Le Festival d’Avignon, c’est une première expérience pour la soprano Caroline Casadesus. Si le titre de La Dame sans son chien peut paraître quelque peu incongru, il n’est pas pour autant sorti e nihilo. La soprano Caroline Casadesus endosse avec finesse, pour son bonheur et celui du public, le costume et la vie d’une femme qui découvre, grâce à une rencontre, son potentiel vocal… en même temps qu’une histoire d’amour !
Elle-même respire la légèreté, le sourire, et, dans l’élégance discrète, elle a réussi à se faire un prénom, au cœur d’une famille où le talent semble être un cadeau du berceau : de l’immense comédienne Gisèle Casadesus sociétaire de la Comédie-Française, sa grand-mère, jusqu’à ses fils Thomas (voir notre entretien et compte rendu de son concert avignonnais en 2017) et David Enhco, musiciens de jazz, en passant pas son père Jean-Claude Casadesus, chef d’orchestre renommé, et même sa nièce la soprano Tatiana Probst (voir notre entretien en 2020).
Nous nous garderons bien d’évoquer son illustre famille, laissant à l’artiste le choix des allusions volontaires. Voir par ailleurs notre critique du spectacle.
-Quand Cerise Guy vous a proposé cette pièce, qu’a évoqué le titre pour vous ?
–Il s’agit d’une libre suite de Tchékhov, La Dame au petit chien, un auteur que j’adore. Cerise Guy a eu la gentillesse extrême d’écrire pour moi, et j’ai été touchée et émue qu’elle souhaite me mettre en scène. Elle a éveillé en moi curiosité et enthousiasme : comment allait-elle ajouter la musique, et faire une pièce de théâtre avec du chant, pour une femme à la fois actrice et chanteuse ?
-On vous connaît chanteuse lyrique, on connaît aussi votre goût pour les projets pluridisciplinaires, comme Le Jazz et la Diva, ou les pièces avec Alain Sachs ou d’autres… Vous semblez vous régaler dans la fantaisie ; pensez-vous que la fantaisie est un bon chemin pour amener à la musique classique un nouveau public ?
-C’est une question interpellante (sourire), que je ne suis pas sûre de comprendre complètement pour y répondre. Ce que je peux vous dire, c’est que Cerise met en scène l’acte vocal comme un acte vitale, primordial, qui dépasse la passion amoureuse. On découvre que cette femme revient, 30 ans après, sur le lieu où elle avait fait une rencontre ; elle revient sans savoir pourquoi, sans même chercher quelque chose. Le moteur de sa vie, c’est le chant, peut-être la seule énergie pour elle. Elle chante comme elle respire… comme moi. Je ne suis pas une chanteuse lyrique, obsédée par la technique vocale ; j’ai la chance d’avoir une voix naturelle. Dans cette pièce, je chante des airs très différents : Rachmaninov, Fauré, mais aussi Polnaref, ou « J’attendrai », ou Suzy Delair (« Moi j’coûte cher ») ; j’emprunte le chemin des noisettes…
-Ce parcours de chanteuse qui se découvre peu à peu, le croyez-vous encore possible ?
-Sincèrement, oui. D’ailleurs, dans cette histoire, il y a des bribes de ma vie ; le personnage n’est pas moi, mais par certains traits nous avons un parcours assez proche. Moi aussi j’ai commencé tard ; j’ai d’abord fait 5 ans d’études d’histoire en Sorbonne après le bac, et j’ai fait un mémoire sur Mme de Staël et la Révolution. Puis ma grand-mère m’a poussée vers un cours de théâtre, et la musique m’a rattrapée ; j’adore le théâtre, mais ma vie c’est la musique. J’ai tout de même commencé très tard, à 25 ans, déjà maman de 2 petits garçons (Thomas et David Ehnco, tous 2 talentueux musiciens, NDLR). Un chanteur peut commencer plus tard qu’un instrumentiste ; le travail sur le corps est différent ; pour nous, c’est une approche instinctive, et l’instrument se forge avec la maturité. Pour le piano, ou le violon, il faut une formation musicale plus poussée.
-Vous vous nourrissez néanmoins d’approches diverses ?
-C’est une vraie richesse ! Je viens d’une famille très classique, et mon père a sans doute été le 1er à décloisonner les genres ; j’ai travaillé avec Jacques Higelin, j’ai enregistré Pierre et le Loup, j’ai travaillé avec William Scheller, avec mon défunt mari Didier Lockwood, qui était un immense musicien de jazz.
-Le jazz est-il un univers différent ?
-Tout à fait. J’ai appris à improviser, à lâcher la partition, à prendre des risques, ce que font aujourd’hui de plus en plus de musiciens classiques. Pour moi qui ai commencé tard, les rencontres avec d’autres musiciens ont été riches. C’est un peu ce que propose Cerise Gay, de décloisonner.
-Justement cette prise de risque est la garantie de l’authenticité.
