« Lettres d’excuses ». Actuel. Off Avignon 2024

Patrick Chesnais : lettres d’amour

Voir aussi tous nos articles sur le Festival Off 2024

Il entre en scène. Il ne joue pas. Il est ce comédien de grand talent, cet homme face à lui-même, et face à nous. Un visage, une présence. A la main, il tient quelques feuillets, ces « lettres d’excuses » qu’il a écrites l’an dernier, publiées sous forme de recueil aux éditions L’Archipel. Dans une mise en scène sobre, entre un bureau et un lutrin, Patrick Chesnais vient nous livrer quelques-unes de ces lettres. Sans fard, avec une absolue sincérité, doublée d’une grande pudeur, il s’adresse à ceux qu’il aime, ceux qu’il a aimés, mais aussi à la vie, à Paris, au Covid…. A tout seigneur tout honneur, dit-il, il s’adresse d’abord à Ferdinand, son fils disparu dans un accident de voiture : « Toi, tu auras toujours tes vingt ans magnifiques. Je m’excuse de vieillir ». Puis à sa grand-mère, Mémé de la Garenne, au petit matin synonyme de réveil blafard face au miroir. Déroulant toute une palette d’humeurs, de moments tristes et gais, il nous confie ses imperfections, ses bévues, ses lâchetés. On rit aux éclats au récit de « quelques moments regrettables », comme cette représentation théâtrale où, spectateur, il fut pris d’une irrépressible envie d’uriner. On a le cœur serré à l’évocation de dialogues avec sa mère, vivant ses dernières années dans une maison de retraite à Arcueil. : « Ça va mon petit ? Ça va maman, et toi ? J’attends. » Qu’on ne s’y trompe pas, ces lettres d’excuses sont des lettres d’amour, fort bien écrites. Grand acteur et homme blessé, il y répertorie « tout ce qui l’empêche d’être un homme parfait ». Une mise à nu émouvante.

Carina. Photo Emmanuel Faure

« Gary devant soi ». Balcon. Off Avignon 2024

Romain Gary ou la plus grande supercherie littéraire qui ait existé !

Voir aussi tous nos articles sur les Festival Off 2024

Théâtre du Balcon, 15h00, durée : 1h15. Du 29 juin au 21 juillet, relâche les 4, 11 et 18 juillet. Réservations au 04 90 85 00 80

         Romain Gary ou la plus grande supercherie littéraire qui ait existé ! C’est au moment de l’invention de cette mystification que commence la pièce. Nous sommes chez Gary, dans son appartement de la rue du Bac à Paris, et il lit les critiques ; ou plutôt ne veut même plus les lire tant ils lui font de reproches alors qu’ils l’ont tant adulés. Lui vient alors l’idée de se créer un double littéraire, Émile Ajar, afin de se réinventer. La pièce de Vincent Gaillard suit donc le processus de cette création ainsi que toutes les conséquences qu’elle aura sur les trois protagonistes de cette histoire : Gary, sa femme Jean Seberg et son neveu Paul Pawlovitch.

Gary est incarné avec une puissance et beaucoup de charisme par Xavier Lemaire dont la voix tonitruante et bien placée ne laisse d’impressionner. Il nous avait déjà séduit en interprétant Dumas, il le fait tout autant en Gary. Laurence Porteil joue avec finesse sa fragile et délicate épouse. Quant à Barthélémy Heran, il montre toute la panoplie de son talent en incarnant ce neveu qui évolue, un peu naïf et perdu au début, mais qui deviendra un manipulateur à la hauteur de son maître, encore plus cynique peut-être.

La mise en scène nous plonge dans cette histoire exceptionnelle, sachant ménager habilement le suspense. Nous découvrons avec plaisir et délectation les arcanes de la mise en œuvre de cette duperie littéraire, nous sommes tenus en haleine par les révélations faites sur sa construction et mise en œuvre, même si nous ne manquons pas de nous interroger sur ce qui est réel et ce qui relève de l’invention de l’auteur.

Une pièce qui nous donne envie de redécouvrir Gary, tant sa vie que son œuvre (il fait justement l’objet du feuilleton quotidien de l’été sur France-Inter). Nous sortons à la fois admiratifs de cette ingéniosité qui lui a tout de même permis d’obtenir deux prix Goncourt, et perplexes quant au processus d’élaboration !

