire a été immédiat.
–Oui, mais c’était une espèce d’Ovni qui arrivait dans le milieu lyrique. Nous chantons sur une bande-son avec micro, dans une salle de music-hall, pas dans une salle d’opéra. Le milieu se posait des questions. Et puis maintenant, on commence à voir dans la salle des chanteurs lyriques de renom, et qui nous disent que c’est génial ! Nous l’avons donné dans un théâtre libre à Paris, dans le 1er arrondissement ; très régulièrement, les 900 places étaient complètes. On a déjà un public fidèle, et quelques fans inconditionnels….
-Le spectacle est toujours identique ?
–Oui, c’est une sorte de « franchise », même si le terme n’est pas exact. Nous sommes liés à la troupe espagnole, nous avons des contrôles, nous devons envoyer régulièrement nos vidéos pour vérification. Comme Noureev quand ses chorégraphies créées à l’Opéra de Paris ont été reprises ailleurs.
-Quelle est la part de vous qui fait vivre votre personnage ?
–La première, et la plus évidente, c’est ma voix. J’ai la chance d’avoir un rôle vraiment taillé sur mesure ; c’est un pur hasard, mais c’est une chance ! Je n’ai donc aucune difficulté vocale, même si je chante Pagliacci ou Turandot. Cela tombe parfaitement dans ma voix naturelle. Pour d’autres c’est peut-être plus difficile, ils font le yoyo ; pour la soprano, par exemple, entre Butterfly et la Reine de la Nuit.
-C’est un spectacle plein de rythme et de drôlerie….
-Il y a aussi beaucoup de théâtre.
-Le théâtre, c’était votre première vie…
–Oui, c’est un retour à mes premières amours. L’avantage ici c’est de n’avoir aucune barrière. Ce sont tous des tubes de l’opéra, et les tubes de l’opéra sont très nombreux, et de la pop aussi… Environ 80 morceaux différents en 1h20, en extraits, bien sûr. Mais que des tubes ! La 1e barrière saute ainsi : tout le monde les connaît, l’inconscient collectif est plein de tous ces airs. Et puis il n’y a pas non plus la barrière de la langue, ce n’est que du mime. Il n’y a pas de limite d’âge, c’est totalement accessible, pour tous les milieux sociaux. Ce que veut ce spectacle, ce n’est pas populariser l’opéra, c’est lui redonner sa vraie place de spectacle populaire. L’opéra c’est la musique populaire ou le juke-box d’il y a une petite centaine d’années ! Pour tous les spectateurs, c’est le bonheur d’entendre, de réentendre ou de découvrir l’opéra. C’est simple et drôle. D’ailleurs on a eu plus de 100.000 spectateurs ! C’est ce qu’indique la dernière affiche de Bobino. Ce n’est pas une parodie d’opéra, nous sommes tous des chanteurs d’opéra, nous chantons avec nos voix lyriques. Ce ne serait d’ailleurs pas drôle ni déjanté si nous n’avions pas les capacités vocales.
-Vous chantez donc sur bande-son ?
–Sauf une expérience unique mais intéressante. Nous avons chanté avec l’orchestre de Vendée l’été dernier pour 2 représentations ; il avait fallu faire l’adaptation.
-Le spectacle est passé par des festivals, comme celui de Lacoste, me semble-t-il (le 15 août 2021, NDLR)…
-On était déjà à plus de 100 représentations. On avait été invités…
-…Par Pierre Cardin ?
–Il n’était déjà plus là (décédé le 29 décembre 2020). Mais il y avait Eve Ruggieri. Et on a eu une autre expérience exceptionnelle au Festival de Ramatuelle ; on avait été invités post-Covid sur cette mythique scène qui a été foulée par Gérard Philipe et Brialy ; et comme nous sommes tous comédiens...
-J’imagine qu’à côté d’Opera Locos, vous avez d’autres projets ?
–Oui, des rendez-vous opératiques. A Saint-Etienne, ce sera aussi une reprise post-Covid, plutôt un report, de La Nonne sanglante de Gounod, qui avait été annulée au 2nd confinement ; avec une belle distribution, d’artistes français, Jérôme Boutillier, Erminie Blondel… : de très beaux jeunes chanteurs. C’est une œuvre rare ; pour moi c’est une prise de rôle, un rôle difficile, exigeant, que j’espère réussir ; j’ai encore un aigu frais, et une endurance vocale et scénique. Et nous aurons en 2024 un autre report, L’Africaine de Meyerbeer. J’aurai la chance d’être avec Karine Deshayes et Florian Sempey. Également une autre reprise, celle de Barbe-Bleue d’Offenbach, la production de Lyon, qu’on reprendra à Marseille…
-Nous irons évidemment vous entendre.