-La pièce explore le tourment amoureux, l’ambivalence du sentiment, le trouble, la sincérité ; cette femme est sympathique et agaçante à la fois… C’est un peu le parcours de toutes les femmes, avec les doutes, les interrogations, les peurs, les sincérités…
-L’un de vos compagnons de scène, Gille Ramade, est le père de la soprano Elsa Dreisig ; est-ce que cela crée des liens, ou le monde lyrique est-il un univers impitoyable ?
-Avec Gilles Ramade, nous nous connaissons depuis plus de 30 ans, il a un parcours incroyable, une magnifique carrière lyrique, il a chanté Pelléas et Mélisande, il joue du piano, fait de la mise en scène ; il a appris seul le jazz, l’improvisation ; c’est un partenaire merveilleux. Il n’a pas grand-chose à prouver, comme moi ; ce que nous faisons, c’est nous faire plaisir en faisant fi des étiquettes.
-Et votre autre partenaire ?
-Emmanuel a un rôle important ; je ne le connaissais pas, mais c’est comme si on avait découvert quelque chose qui nous lie. A 50 ans passés, on a joué comme des adolescents, et nous avons pris plaisir à le faire.
-Vous-même passez d’un univers à l’autre avec une facilité déconcertante.
-J’ai beaucoup travaillé, mais j’ai la chance d’avoir embrassé deux cultures, c’est une vraie richesse. En fait, je viens du classique, mais je ne fais que flirter avec le jazz ; c’est un autre monde, les règles harmoniques et rythmiques sont différentes, la structure mentale est fine.
-Vos fils, eux, ont pleinement embrassé le jazz.
-Si je parle d’eux, je vais parler pendant des heures (rire) ; je suis tellement fière d’eux ! Thomas se produit ces jours-ci à Saint-Rémy-de-Provence, et ils viendront tous deux me voir jouer le 21 ; cela me touche profondément.
-Vous parlez de deux mondes, mais vous semblez aussi à l’aise dans l’un que dans l’autre…
-C’est difficile de passer d’un registre à l’autre, du parlé au chanté, du parlé léger au plus intense, et entre Saint-Saëns et Piazzola, ou Suzy Delair, ce n’est pas la même embouchure, pas la même ligne de chant, pas la même approche mentale. Mais j’ai la chance d’avoir un corps très entraîné, une bonne santé, je fais beaucoup de sport, j’ai une bonne hygiène de vie, un sommeil régulier… et un héritage de solidité : mon père à 86 ans dirige toujours des orchestres symphoniques un peu partout dans le monde ; et ma grand-mère était encore sur scène à 100 ans ! Et on a toujours travaillé pour être compris ; ma grand-mère Gisèle, sociétaire de la Comédie-Française, disait que la diction est la première des politesses. Et quand on est compris, un véritable échange peut se nouer avec le public ; il nous renvoie les émotions, on ne se sent plus seul. Sur scène, on a besoin du public et de ce qu’il émet.
-Comment vivez-vous l’expérience particulière du Festival d’Avignon ?
-C’est mon 1er Avignon, comme Emmanuel ; pour Gilles Ramade c’est déjà la 5e fois, il était venu avec Piano furioso. On a bien conscience que c’est difficile de convaincre avec une création. Nous avons répondu à l’envie de Cerise Guy, et nous avons pris un gros risque, mais nous sommes heureux et fiers de l’avoir fait. Pour ma part, j’aime rencontrer les gens, aller au-devant d’eux dans la rue ; les gens ne savent pas obligatoirement ce qu’ils vont voir, mais ils découvrent une histoire simple, fraîche, triste, humoristique… Parfois on me reconnaît, mais ce n’est pas l’essentiel. Oui, je tracte dans la rue, mais une heure seulement, vous savez, je chante et je joue, je dois aussi me préserver ; c’est fatigant sous le soleil ! J’aime le contact, la transmission. Ce n’est pas parce qu’on porte un nom qu’on aura du succès ; il faut aller au-devant des gens, les interpeller, ça fait partie du jeu ; je leur explique que c’est Tchékhov ; vous avez remarqué ? Nulle part sur l’affiche le nom de Tchékhov n’apparaît !
-Le Festival est une épreuve physique, parfois un marathon pour beaucoup d’artistes. Vous-même, vous êtes hébergée à Avignon, ou vous avez pu prendre de la distance ?
-J’ai la chance d’être au Thor, invitée par une amie, à quelques kilomètres d’Avignon. Je peux m’y ressourcer, avant de replonger dans le monde foisonnant de la ville.
-Vous pouvez être confiante, et la pièce a trouvé son public dès les premiers jours…
-C’est en effet ce que j’éprouve. C’est une jolie histoire, la mise en scène est sobre et efficace.
-Votre personnage chantonne, seule devant la mer, rêveuse, après la perte de son chien et de son mari. Caroline Casadesus, vous-même, avez-vous un chien ?
-(rire) J’en ai 8 : je vis à la campagne, j’ai de l’espace. En fait, je ne l’ai pas choisi, mais je recueille des animaux perdus…
Propos recueillis par G.ad.
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