Invitée pour la troisième fois au Festival IN, la metteure en scène italienne Emma Dante présente pour cette 75e édition deux spectacles au Gymnase du lycée Mistral du 16 au 23 juillet 2021 (relâche le 20) : Misericordia à 15h et Pupo di zucchero (en français « statuette de sucre ») à 19h. Elle se confie sur son processus de création.
-Les deux spectacles que vous présentez dans le In sont écrits en dialectes italiens, et même en italien du XVIIe siècle ! Quel intérêt de recourir au dialectal, pour vous qui avez fait vos armes théâtrales à Rome ?
–Pupo di zucchero (notre compte rendu du spectacle ici) est tiré d’une fable de Gianbattista Basile, un auteur napolitain du XVIIe siècle. La langue du spectacle est celle de son Pantaméron, un recueil de fables traditionnelles où j’ai puisé de nombreuses pistes de réflexion sur des thèmes universels de la vie. A l’inverse, Misericordia est une écriture originale, née d’un an et demi d’ateliers de travail avec les actrices – Italia, Leonarda et Manuela qui interprètent les trois mères, et Simone, qui interprète Arturo -. Avec ma compagnie, je travaille beaucoup à partir d’improvisations ; avec eux, j’élabore les personnages en partant de leur langue maternelle. Ce sont les acteurs eux-mêmes qui me suggèrent la voix du spectacle, en lui donnant, grâce à leur manière de parler, une forte identité.
–Pupo di zucchero fait référence à une tradition de l’Italie méridionale. Laquelle ?
-Au Sud, le culte des morts est très ancré. Selon la tradition méridionale, il est de coutume d’organiser des banquets riches en gâteaux et biscuits, en échange de cadeaux que, le 2 novembre, les parents défunts apportent aux enfants depuis le royaume des morts. Durant le rituel, cette nuit-là, le repas est un moment d’anthropophagie familiale symbolique ; au sens où, à l’origine, la valeur des gâteaux anthropomorphes était celle de représenter les âmes des défunts. En les mangeant, c’était comme si on se nourrissait de nos êtres chers.
Dans Pupo di zucchero, un vieil homme resté seul dans sa maison, là où autrefois, il vivait avec toute sa famille, invite à sa table ses chers défunts. Dans la nuit du 1er au 2 novembre, il laisse les portes ouvertes pour les faire entrer.
– Pupo di zucchero et Misericordia évoquent par leurs titres la religion ou la tradition catholique. Quel est votre rapport d’artiste au religieux ?
-Je ne suis pas pratiquante, je ne fréquente pas les églises, parce que je ne crois pas en Dieu. Dans mes spectacles, les éléments sacrés, comme les crucifix accrochés aux murs, les chapelets ou les images pieuses, décorent les maisons où vivent mes personnages. Les symboles religieux font partie de la routine, ils existent, ils sont présents dans le quotidien, toujours. Pour moi, l’au-delà est le lieu métaphysique que le théâtre réussit à évoquer. Il me semble que par l’expérience théâtrale, ensemble, en communauté, on peut accepter et affronter la présence dérangeante de la mort.
-Vous collaborez avec le sculpteur Cesare Inzerillo. Dans Sorelle Macaluso, vous vous étiez inspirée du théâtre de marionnettes de Sicile. Comment ces domaines artistiques interviennent-ils dans votre travail avec les acteurs ?
-Je crois beaucoup aux introductions de modes d’expression différents, à la synthèse immédiate qu’un élément comme la sculpture peut provoquer dans l’amalgame du théâtre vivant. Les dix sculptures créées par Cesare Inzerillo montrent le corps obscène de la mort, et libèrent la mort du tabou auquel nous sommes habitués. La mort n’est plus scandaleuse ; ce que le protagoniste voit et nous montre est une partie indissociable de la vie. Cela ne peut que nous émouvoir. La pièce, embellie par les souvenirs, devient une salle de bal où les morts, retrouvant leurs habitudes, fêtent la vie.
-Vos mises en scène ont peu de décors, et plongent les acteurs dans le noir. Pourquoi ?
-Par rapport à ma manière de raconter les histoires, je considère la scénographie comme un encombrement inutile. J’aime que les acteurs et les actrices dialoguent avec les plus petits éléments face auxquels ils se trouvent : un verre, un tabouret, une clochette… Ces objets qui sont pour nous inanimés, pour les acteurs et les actrices deviennent des interlocuteurs et compagnons d’aventure. La chaise est une actrice et parle avec le personnage incarné par une actrice.
Propos recueillis par S. G.-T. et traduits par Lucile Garcia. Photo Carmine Maringola
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