Amour, désespoir et musique
Festival de Pâques 2019. Grand Théâtre de Provence, Aix en Provence le 16 avril 2019
Le Concert d’Astrée. Direction, Emmanuelle Haïm
Soprano, Sandrine Piau ; contre-ténor, Tim Mead
Georg Friedrich Haendel, airs et duos.
Extraits de Rodelinda, Tamerlano, Aci, Galatea e Polifemo, Ariodante, Giulio Cesare, Orlando, Alcina et Concerto Grosso n°2 en Sib majeur.
Dès son entrée en scène, Emmanuelle Haïm, à la tête de l’orchestre du Concert d’Astrée qu’elle a fondé en 2000, s’adresse au public pour lui indiquer que « toutes et tous sont encore bouleversés par ce qui s’est passé hier, et que le concert de la soirée est dédié à Notre-Dame de Paris ». Les 21 musiciens de la formation sont donc réunis au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, étape de leur tournée « Desperate lovers » depuis Barcelone (le 6 avril), Genève, Lucerne, l’abbaye de Vaucelles, bientôt le Théâtre des Champs-Elysées à Paris (lendemain 17 avril), puis au mois de juin Vienne et Lille.
Dès l’ouverture suivie du menuet de Rodelinda, on entend un Haendel vif argent, léger, virtuose et dynamique, puis le contre-ténor britannique Tim Mead enchaîne, sans pause, avec l’air d’Andronico « Più d’una tigre altero » extrait de Tamerlano ; la voix passe avec un certain volume dans la salle, l’agilité est appréciable. Il y a 30 ans, la découverte de ce chanteur aurait été une véritable révélation, mais la concurrence dans la catégorie contre-ténor est depuis devenue tellement rude que cet artiste fait aujourd’hui figure d’excellent chanteur simplement, parmi tous ses confrères.
La soprano Sandrine Piau apporte ensuite un supplément d’âme dans l’air d’Aci « Verso già l’alma col sangue », tiré d’Aci, Galatea e Polifemo : dans ce passage plaintif tirant vers le lamento, la musicalité est parfaite, les notes sont attaquées très précisément dans une ligne vocale particulièrement soignée, du grand art.
Vient s’intercaler ensuite un numéro uniquement instrumental, le Concerto Grosso n°2 opus 3 en Sib majeur, en 5 mouvements. Sous la battue tour à tour ample et saccadée d’Emmanuelle Haïm, les instrumentistes font montre d’une grande cohésion et d’un abattage certain, même si les tempi les plus rapides dans le premier mouvement posent des limites à la virtuosité des violons, tandis que le hautbois solo joue avec un grand délié.
L’alternance entre les deux solistes reprend avec le très difficile « Vivi, tiranno » de Rodelinda, où Tim Mead fait preuve de mordant sur les traits d’agilité, même si certains ressemblent un peu à des vocalises « mitraillettes », mais qui passent tout de même.
Contrairement à l’indication du programme de salle (air de Dalinda d’Ariodante), Sandrine Piau prend les habits de Cléopâtre pour interpréter un « Piangerò la sorte mia », tiré de Giulio Cesare, de toute beauté. Le timbre fait passer la douleur, la voix est douce, suspendue par moments, et la chanteuse apporte de petites variations bienvenues dans la reprise de cet air da capo.
La première partie s’achève avec le duo de Tamerlano « Voglio dunque morir », où les deux voix sonnent de manière formidablement appariée et équilibrée, chacune très bien mise en valeur.
Après l’entracte, le contre-ténor montre ses grandes capacités de souffle et son expressivité dans « Vaghe pupille » d’Orlando, puis la soprano nous enchante à nouveau – c’est bien le moins pour le rôle de la magicienne Alcina – au cours du long « Ah, mio cor » où la voix paraît à nouveau planer dans les airs, servie par une interprétation très intériorisée.
La fin du programme est consacrée à des duos, d’abord celui de Rodelinda « Io t’abbraccio » où les deux lignes mélodiques s’entremêlent avec élégance, puis celui de Rinaldo « Scherzano sul tuo volto » où – enfin ! – la joie débarque tardivement, après toutes les incarnations précédentes d’amoureux désespérés.
Trois courts duos sont donnés en bis : un extrait de Rinaldo où la jalousie domine, un autre du beaucoup plus rare Poro, re delle Indie, puis le duetto final de Giulio Cesare in Egitto « Caro ! Bella ! » rempli de réjouissances et promesses de mariage entre Cléopâtre et Jules César. (I.F. Photos Caroline Doutre).