Ah, quel cirque !
Mardi 2 mai 2023, Opéra de Toulon
Carmen, opéra de Georges Bizet
Valerio Galli, direction musicale. Henning Brockhaus, mise en scène & lumières. Valentina Escobar, chorégraphie. Margherita Palli, décors. Giancarlo Colis, costumes
Anaïk Morel, Carmen ; Adriana González, Micaëla ; Emy Gazeilles, Frasquita ; Albane Carrère, Mercédès ; Eric Fennell, Don José ; David Bižić, Escamillo ; Nabil Suliman, Le Dancaïre ; Kaëlig Boché, Le Remendado ; Nicolas Brooymans, Zuñiga ; Norbert Dol, Moralès
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
Maîtrise de l’Opéra de Toulon et du Conservatoire TPM
Voir aussi toute la saison 2022-2023 de l’Opéra de Toulon
L’Opéra de Toulon accueille, pour trois représentations données à guichet fermé, la production de l’Opéra Royal de Wallonie à Liège, signée d’Henning Brockhaus. On découvre une piste de cirque au lever du rideau avec, avant le démarrage de la musique, des danseurs et danseuses de flamenco qui tapent des pieds et des mains. Puis l’ouverture commence et avec elle un défilé de personnages : deux gymnastes qui exécutent des sauts impressionnants, les enfants portant des masques de taureaux, ainsi qu’une femme enceinte qu’on prend d’abord pour Micaëla (mais « Non, non, ce n’est pas elle » comme dirait le livret de l’opéra !). Les airs et passages choraux successifs sont traités comme des numéros de cirque, avec une femme qui fait le tour de piste en annonçant le numéro à venir sur sa pancarte (à partir de « acte 1 – introduction »).
Les personnages et éléments de décors défilent : les choristes grimés en clowns, l’entrée d’une jeep, Don José qui pousse son scooter, l’arrivée spectaculaire de Carmen à dos de – faux – éléphant, ou encore en fin de premier acte une cage aux fauves pour y enfermer la belle cigarière. Malgré son originalité, cette scénographie s’essouffle tout de même rapidement et ne caractérise pas vraiment les différents lieux de l’action : les quelques bouteilles qu’on apporte au II ont du mal à nous projeter dans la taverne de Lillas Pastia, ou encore au III les quatre cartons de cigarillos sont bien maigres pour nous transporter dans la montagne des contrebandiers. On peut aussi avoir l’impression que les divers accessoires qui entrent sur le plateau, et en sortent à peu près aussitôt, sont une solution à une éventuelle « peur du vide » du metteur en scène, quitte à constituer un défilé un peu surabondant. Par exemple à l’acte III : une nacelle descend puis remonte, on porte à bout de bras une vierge entourée de cierges, la femme enceinte refait une apparition, tout comme trois têtes géantes de taureaux… L’acte IV est heureusement plus resserré et sobre : une danseuse avec une grande jupe en voile rouge tourne sur elle-même en introduction, puis le face-à-face conclusif entre Carmen et Don José a bien lieu, débarrassé de la présence de tout autre choriste ou figurant.
La partie féminine de la distribution vocale séduit plus que la section masculine, avec en tête la Carmen de caractère d’Anaïk Morel, un chant d’ampleur aux aigus vigoureux et aux graves bien exprimés, qui apporte aussi un grand soin à la diction. On apprécie d’ailleurs plus chez elle le texte chanté que les dialogues, énoncés parfois de manière un peu prosaïque, comme si le théâtre en était absent. Don José constitue malheureusement le point faible de l’équipe, Eric Fennell faisant entendre un ténor de petit format, en déficit de projection avec un son régulièrement engorgé, voire resserré dans le registre aigu. Dans ces conditions, son air délicat du II « La fleur que tu m’avais jetée » est sans doute l’un de ses meilleurs moments, joliment conduit y compris l’aigu conclusif. Mais plusieurs de ses tirades nous laissent dubitatifs, comme un « Carmen, je suis comme un homme ivre » pas vraiment très saignant, ou bien encore les deux termes des actes III et IV, l’acteur étant par ailleurs handicapé par une qualité insuffisante de français au cours de ses dialogues parlés.
Ces faiblesses paraissent évidentes quand il chante en duo, par exemple avec la formidable soprano Adriana González en Micaëla, voix claire et puissante à la prononciation très correcte, sachant aussi alléger son instrument pour faire passer l’émotion, en premier lieu dans son grand air en début de l’acte III « Je dis que rien ne m’épouvante ». David Bižić chante un Escamillo tout d’un bloc, sonore mais qui paraît par instants forcer légèrement sur les notes les plus aiguës. Les rôles secondaires sont défendus avec qualité, comme la paire Emy Gazeilles et Albane Carrère respectivement en Frasquita et Mercédès, ainsi que les deux compères Nabil Suliman (Le Dancaïre) et Kaëlig Boché (Le Remendado). Les deux voix graves de Nicolas Brooymans (Zuñiga) et Norbert Dol (Moralès) sont également richement timbrées.
Déjà entendu à l’Opéra de Toulon, Valerio Galli confirme ses talents de chef lyrique, en produisant une musique d’un très beau relief, en particulier dramatique pour les séquences les plus poignantes. Avec un orchestre qui déborde de la fosse – des percussions sont installées dans les deux loges d’avant-scène, de part et d’autre -, le chef parvient à garder la puissance sous contrôle, tout en délivrant une lecture expressive, pleine de souffle et de vie. Les choristes de l’Opéra de Toulon se montrent pareillement en bonne forme, tout comme les enfants de la Maîtrise de l’Opéra de Toulon et du Conservatoire TPM.
I.F. Photos Frédéric Stephan
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