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Scientifique de formation, sensible à tout ce qui touche à la nature, Bernadette Vauquois a trouvé sa voie quand elle a rencontré Pascal Quoirin, facteur d’orgue, qui allait devenir son mari : les buffets d’orgue comme sublimation du bois. Depuis lors, elle les conçoit, les dessine, les réalise, les sculpte, les entretient, les répare.
-Bernadette Quoirin, vous avez travaillé sur l’orgue de Notre-Dame de Paris. Quelle est exactement votre spécialité ? L’ébénisterie ?
-Je m’occupe de la conception, de la réalisation ou de la restauration du décor des buffets d’orgue que ce soit leurs ornements sculptés ou leur polychromie quand ils sont peints comme pour l’orgue de Notre-Dame de Paris. Il m’est même arrivé de décorer les tuyaux de façade.
-En quoi a consisté pour vous le chantier ?
-Pour moi, ça a été cinq mois de travail. Avec mon équipe, nous avons fait la restauration des sculptures, et du buffet, et j’ai refait le faux bois sur le soubassement.
-Qu’appelez-vous du faux bois ?
-C’est une peinture qui imite le bois, en quelque sorte un bois fictif.
-Une peinture sur quel matériau ?
-Un autre bois (sourire). Ça peut être une imitation noyer, ou chêne… quand le support est un bois plus « rustique », cette technique a toujours existé, elle permettait aussi d’unifier l’aspect du buffet dans le cas de bois disparates ou d’époques différentes. C’est le cas à Notre-Dame, où tout le buffet est peint en faux-bois foncé, avec des veinages. Nous avons vérifié la santé de tout l’ensemble et traité les bois ; les sculptures latérales qu’on appelle des jouées sont en tilleul, bois plus tendre et plus vulnérable aux attaques des vers… Cela nous a aussi permis de voir les ajouts successifs au fur et à mesure de l’agrandissement de l’instrument, pour documenter le mémoire de fin de travaux.
-Vous me confirmez que l’incendie n’a pas touché directement les bois de l’orgue ?
-Rien n’avait été endommagé par l’incendie. Mais, avec le temps les sculptures étaient fissurées, il a fallu combler les fentes, plus ou moins importantes ; quant au vernis, il avait accumulé la saleté des années.
-L’incendie a donc été l’occasion d’un travail approfondi ?
-Il est rare qu’on dispose d’un tel échafaudage, qui permette d’accéder jusqu’au sommet et d’établir un bilan complet. On a ainsi trouvé des traces de feu plus anciennes, des cloques, un vernis abîmé. Nous avons donc nettoyé le vernis, repris les lacunes, reconstitué les morceaux manquants. Pour les fissures dont la plupart avaient été remplies de silicone(!) lors d’une intervention précédente, nous avons repris leur restauration par « flipotage » en comblant avec une « tranche » de bois de même essence, ou par « mastiquage » avec un produit adapté. Le faux-bois du soubassement avait été refait précédemment, mais le vernis n’ayant jamais séché, la surface restait collante et couverte d’une poussière accumulée en amas tout autour de la console Il a donc fallu décaper tout le soubassement pour pouvoir refaire le décor en faux-bois en harmonie avec la partie supérieure, ce qui a été plus particulièrement mon travail.
-Les dimensions exceptionnelles de l’orgue n’ont pas été un problème ?
C’est vrai qu’il est imposant, c’est pratiquement un carré (environ 12mx12m, nous avait précisé Pascal Quoirin). Mais la principale difficulté a été les délais très courts entraînant la coexistence avec des travaux tout autour générant beaucoup de poussières même si la zone de l’orgue était plus ou moins isolée par des parois de plastiques thermocollées. J’ai dû utiliser de la peinture acrylique qui sèche très vite, et je passais le vernis le vendredi soir, pour qu’il sèche dans le week-end.
-Après ce chantier prestigieux (les artisans ont obtenu un diplôme spécial ND de Paris), vous avez d’autres projets ?
(Rire) Non, je suis en retraite depuis deux ans, depuis le passage de notre entreprise en Scop.
-Et Notre-Dame vous a occupée cinq mois ?
-D’avril à août 2022.
-Quel souvenir en gardez-vous ?
–Surtout un bel élan collectif, une solidarité fraternelle entre les corps de métiers. Je voudrais souligner fortement cette dimension collective. J’ai surtout évoqué mon propre investissement, parce que c’est ce que je connais le mieux. Mais le chantier repose avant tout sur un travail d’équipe. Je souhaite citer notamment Jean-Yves Ginel (photo 3), compagnon ébéniste à la SCOP Orgues Quoirin, qui s’est occupé du travail du bois, greffes sculptées et flipotage ; Léo Baret (photo 4), un de mes fils (l’une des forces de l’atelier Quoirin est son socle familial, NDLR), qui a participé au démontage de l’orgue, puis à la décontamination du buffet avant de nettoyer, mastiquer au modostuc et faire la remise en teinte avec moi ; enfin Enzo et Sacha, apprentis compagnons ébénistes à la SCOP Orgues Quoirin, qui ont aidé au nettoyage et décapage du soubassement.
-Les dimensions du grand orgue de Notre-Dame ne vous ont pas posé problème, d’après ce que vous nous avez dit. Ce n’était donc pas une nouveauté pour vous ?
-Nous avions déjà travaillé sur des instruments pratiquement équivalents, celui de New York par exemple, dont nous avions fait les peintures et les sculptures ; ou celui de Saint-Michel à Bordeaux, que nous avions repeint et redoré. Mais la spécificité de ce chantier, ainsi que nous l’avons tous signalé, était son ampleur, avec de multiples intervenants simultanés, et dans un délai très court. Un chantier exceptionnel de toute façon par sa dimension et son retentissement.
Propos recueillis par G.ad. Photos G.ad. (n°1) & NDP (n°2 à 4)
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