Sandrine. Photo Tom Gutt

« Castelet is not dead ». Totem. Off Avignon 2024

Jubilatoire et intelligent, qui réinvente Guignol…

Voir aussi tous nos articles sur le Festival Off 2024

Au Totem, 20 avenue Monclar. Du 15 au 20 juillet, 17 heures. Dès 7 ans. Résa. www.le-totem.com

Experte dans l’art de la marionnette, la compagnie Arnica présente un tout nouveau spectacle familial, complètement déjanté, sur un texte de Gwendoline Soublin. Cachés derrière leur haut rideau rouge, les trois marionnettistes au dynamisme fou, entraînent les spectateurs dans trois histoires délirantes qui amusent enfants, ados et parents, tout en les invitant à méditer sur notre monde. Entre un gourou âpre au gain qui offre des voyages pour Mars contre des livrets A, Polichinelle père et Godzilla fils, en quête d’amour, et une famille soumise au Diktat de son robot domestique, ces marionnettes à gaine aux habits colorés et aux yeux rouges nous offrent un étrange reflet de notre société. En reprenant les codes de Guignol, qu’elle modernise, la metteuse en scène Émilie Flacher, nous pousse à la réflexion. Comment trouver le bonheur à l’heure de l’intelligence artificielle, de la robotisation et de la conquête spatiale ?….
Marie-Félicia, texte & photo

« Etats « Dame » ». 3 Raisins. Off Avignon 2024

Un véritable récital mis en scène

Voir aussi tous nos articles sur le Festival Off 2024

3 Raisins. 13h00 du 03/07 au 21/07, Tel 04 65 87 07 69 et aussi par Internet ; Spectacle musical lyrique, (à partir de 8 ans)

Madeline Ménager, soprano, et Etienne Goepp, pianiste, ont créé le spectacle : Etats « Dame ». Il s’agit d’un récital dont l’origine provient d’un texte de Jean Cocteau : La dame de Monte-Carlo. Celui-ci avait été mis en musique par Francis Poulenc et ce à une période où le compositeur venait souvent dans le Sud de la France, dont Villeneuve lez Avignon, avec son ami Pierre Bernac. Ils résidaient alors, chez madame Simone Girard, présidente de la Société de Musique de Chambre d’Avignon.

Or, le texte de Cocteau évoque une dame au soir de sa vie. C’est donc pour une soprano qu’a été composée et dédiée cette œuvre dans sa version musicale. De ce noble point de départ, les deux artistes ont créé un récital original, avec une mise en espace judicieuse. En effet, Madeline Ménager fait évoluer son costume sur le plateau selon l’humeur qu’elle exprime. Le piano est mis de côté et elle se meut du long d’un mur jusqu’au visage des spectateurs du premier rang : surprise garantie ! Elle est aussi baignée d’effets de lumière, plus contrastés qu’en concert habituel.

Certes, il y aura de la nostalgie, mais ce n’est pas sinistre, ni déprimant. Pour cela, ils ont rassemblé des extraits d’opéras, des Lieder… ponctués d’œuvres pour piano. Ainsi, un fil conducteur se dessine pour les spectateurs. Ils passent de la « Déception » avec un air de Tosca de Puccini, à des Lieder de Clara Schumann et de Franz Schubert, à « l’Evasion » avec La dame de Monte-Carlo. Puis, nous passerons à la « Rédemption » avec, entre autres, l’air de Blanche des Dialogues des Carmélites.

Plusieurs spectateurs ont apprécié la découverte de raretés, comme le très bel Ave Maria de Philippe Rombi qui conclut le spectacle. La voix et l’expressivité de Madeline Ménager lui donnent une belle présence, chaleureuse, précise et parfaitement adaptée à la salle. A mes oreilles, celle-ci a totalement éclipsé Sondra Radvanovsky, à la justesse trop approximative, entendue à Aix cette semaine. (voir le compte rendu, par un autre chroniqueur).

Les airs au piano sont bien plus que des virgules musicales. Etienne Goepp y interprète avec délicatesse et conviction des morceaux du répertoire des divers compositeurs évoqués. Auxquels il ajoute les intéressantes études d’Automne de Cécile Cheminade ou la pièce Mauresque de Benjamin Gaudard.

