« Douce Playsance », assurément…
Palais des Papes, Grande Chapelle
Ensemble De Caelis, ensemble féminin a capella (Laurence Brisset, direction artistique, chant, organetto ; Estelle Nadau, Caroline Tarrit, Eugénie De Mey, chant) ; Julien Ferrando, clavicytherium
En co-réalisation Musique Baroque en Avignon, Avignon-Tourisme et l’Opéra Grand Avignon
Programme : Douce Playsance
Divertissement musical dans les cours d’Avignon et de Florence à la fin du XIVe siècle
Au tournant du XIVe et du XVe siècles, les cours d’Avignon et d’Italie du nord réunissent de brillants cénacles où se distinguent les plus grands musiciens. Ils cisèlent une « orfèvrerie » musicale, faite de jeu, d’art du détour, inventent des combinaisons réjouissantes et excentriques. Cette musique raffinée de la seconde moitié du XIVe était pratiquée pour le plaisir et le divertissement, à la cour ou dans la sphère privée. Il était alors d’usage de chanter et de jouer d’instruments de musique, surtout parmi les dames.
Les pièces de ce programme proviennent de manuscrits de la seconde moitié du XIVe siècle, notamment du très beau Codex Chantilly, un manuscrit énigmatique quant à sa provenance et sa destination, celant en son sein des énigmes musicales et poétiques, constituant l’une des plus riches collections de musique française de la fin du Moyen Age. Cette musique fut nommée tardivement Ars Substilior pour ce qu’elle recèle de délicatesse, de raffinement : c’est l’art de cour à son zénith.
Guillaume de Machaut, Ballade, Riches d’amour ; Solage, Ballade, En l’amoureux verger ; Pierre des Molins, De ce fol penser ; Guillaume de Machaut, Rondeau, Puisqu’en oubli ; Grimace, Ballade, Se Zephirus, Phebus et leur lignie ; Philipot de Caserta, Ballade, En attendant ; Anonyme, Instrumental, En avois ; Guillaume de Machaut, Ballade, De toutes flours ; Chanson, Ay mi dame de valour ; François Andrieu sur un poème d’Eustache Deschamps, Double ballade, Armes amours, double ballade, Jacob Senlèches, Virelai, La harpe de mellodie ; Francesco Landini, Instrumental, La bionda treçça ; Madrigale, In verde prato ; Borlet, Virelai, Hé tres doulzs rossignol.
Sources
Codex Chantilly, Bibliothèque du château
Codex Squarcialupi, Florence, Biblioteca Medicea-Laurenziana, Palatino 87
Codex Faenza
Bibliothèque Nationale de France, Paris, ms.fr 9221
Impressionnant, le concert donné par l’Ensemble De Caelis ce dimanche 12 novembre à la Grande Chapelle du Palais des Papes. C’était le troisième concert proposé par Musique Baroque en Avignon en co-réalisation avec Avignon-Tourisme et l’Opéra Grand Avignon (après Cantores, Ensemble Diabolus in Musica, octobre 2016 ; et Ensemble Mescolanza, 28 octobre 2017). Elles étaient quatre femmes sur les cinq que comprend l’Ensemble De Caelis. Des voix admirablement travaillées. Qu’elles soient seules, en duo, en trio ou toutes les quatre ensemble, nous n’avons jamais quitté une même ambiance d’unité et de beauté. La tessiture très étendue de leur voix était aussi un étonnement et servait évidemment la qualité, l’élégance et la grandeur de la musique que l’Ensemble De Caelis avait choisi de nous offrir. Eugénie de Mey, par exemple, mezzo léger, qui a la particularité d’utiliser avec originalité les différents registres de sa voix, a chanté en voix de poitrine, comme un ténor, deux ballades de Guillaume de Machaut, le plus célèbre compositeur et écrivain français du XIVe siècle.
Tout le programme avait sa source dans la musique médiévale qui est représentée principalement par des compositions vocales, religieuses ou profanes. Mais à la fin du XIVe et au début du XVe siècle, les instruments de musique prennent leur place d’accompagnement du chant et très vite aussi de soliste. Ce dimanche Laurence Brisset, fondatrice de l’Ensemble De Caelis, chantait tout en jouant l’orgue portatif qui avait pour fonction de tenir les valeurs longues. Julien Ferrando, merveilleux spécialiste de musique ancienne, accompagnait parfois, improvisait souvent, sur un clavicytherium (l’ancêtre du clavecin).
L’ensemble, art vocal et instrumental, reposait sur une chorégraphie discrète, élégante, complice et souriante qui rappelait, dans cette splendide Grande Chapelle du Palais des Papes, que ces chants et ces musiques faites pour la danse, pour le jeu, pour les joies et les peines ne sont ni profanes ni sacrées. Elles sont au cœur de nos vies et montrent que c’est la vie des hommes qui est une histoire sacrée. (L.A.) (Photos concert R.D.)