–Avec plaisir. Ce sont tous de jolis projets lyriques. Et puis quelques autres, mais dont on ne parle pas encore !
-Et Musiques en Fête, peut-on en parler ?
–Bien sûr, (rire), on peut « toujours » parler de Musiques en Fête ! Le succès est toujours présent (voir notre compte rendu de l’édition 2022… entre autres). Mais on ne m’a pas encore contacté cette année.
-Vous faites partie la « troupe » de Musiques en fête.
–Tout à fait, je fais partie du fond de troupe. C’est ce que voulait Alain Duault à l’origine, comme les Enfoirés pour les Restos du Cœur. Ce spectacle est une réussite, par ce mélange de genres et de talents, de styles différents. J’espère qu’on fera appel à moi cette année ; mais même si on ne m’appelle pas, je me serai régalé pendant toutes ces années, j’ai fait des rencontres formidables…
-Vous avez fait partie de la toute première équipe, c’était une prise de risque, un pari…
–Quand on voit la présence du public, on se dit que ce n’était pas vraiment une prise de risque… En fait, on a supprimé l’opérette partout depuis longtemps. Or il y a un vrai public pour l’opérette ! Ce n’est pas un risque ! On a l’impression que les programmateurs font une fleur quand ils donnent une opérette, mais c’est faux ! A Nice on n’avait pas donné d’opérette depuis plus de 30 ans ; on a joué La Fille du tambour-major, dans la production de Paul-Emile Fourny ; on a fait 3 représentations pleines ! Et remplir l’opéra de Nice, ce n’est pas facile (1.083 places ; pour mémoire, les autres maisons d’opéra de la région comptent 950 places pour Avignon, 1.800 pour Marseille, 1.797 pour Toulon et 635 pour Monte-Carlo. NDLR) ! Ce n’est pas une prise de risque, c’est une prise de conscience. Autrefois, il y avait Jacques Chancel, Eve Ruggieri, Alain Duault, en prime time, pendant des années, et il n’y avait alors que 3 chaînes. Maintenant il serait normal qu’il y ait au moins une chaîne à une heure de grande écoute pour ce type d’émission ; le succès serait immédiat pour un spectacle qui essaie de promouvoir l’art lyrique dans ce qu’il est de plus naturel, un art populaire.
-Vous avez terminé une série de représentations à Bobino ce 29 janvier ; vous donnez encore une représentation ce samedi 4 février au théâtre de la Chaudronnerie à La Ciotat ; comment présenter le spectacle à un public qui ne le connaît pas du tout ?
–Nous employons l’opéra pour faire comme une rétrospective de l’opéra, de Haendel à Verdi, en intégrant Mika ou Sinatra. Les chanteurs populaires des années 80 auraient pu, en un autre temps, être des chanteurs d’opéra. Et ce parallèle touche un large public. Dans les salles il y a beaucoup de mélomanes, qui nous disent : vous ne dénaturez pas l’opéra… Et à la fin, comme dans les concerts pop, la salle est debout, tape dans les mains…
Opera Locos c’est une belle initiative autour de la musique lyrique, sans la dénaturer, sans la moquer. On la sert avec beaucoup d’amour, beaucoup de tendresse. Et on a de très heureux retours. Sur 230 représentations, si on a pu au moins sensibiliser une petite centaine de spectateurs à appréhender de façon différente l’opéra, on aura gagné.
-Il peut y avoir un peu de frustration à n’entendre que des extraits ?
–J’ai créé sur la plate-forme Deezer la play-liste d’Opera Locos, parce que dans le spectacle on entend ou un air ou un extrait ou parfois quelques notes seulement. Donc, pour continuer l’écoute à travers des voix illustres, j’ai créé cette play-list en v.o., des quelque 80 airs chantés en intégralité par d’illustres collègues.
-Vous n’avez pas de problème de droits ?
–Ces musiques sont en écoute libre sur la plate-forme. Et ces airs, dans le spectacle on les apporte au public ; on va vers eux, dans la périphérie de Paris, dans des théâtres modestes, on rencontre tous les milieux sociaux, on est vraiment très contents. On leur dit : continuez à être curieux, un jour vous pousserez une porte d’opéra, et vous y reviendrez. Il y a souvent tarifs spéciaux, avec des places moins chères que le cinéma, ou qu’un concert pop, ou qu’un match de foot… L’opéra c’est la chanson populaire par excellence.
Propos recueillis par G.ad. Photos G.ad. et Studio Harcourt
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