Nous avons donc l’impression d’être plongés dans une sorte de Voyage d’hiver, concocté avec beaucoup de finesse par deux talentueux interprètes.

Norbert

« 4.48 Psychose ». Luna. Off Avignon 2024

Une sacrée performance d’actrice !

Voir aussi tous nos articles sur le Festival Off 2024

Théâtre La Luna, 13h00 du 29/06 au 21/07, Tel 04 12 29 01 24 et aussi par Internet ; Théâtre contemporain (à partir de 15 ans)

L’autrice, Sarah Kane, est une comète dans le monde du théâtre. Née dans les 70’s au Royaume Uni, elle a très vite percé, mais non sans difficultés. La société qui l’entourait était difficile pour elle. Alors, elle a choisi de mettre fin à ses jours avant sa trentaine.

4.48 est un horaire : l’heure à laquelle le personnage féminin veut se libérer d’une vie trop dure. Est-ce dû à une maladie, un mal-être ? Cela n’apparaît pas de façon évidente. Le texte est cru, les mots sont percutants. Pour une Anglaise, l’autrice ne s’entoure pas de l’habituelle réserve britannique. Pourtant, elle fait intervenir un psychiatre pour un supposé dialogue montrant que son personnage cherche malgré tout une solution. Et puis, il y a un monologue, comme un journal intime livré aux spectateurs. En sortant, plusieurs diront qu’ils y ont trouvé une certaine poésie.

Cette production repose surtout sur la performance de l’actrice Cécile Fleury. Telle une danseuse, elle évolue avec grâce sur un plateau noir, au milieu d’un ascétique décor noir, créé par Laurent Tésio. La comédienne déplace les quelques pièces pour nous faire changer de lieu. Les jeux de lumière, dus à Elias Attig, contrastent avec cette mise en situation très « Soulage ». Ils participent à modifier les ambiances.

En outre, Cécile Fleury transmet les mots en variant souvent l’intonation et le débit. En cela, elle est très forte. Et avec son complice de metteur en scène, Yves Penay, ils nous accrochent à ce thème qui pourrait paraître violent, voire difficile à accepter. Il y a de la force dans cette pièce du Théâtre contemporain !

Norbert. Photo Stéphane Baquet

« Folies au manoir ». Roi René. Off Avignon 2024

Tout est décalé !

Voir aussi tous nos articles sur le Festival Off 2024

Théâtre du Roi René, 22h15 du 29/06 au 21/07, relâche les lundis, Tel 04 13 68 06 59 et aussi par Internet. Comédie policière

Pour un look british, le plateau de Folies au manoir a un sacré look british, grâce au décor de Bernadette Cor-Delorme ! L’action se situe dans le grand salon d’un manoir aux murs tous tendus de tissu écossais. Le public est comme accueilli par un serviteur emperruqué et pour le moins éméché : vous commencez à sentir l’atmosphère ? Arrive un jeune couple aux costumes… écossais. Il revient des obsèques d’une richissime tante. Puis entrent et sortent, l’ex-associé, une cousine (habillés de tartan…écossais : bravo à Nicolas Besson !) et les trois précédents personnages. C’est vaudevillesque, jusqu’au fameux meurtre.

Ne cherchez pas un sens logique à l’intrigue, elle n’est que secondaire. En revanche, le comique réside dans les dialogues pince-sans-rire et surtout dans les situations burlesques. On se situe un peu entre Kaamelott dans les 50’s et les Monty Python. Le texte et la mise en scène proviennent de Louise Colette, à l’imagination débordante ! Ainsi, les gags se succèdent à un bon rythme, surtout une large première partie du spectacle. La fin aurait-elle été tronquée pour convenir au format du Off ? Elle m’a paru moins amusante.

Les comédiens : Tchavdar, Benjamin Alazraki, Stéphane Giletta (particulièrement dans la peau du serviteur) et aussi Louise Colette donnent une énergie positive à leur/s rôle/s. Ils ne s’économisent pas dans leur diction, dans leur expressivité faciale, ni dans leurs gestes. Ainsi, le burlesque fonctionne. J’ai également apprécié les petits « ballets », chorégraphiés par Erlène, sur des tubes actuels.

