Pour l’Opéra de Marseille, un centenaire somptueux !
Mardi 3 décembre 2024, Opéra de Marseille
Chœur et Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille
Michele Spotti, direction musicale
Csilla Boross, soprano ; Patrizia Ciofi, soprano ; Karine Deshayes, mezzo-soprano ; Enea Scala, ténor ; Juan Jésus Rodríguez, baryton ; Marc Barrard, baryton ; Nicolas Courjal, basse
Giuseppe Verdi, La Forza del destino, Ouverture (Sinfonia). Aida, « Ritorna vincitor ! » (Acte I). Rigoletto, « Caro nome » (Acte I). Luisa Miller, « Quando le sere al Placido » (Acte II). Il Trovatore, « Vedi le fosche notturne spoglie » (Acte II). Vincenzo Bellini, Norma, « Casta Diva » (Acte I). Gioachino Rossini, Il Barbiere di Siviglia, « A un dottor della mia sorte » (Acte I). Giuseppe Verdi, Rigoletto, « Cortigiani, Vil Razza Dannata » (Acte II). Simon Boccanegra, « A te l’estremo addio… Il lacerato spirito » (Prologue). Aida, « Gloria all’Egitto e ad Iside » (Acte II). Richard Wagner, Lohengrin, Prélude (Acte I). Charles Gounod, La Reine de Saba, « Plus grand, dans son obscurité » (Acte III). Giuseppe Verdi, La Forza del destino, « Pace, pace mio Dio! » (Acte III). Il Trovatore, « Il balen del suo sorriso… Qual suono! » (Acte II).Richard Wagner, Lohengrin, Prélude (Acte III). Giuseppe Verdi, La Traviata, « E tardi… Addio del passato » (acte III). Jules Massenet, Hérodiade, « Dors, ô cité perverse » (Acte III). Charles Gounod, Faust, « Vin ou bière, bière ou vin, que mon verre soit plein ! » (Acte II). Jules Massenet, Don Quichotte, « Riez, riez, allez, riez du pauvre idéologue » (Acte IV). Charles Gounod, Roméo et Juliette, « L’Amour… Ah ! lève-toi, soleil ! » (Acte II).Gioachino Rossini, Guillaume Tell, « Tout change et grandit en ces lieux » (Acte IV)
Voir aussi toute la saison de l’Opéra de Marseille
et tous nos articles de décembre 2024
Comme le maire de Marseille Benoît Payan le rappelle dans le programme de salle, c’est exactement il y a cent ans, le 3 décembre 1924, que l’Opéra municipal de Marseille rouvrait ses portes, cinq ans après l’incendie qui avait ravagé le bâtiment. Ce soir-là, Sigurd du compositeur marseillais Ernest Reyer était donné, œuvre d’ailleurs à l’affiche un peu plus tard dans la présente saison 2024-2025, programmée début avril 2025. Pour l’heure, le maire de Marseille prend la parole en préambule au concert du soir, rappelant le soutien de la municipalité à l’institution, point que souligne également le directeur de l’Opéra Maurice Xiberras, avant de passer rapidement la parole au directeur musical de la maison Michele Spotti. Le précédent directeur musical de l’Opéra de Marseille Lawrence Foster est aussi présent dans la salle, recevant les chaleureux applaudissements du public, avant même le début du concert.
Mais place à la musique, pour un très généreux programme où l’Orchestre Philharmonique de l’Opéra de Marseille, placé sous la baguette alerte de Michele Spotti, démontre en permanence une excellente forme, aussi bien dans sa maîtrise technique que dans l’équilibre entre pupitres et la cohésion d’ensemble. L’Ouverture de La Forza del destino démarre ainsi dans un plein d’énergie où brillent les cuivres, le chef sachant aussi adoucir les nuances en ajoutant des touches plus délicates, faisant par exemple jouer piano plusieurs mesures.
