Festival d’Aix-en-Provence (site officiel). Conservatoire Darius Milhaud (dimanche 16 juillet 2023)
Baryton, Christian Gerhaher. Piano, Gerold Huber
Lieder de Robert Schumann, Fünf Lieder, op. 40 ; Liederkreis, op. 39 ; Drei Gesänge, op. 83 ; Romanzen und Balladen, op. 53 ; Sechs Gedichte, op. 90 ; Requiem, op. 90b
Voyage aux sources du romantisme allemand
Actuellement titulaire du rôle-titre de Wozzeck dans la série de représentations données au Grand Théâtre de Provence, le baryton Christian Gerhaher est par ailleurs un formidable interprète du lied allemand. Il a en effet chanté en récital, ainsi que réalisé de nombreux enregistrements, de Schubert, Schumann, Wolf ou Mahler, et il réserve ce soir au public aixois un précieux Liederabend consacré à Robert Schumann. Il est accompagné de son fidèle pianiste Gerold Huber, son habituel partenaire dans le domaine du lied.
Dès l’entame du cycle des Fünf Lieder, l’impression est frappante d’entendre des accents du maître et modèle incontesté du lied allemand (pour Schubert et Schumann en tête), soit Dietrich Fischer-Dieskau (1925-2012), dont Gerhaher a fréquenté les master classes. Certaines notes émises en sons fixes, avant de développer le vibrato un peu plus tard, sont en effet très caractéristiques de ces deux interprètes. Cette technique renforce la mélancolie souvent présente dans ces pages tourmentées, la tristesse pesante, le mystère également. Ceci est particulièrement vrai pour le troisième de ces cinq lieder « Le Soldat » où quelques sons couverts contrastent avec d’autres notes qui éclatent avec clarté, jusqu’à la funeste conclusion où il a été commandé à ce soldat d’exécuter son camarade.
Les douze lieder du Liederkreis qui suit proposent un très large panorama d’affects, qui se concluent toutefois souvent dans la douleur, ceci malgré la légèreté, parfois la joie trompeuse, de l’accompagnement musical. Gerold Huber se montre absolument remarquable dans son interprétation, dessinant finement les atmosphères et connaissant par cœur tous ces textes… qu’on peut lire sur ses lèvres ! Ceci en conservant une position de second plan, pour laisser le rôle principal au soliste au chant.
La nostalgie, la solitude, l’éloignement sont bien les habituels thèmes du romantisme allemand, comme dans le premier « In der Fremde » (Loin du pays natal), ou encore dans le sublime « Mondnacht » (Nuit de lune) aux douces notes comme suspendues dans le vide. Plus loin, un autre « In der Fremde », cette fois sur des paroles différentes, paraît plus joyeux dans son rythme… mais le bonheur est de courte durée avec les mots « Ma bien-aimée devait m’attendre, pourtant depuis si longtemps morte. » On remarque aussi, à la conclusion de « Entre chien et loup » les mots parlés plus que chantés, pour un effet prenant.
Les « Drei Gesänge » sont aussi empreintes de spleen ou de nostalgie, en particulier « Le Solitaire » au cours duquel l’intensité sonore diminue comme une lumière qui baisse au fur et à mesure, pour terminer sur un ton de douce confidence. Les « Romanzen und Balladen » enchaînent, avec « La chanson de Blondel », « Loreley » ou encore un « Hanse et Grete dansent » qu’on pense réjouissant avant les paroles ultimes « Ah ! Si je n’étais pas si raisonnable, je me ferais du mal ».
Les « Sechs Gedichte » sont encore magnifiques dans une atmosphère crépusculaire, le rythme se ralentissant parfois (« La bergère »), à d’autres moments très lent depuis le début (« Solitude »), le dernier « Soir oppressant » donnant l’occasion à la voix de traîner sur des accords particulièrement funèbres au piano. Le petit cycle de six lieder enchaîne sans pause sur « Requiem », qui, comme son nom l’indique, n’est pas non plus spécialement gai. Les deux artistes accordent en bis un lied supplémentaire de Schumann, refermant ce somptueux Liederabend aixois.
I.F. Photo I.F.
Laisser un commentaire