A des moments différents, en décalé les jeunes, adeptes du Vintage, et les aînés rient de bon cœur. Le but de l’équipe artistique de Folies au Manoir ne serait-il pas atteint ?!

Norbert. Photo Franck Hescouet

« 2 048 ». Hivernales. Off Avignon 2024

Danse… sur 2048 secondes…

Voir aussi tous nos articles sur le Festival Off 2024 

Hivernales, 18 rue Guillaume Puy. Jusqu’au 16 juillet, à 15h. Résa. 04.90.82.33.12

Danse hybride au carrefour du contemporain et du hip-hop, 2 048 est une pièce d’Annabelle Loiseau et Pierre Bolo pour quatre danseuses et deux danseuses. Au fond de la scène, devant le rideau noir, où s’égrènent les secondes, la DJ Maclarnaque compose la musique en direct avec ses platines et sa batterie électronique. Attablés sur le plateau, pendant que les spectateurs s’installent, les danseurs sont happés dans une capsule hors du temps et de l’espace, dès que le noir se fait et que le compte à rebours est lancé. Ils ont 2 048 secondes pour retrouver les musiques, les mouvements, les souvenirs, et se projeter vers l’avenir. En pantalons et chemises amples et souples, ils offrent une danse énergique, tantôt guerrière et saccadée, tantôt fluide et enlevée. Les bras tournent, les corps se glissent, courent, sautent, s’arrêtent. Les mouvements se répètent, précis, jusqu’au final éclatant sur le Boléro de Ravel.
Marie-Félicia

« Où commence ma mémoire ? ». Cour du spectateur. Off Avignon 2024

Une immersion intimiste

Voir aussi tous nos articles sur le festival Off 2024

Cour du spectateur, 10h20, 1h10. 6-21 juillet, relâche les 8 et 15 juillet. Rés. 06 28 67 09 82. A partir de 14 ans.

A quel âge commence ma mémoire ? Quels événements ont retenu son attention ? Et pour quelles raisons ?

En retraçant son histoire familiale dans un monologue, Erwin cherche à répondre à ces questions. Jeune juif ukrainien, contrant à l’exil à 6 ans, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il va essayer de remonter le fil de sa mémoire. Et ce sont les paysages et les odeurs de son enfance qui ressurgissent, depuis l’âge de 4 ans, âge de l’insouciance, dans la campagne, aux côtés de sa mère et de ses grands-parents maternels. Sébastien Weber nous fait revivre ce parcours en convoquant nos différents sens, par le jeu de boîtes lumineuses, de sons, de touchers ou par l’entremise d’objets hétéroclites.

Confronté aux déplacements, aux marginalisations, à la guerre, mais aussi à la perte d’êtres chers, il recrée des scènes de son enfance et de son adolescence vite envolée suite aux difficultés rencontrées. Mais chacune renvoie d’un sens à l’autre à l’amour maternel comme un protecteur ou un guide, ou à la forêt comme une frontière-refuge. Ces souvenirs qui surgissent à sa mémoire, au détour du chemin, lui permettent de survivre et de grandir. La musique intérieure d’Erwin lui permet de décrypter le monde qui l’entoure. Ce n’est pas seulement sa mémoire qui nous restitue quelques moments de sa vie, mais aussi son corps qui vit la scène sous nos yeux.

Vues à l’échelle d’un enfant, les bribes de la mémoire évoluent avec le temps, l’âge, les traumatismes ou les souvenirs heureux. Et lui permettent aussi de se construire en tant qu’individu, devenu orphelin très jeune. Où l’on constate que les souvenirs sont transformés et transcendés.

La mise en scène d’Isabelle Hervouet repose sur des matières intemporelles (verre, sable, papier…) et un éclairage sobre. Les silences permettent aussi à tous de voyager intérieurement dans les thèmes abordés : l’exode, l’entrée dans l’âge adulte, le contact avec la nature, les relations familiales, la frontière, la différence …

Jacques Allaire a adapté l’Histoire d’une vie d’Aharon Appelfeld, et cette histoire singulière, présentée par la compagnie Skappa et associés, a pourtant des relents non seulement universels mais aussi contemporains.

Christèle. Photo Anne Van Der Meulen