Csilla Boross débute la partie chantée du programme avec l’air d’Aida « Ritorna vincitor ! » qui conclut la première scène du premier acte. Un passage d’une rare difficulté où les aigus enflés de la soprano laissent ensuite la place aux notes filées sur le souffle, les sentiments du personnage oscillant alors entre son amour pour Radamès et le devoir dû à son père Amonasro. En seconde partie, l’extrait « Pace, pace » de La Forza del destino est encore plus réussi, incarné par des notes allégées encore plus précises.
Autre soprano, Patrizia Ciofi aura marqué ce concert par son art rare, d’abord dans un « Caro nome » de Rigoletto qui fait office de leçon de chant de la part de cette belcantiste accomplie, avec des vocalises très précises et un vibrato sous contrôle. Le silence de la salle durant sa cadence finale est assez éloquent. Et puis en seconde partie, toujours chez Verdi, « Addio del passato » de La Traviata constitue sans nul doute le sommet de la soirée, un moment exceptionnel d’émotion et de chant, où les mots conclusifs « tutto finì » sont très longuement tenus, comme le fil de la vie de Violetta, malheureusement bientôt brisé d’un coup. Tonnerre d’applaudissements et de « brava » !
On peut aussi citer d’autres passages où l’émotion se communique sans peine de la scène vers le public, en pensant au Rigoletto du baryton Juan Jésus Rodríguez. Son fameux air « Cortigiani, Vil Razza Dannata » commence avec un accent mordant, puis vient rapidement un style plus larmoyant quand le père supplie qu’on lui rende sa fille Gilda, entre les mains du Duc. L’autre baryton Marc Barrard nous touche aussi dans l’extrait de Don Quichotte de Massenet, une véritable déclaration d’amour fraternel de son Sancho Panza envers son maître lorsqu’il répète à plusieurs reprises « Viens mon grand ». Précédemment, il chante Don Bartolo du Barbiere di Siviglia, extrait bien plus buffo qui développe un chant sillabato rapide en dernière partie.
Après avoir incarné ici-même le rôle-titre pour l’ouverture de saison marseillaise en septembre (notre compte rendu), Karine Deshayes endosse à nouveau les habits de Norma pour son célèbre « Casta Diva », accompagnée par une agréable douceur orchestrale. Chanté après l’entracte, « Plus grand, dans son obscurité » est un air extrait de la bien plus rare Reine de Saba de Charles Gounod, rôle également interprété à Marseille par Karine Deshayes, c’était à l’automne 2019 (notre compte rendu)… et une occasion de rappeler la formidable programmation du répertoire français par l’Opéra de Marseille ces dernières années !
Très régulièrement invité sur la scène phocéenne ces années passées, Enea Scala est le ténor de la soirée, qui sait s’adapter, comme souvent, aux différents styles de répertoires. Il en fait à nouveau la preuve dans l’air le plus connu de Luisa Miller (titre récemment donné à l’Opéra Grand Avignon, notre compte rendu) « Quando le sere al Placido », conduit avec goût et vaillance. Puis place au français en seconde partie et son Roméo de Gounod qui allie claire articulation du texte et aigus généreux. A l’autre extrémité vocale, la basse Nicolas Courjal trouve en Fiesco de Simon Boccanegra le personnage qui met bien en valeur la profondeur de son grave.
Il faut à nouveau saluer les somptuosités dégagées par la phalange marseillaise, en particulier les deux préludes de Lohengrin, joués avec une grande allure sur un splendide tapis de cordes. Richard Wagner n’est pas – encore ! – un grand habitué des affiches marseillaises, mais il pourrait sans problème le devenir… Le chœur de l’Opéra de Marseille est également mis à contribution, tout aussi convaincant au cours de la Marche triomphale d’Aida que pour l’extrait de Faust de Gounod, très bien en place, aux tempi fort précis.
Cette fête du chant fait honneur à l’anniversaire exceptionnel du centenaire et tout se termine par le final de Guillaume Tell « Tout change et grandit en ces Lieux ». On espère pour notre part que l’Opéra de Marseille ne change pas « tout »… mais qu’il grandisse encore et qu’il continue pour cent ans son excellence !
F.J.© ACP-VDM
Laisser un commentaire