Alain Timar dirige depuis de longues années le théâtre des Halles, l’une des Scènes historiques d’Avignon, avec le Balcon, le Chêne noir, le Chien qui Fume, les Carmes/André Benedetto, et Golovine. L’un des quelque vingt théâtres permanents d’Avignon, résolument tourné vers la création contemporaine, les textes d’auteur, les résidences d’artistes, et diverses actions culturelles. Et niché au cœur des ruines pleines de charme de l’ancien couvent Sainte-Claire, où Pétrarque rencontra Laure de Noves, un beau matin du 6 avril 1327. Un lieu inspirant…
Pour l’édition 2022 du Festival Off d’Avignon, il propose l’Installation de la peur et Moi Khadafi.
-Comment fonctionne L’installation de la peur (voir notre compte rendu), pièce que vous avez créée pour cette édition 2022 du festival d’Avignon ?
–C’est un regard sur nos peurs, sur cette évolution autour de la préservation de notre intérieur, la peur de l’autre, peur de ceci, de cela. Souvenez-vous de l’époque où on ne fermait pas nos portes. C’est aussi sur notre société d’aujourd’hui, comment elle fonctionne et quels sont ses mécanismes avec cette financiarisation internationale. Le système économique européen n’est pas social. Il est basé sur le dumping. On utilise la main d’œuvre pas chère. Le fond de la pièce est tragique car il y a beaucoup de laissés pour compte. Mais j’ai voulu prendre cette distance avec le sujet pour ne pas être dans un ton dramatique. D’où les sorties de route en musique et le ton burlesque.
-A l’origine il s’agit d’un roman ; comment l’avez-vous découvert, puis adapté ?
–Je suis un homme de l’oreillette, j’écoute le soir des émissions de radio qui sont fabuleuses. Un jour sur France Culture, j’ai été intrigué par un extrait qui était passé du roman de Rui Zink. J’ai été fasciné par le livre que j’ai lu. Je suis allé rencontrer l’auteur au Portugal. Et c’est ainsi que cela a commencé, il y a trois ans. Puis, j’ai travaillé avec Michael Stampe, qui est écrivain afin d’adapter le roman pour la pièce de théâtre L’installation de la peur.
-Quant au spectacle Moi Kadhafi, quel a été votre processus de création ?
–J’avais travaillé à plusieurs reprises avec Serge Amatouchi, comédien martiniquais qui vit en Guyane. Avant la Covid, pendant le festival, je le vois arriver, avec une espèce de Burka et des locks. Il avait des lunettes noires. Je le regarde et je lui dis d’abord : toi tu ressembles à quelqu’un, puis au bout d’un moment : Kadhafi ! Cette petite graine a fait son chemin. Nous avons discuté du sujet. Quelques semaines après, j’ai passé commande à une écrivaine martiniquaise que je connaissais, Véronique Kanor, scénariste et cinéaste. Pourquoi « Moi Kadhafi » ? C’est l’histoire d’un acteur – Paul – à qui on demande de jouer au théâtre le rôle de Kadhafi parce qu’il lui ressemble physiquement.
-Dans la pièce, le comédien défend Kadhafi ?
–On assiste à un processus assez étrange de vampirisation. Petit à petit, en travaillant le personnage, il se confond, il se laisse absorber. Quand on regarde la vie de Kadhafi, c’est grandeur et décadence. Petit gamin, il gardait les chèvres dans son village. Après il est allé à l’armée puis il a pris le pouvoir. Au départ, cet homme-là voulait révolutionner et réunifier les états unis d’Afrique avec les états caribéens. Nous on a l’Europe. Pourquoi n’y aurait-il pas la grande Afrique ? Ecole et santé gratuite, salaires, il instituait un véritable état. Mais tout s’est renversé, le pouvoir, l’argent, le pétrole. Pour moi, ce fut une révélation ; quand on parle de Kadhafi dans les pays africains ou dans les Caraïbes, il n’est pas du tout perçu comme nous le percevons en Occident. Donc, de cette ressemblance du comédien, on a plongé dans cette histoire où dans la pièce, il était surnommé Kadhaf quand il était adolescent. On raconte sa révolte. Nous avons eu beaucoup d’échanges entre nous par rapport à la mise en théâtre. Serge Amatouchi est un très bel acteur, très puissant, très investi. Cela donne un personnage qui nous trouble par rapport à ce que nous savons de Kadhafi.
Propos recueillis par S.R. Photos S.R. (1 & 2), & Pascal Gély
Moi Khadafi, de Véronique Kanor. Mise en scène d’Alain Timár. Théâtre des Halles. A 16 heures, jusqu’au 30 juillet 2022 (relâche le 27 juillet)
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