Bruno Rigutto : il revient à Chopin
Bruno Rigutto, au talent à la fois poétique et puissant, vient d’enregistrer à nouveau, 40 ans plus tard, les Nocturnes de Chopin, qu’il interprète également au Festival de La Roque d’Anthéron 2020. Rencontre avec un artiste généreux.
Bruno Rigutto est un pianiste, compositeur et chef d’orchestre français. Il a étudié au Conservatoire de Paris et a été un élève de Samson François. Lauréat des concours Marguerite-Long en 1965, et du Tchaïkovsky à Moscou en 1966, il a débuté très tôt une carrière internationale. Il a joué sur de grandes scènes avec des chefs prestigieux : Kurt Masur, Carlo Maria Giulini, Lorin Maazel, Georges Prêtre…
Capable à la fois d’une poésie subtile et d’un lyrisme puissant, Bruno Rigutto avoue avoir reçu de Samson François, dont il fut le disciple pendant dix ans, « le sens de la liberté dans la musique, la générosité, le besoin d’imagination, et surtout le sens du toucher ».
Sa discographie est importante et vient de s’enrichir de l’intégrale des Nocturnes de Chopin saluée par la presse. Il est invité au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron 2020. Notre compte rendu de concert ici.
Nous l’avons rencontré pour Classiqueenprovence
-D.B. Il y a 40 ans, vous enregistriez l’intégrale des Nocturnes de Chopin, intégrale dédiée à la mémoire de votre maître Samson François. Vous venez de réaliser un nouvel enregistrement dans leur ordre chronologique de composition. Quelle a été votre relation avec Chopin durant toutes ces années?
-B.R. Pour moi, la musique de Chopin, c’est une approche qui demande un toucher vraiment très varié, très sensuel, charnel presque. Le chant est important, il ne faut pas le limiter à ce que serait une mélodie séduisante. Tout le monde veut jouer Chopin mais il faut être adulte pour le jouer car il est complexe. Mon attirance vers Chopin était totale. Je m’y suis entièrement consacré pendant très longtemps parce que je n’arrivais pas à obtenir ce que je voulais, c’était devenu un peu mon obsession.
-D.B. Votre premier contact avec Chopin quel fut-il ?
-B.R. Oh oui, je m’en souviens, c’était une Valse en si mineur, j’avais 8 ans et c’était le premier morceau que l’on m’avait donné à travailler, c’était comme si j’avais un bonbon ! C’était tellement différent des études et autres pièces techniques habituelles que je me suis régalé avec cette œuvre-là !
-D.B. et votre premier souvenir en tant qu’interprète ?
-B.R. Mon premier souvenir sur scène avec Chopin, c’était plutôt la tension que cela demande pour garder l’âme de l’œuvre, pour ne pas en faire une musique banale, simplement élégante.
–D.B. Comment cela se passe-t-il lorsque vous montez sur scène ? Le trac ? L’euphorie ?
-B.R. Toute ma vie, je n’ai jamais fait un concert sans le trac ! C’est quelque chose qui est en rapport avec, non pas la peur de faire des bêtises, de mal jouer, mais avec la peur de ne pas être à la hauteur de ce que je veux faire !
Sur scène, je mets toujours un parfum pour m’isoler du trac, d’ailleurs beaucoup d’artistes font ça. Cela crée comme une bulle, comme un nuage qui tourne autour de moi et qui m’isole de l’instant.
-D.B. Pour certains pianistes, Chopin est avant tout un révolutionnaire, pour d’autres l’éternel romantique ; et le vôtre ?
-B.R. C’est compliqué. On peut voir Chopin comme un révolutionnaire à cause de son appartenance à la Pologne qu’il a quittée, mais pour moi, s’il est révolutionnaire, c’est au niveau des harmonies. C’est un moderne, un génie des changements harmoniques, ses modulations sont absolument incroyables dans ce sens-là, dans sa façon de se départir de ses contemporains et des musiciens antérieurs à son époque, il est très révolutionnaire.
-D.B. Envisagez-vous une autre intégrale ? Valses, Etudes, Préludes ou Mazurkas ?
-B.R. Non ! jamais ! parce que je n’aime pas les intégrales ; celle des Nocturnes je l’ai faite parce que c’est une belle continuité, en plus elle est enregistrée dans l’ordre chronologique de composition. Cela permet de voir tout ce que le compositeur a voulu progressivement raconter de sa vie à travers ces Nocturnes; mais les intégrales, je ne suis pas doué pour ça, car il faudrait s’y plonger totalement. En fait, je ne joue que ce qui me convient. Dans une intégrale, j’aurais l’impression de ne pas exprimer quelque chose d’essentiel ! Par exemple pour Scarlatti que je travaille beaucoup, je ne peux pas jouer 560 sonates en y racontant quelque chose de vrai ! Il existe des musiciens qui sont plus enclins à plonger totalement dans une musique, que ce soit Beethoven, Brahms ou Chopin, et bravo pour eux !
-D.B. Vous enseignez à de nombreux élèves, au conservatoire (CNSM), à l’Ecole Normale de Musique et sur le site « je joue du piano.com ». Quel maître êtes-vous? Celui qui imprime sa personnalité ou le professeur qui s’adapte à celle de l’élève ?
-B.R. Evidemment, j’ai la chance d’avoir des élèves qui ont un bon niveau. Je suis celui qui comprend l’élève, je lui fais part de mon option pour un style sans pour autant l’imposer. Par exemple les Nocturnes de Chopin, beaucoup d’élèves pianistes jouent bien les Nocturnes, je ne vais pas leur enlever leur talent ! j’ai parfois un avis un peu différent sur leur interprétation mais c’est tout !
-D.B. Le 12 août vous jouez à Courchevel dans le cadre des Fêtes Musicales de Savoie, au programme : Schumann, Chopin et Ravel. Pourquoi ne pas produire le même programme varié à La Roque d’Anthéron ?
-B.R. Non parce qu’à La Roque d’Anthéron, c’est René Martin qui m’a demandé de jouer l’intégrale des Nocturnes. Il a entendu mon disque et l’a programmé.
-Autres concerts prévus :
Le 8 octobre 2020 à 18h concert à la Sainte Chapelle Schumann, Chopin, Liszt, Ravel.
Du 17 au 20 octobre Festival des Lisztomanias de Châteauroux, Académie d’interprétation pour jeunes solistes autour de Beethoven.
le 20 octobre, toujours à Châteauroux, concert en trio avec Marc Coppey violoncelle et Nicolas Dautricourt violon, pour un programme Beethoven, Liszt et Tchaikovsky.
-D.B. Comment avez-vous vécu cette période de confinement avec la crise COVID ?
-B.R. J’en ai profité pour travailler mon ancien répertoire. J’ai dû jouer 600 œuvres dans ma vie, donc j’ai repris des choses un peu oubliées. J’ai sorti de ma bibliothèque des partitions en sommeil, j’ai essayé de me construire des programmes différents comme si j’allais faire un récital dans un mois !
J’y ai trouvé une sorte de fraîcheur en exhumant des morceaux un peu délaissés. De toute façon je ne m’ennuie jamais au piano ! (Propos recueillis par D.B.)
Laisser un commentaire