Le nom de Claire-Marie Le Guay évoque immédiatement la sensibilité, la précision, l’exigence. Elle jouera avec l’Orchestre National Avignon-Provence le 19 avril 2024 le Concerto pour piano de Clara Wieck. On la retrouvera le 10 août 2024 au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron. Malgré le délai très court, Claire-Marie Le Guay n’a pas hésité à nous répondre, à quelques jours du concert symphonique.
-Claire-Marie Le Guay, vous allez jouer sous peu l’unique concerto pour piano (op. 7 tout de même !) de Clara Wieck (bientôt épouse Schumann), qui avait tout juste 16 ans en 1835. On prétend que ses œuvres – peu nombreuses d’ailleurs – ont été inspirées par des compositeurs baroques. Est-ce le cas de ce Concerto ?
-Ce concerto est avant tout l’œuvre d’une pianiste extraordinaire, d’une virtuosité exceptionnelle. Sa maturité également est remarquable, puisqu’elle est toute jeune en effet, et qu’elle a elle-même créé l’œuvre au piano sous la direction de Félix Mendelssohn. C’était une personnalité pianistique et humaine très forte. La démonstration technique est impressionnante. C’est une jeune femme qui s’impose, et qui témoigne d’une modernité extraordinaire.
-Les 3 mouvements de ce Concerto sont composés dans des tonalités différentes, et surtout les 2 allegros en la mineur, et l’andante en majeur ; c’est assez rare ?
-Oui, cela donne une coloration différente, plus sombre, pour les allegros, et plus intime pour le mouvement lent. On entend un véritable duo entre le piano et le violoncelle ; le piano développe un thème, très beau, puis le violoncelle arrive, puis l’orchestre. On peut dire que le premier mouvement est très affirmé, le deuxième intime et le troisième brillant. Le concerto se développe un peu comme un opéra.
-Vous évoquez le violoncelle et l’orchestre. Avez-vous déjà travaillé avec l’Orchestre National Avignon-Provence ?
-Non, ce sera notre première collaboration. Je compte que ce soit une très belle rencontre ; toute rencontre cristallise toujours quelque chose de nouveau, et chacun avec sa personnalité s’en enrichit pour le futur.
-Clara Schumann a très vite abandonné la composition, et son époque n’a pas été tendre pour les compositrices. On (re)découvre aujourd’hui – et l’Onap participe activement à cette redécouverte – des Charlotte Sohy ou Louise Farrenc (1804-1875), Augusta Holmès (1847-1903, qui a même écrit, dans un autre domaine, Trois anges sont venus ce soir !!!!), ou Cécile Chaminade (1857-1944 ; 80e anniversaire de sa mort). La situation des femmes compositrices a-t-elle beaucoup changé aujourd’hui ?
-La situation des compositrices a bien changé en effet, et vous soulignez qu’on redécouvre les compositrices romantiques qu’on avait totalement oubliées. Dans le cas de Clara Schumann, il s’agit sans doute d’un conflit de créativité avec Robert. Mais on ne peut pas oublier le rôle essentiel qu’elle a joué auprès de lui ; elle a provoqué la naissance d’œuvres, elle a accompagné, elle a été l’inspiratrice d’œuvres extraordinaires ; elle a été la conseillère de Schumann, elle a joué ses œuvres. J’aime penser qu’elle vraiment écrit avec lui, en union créatrice.
-C’est du moins l’image que le couple a laissée. Auprès de Brahms aussi, Clara a eu un rôle important.
-Oui, de même qu’elle a été admirée de Liszt, et que Mendelssohn aussi lui était très attaché. C’était une femme exceptionnelle. Elle organisait elle-même ses tournées en Europe, elle louait les salles, programmait les concerts…
-Elle était à la fois l’artiste et l’agent..
-Elle était indépendante, courageuse ; on garde le souvenir de ses nombreux voyages ; sans oublier qu’elle avait 8 enfants !
-On a pourtant quelques témoignages où son mari affirmait que la cuisine était pour une femme une occupation bien suffisante…
-C’est sans doute faux. Il voyait en elle une femme de talent. Mais le conflit d’écriture existait entre eux… Il reste que ce concerto est très beau, et il est très enthousiasmant de le jouer.
-Vous êtes par ailleurs une fidèle du festival international de piano de La Roque d’Anthéron. Vous y donnerez cet été, le 10 août, une soirée particulière, un concert famille, avec Erik Orsenna. Quelle en a été la genèse ?
-Nous nous sommes rencontrés, avec Erik Orsenna, sur un plateau de télévision, la Grande Librairie. Erik Orsenna est un passionné… Vous le connaissez ?
-Oui, je l’ai déjà rencontré.
–Il est passionné de musique, pianiste amateur, passionné de tout. On dira un découvreur passionné (rire) ! Et la musique de Bach est centrale pour beaucoup d’entre nous, et pour nous en particulier. Ç’a été le point de départ de ce programme des Trois amours de Bach, qui met en lumière le rôle des femmes pour le compositeur, et notamment de Magdalena, grâce à laquelle Bach a écrit des pages magnifiques. Dans notre projet, la musique et le texte se répondent. On peut dire que c’est une écriture à quatre mains.
-Vous évoquez la genèse du projet. Mais le cheminement, comment s’est-il fait ? Erik Orsenna a d’abord écrit le texte, ou vous-même avez choisi les œuvres à jouer, ou les deux en même temps ?
-Textes et œuvres sont entremêlés, dans un cheminement commun, partagé. Une écoute commune. C’est un sujet très vaste, sur lequel nous avons fait un travail de mise en commun, de dialogue, de tissage. Nous avons avancé ensemble.
-C’est une création pour La Roque, ou c’est un projet qui a déjà vu le jour ?
-Il a été créé l’été dernier, en 2023. Et nous l’avons joué plusieurs fois en cours de saison.
-J’imagine qu’il a évolué, mûri ?
-Il a mûri, et il continue à mûrir, à s’enrichir. Et il est sans doute amené à évoluer encore. Et il est nourri également de toutes nos années antérieures. C’est une collaboration de confiance, et le prolongement de mon activité d’enseignement. Le cheminement se poursuit.
Propos recueillis par G.ad. Photo Lyodoh Kaneko
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