Ballets russes : ah, quel cinéma ! Chapeau bas !
Ballets russes, musique d’Igor Stravinski, Festival d’Aix-en-Provence au Stadium de Vitrolles (11 juillet 2023)
Direction musicale, Klaus Mäkelä. Piano, Giorgi Gigashvili. Orchestre de Paris
Film L’Oiseau de feu : réalisation, Rebecca Zlotowski
Film Petrouchka : réalisation, Bertrand Mandico
Film Le Sacre du Printemps : réalisation, Evangelia Kranioti
Amateurs de danse, s’abstenir ! Malgré le titre de la soirée, ces Ballets russes (du nom de la compagnie de ballet créée par Diaghilev au début des années 1900) sont à classer dans la catégorie du ciné-concert. Le Festival a souhaité enchaîner les trois ouvrages d’Igor Stravinski créés à l’origine pour accompagner des spectacles de danse : L’Oiseau de feu en 1910 à l’Opéra de Paris, Petrouchka en 1911 au Théâtre du Châtelet et Le Sacre du Printemps en 1913 au Théâtre des Champs-Elysées. La bronca fut d’ailleurs considérable pour ce dernier, qui révolutionna significativement le monde des arts.
Ce soir, l’auditeur a la chance d’écouter l’Orchestre de Paris venu au grand complet, placé sous la baguette de son directeur musical depuis deux ans, l’encore très jeune (27 ans) chef finlandais Klaus Mäkelä. Sa folle énergie et son savoir-faire sont visiblement communicatifs, pour une exécution absolument enthousiasmante des trois pièces. Les musiciens sont disposés sur l’ensemble du plateau du vaste cube de béton surchauffé que représente le Stadium de Vitrolles, salle de spectacle qui était à l’abandon depuis une vingtaine d’années. Contrairement à l’édition 2022 du festival, où la 2ème symphonie de Mahler était sonorisée, l’acoustique est cette fois naturelle et suffisamment puissante, grâce à l’appui d’une imposante paroi en fond de plateau, derrière l’écran géant de cinéma. Malgré l’éloignement des musiciens, la cohésion reste maintenue sans faille, pour une interprétation de haut vol : somptueuses cordes, vifs bois régulièrement sollicités dans des soli virtuoses (comme la flûte dans Petrouchka), cuivres brillants souvent mis à contribution par le compositeur, et jusqu’aux percussions impressionnantes qui résonnent dans cet important volume. L’Orchestre de Paris a décidemment eu le nez creux de s’attacher les services du jeune chef… lorsqu’il était donc âgé de 25 ans !
Les trois films projetés derrière l’orchestre sont très divers. Dans celui de L’Oiseau de feu, réalisé par Rebecca Zlotowski, on reconnaît les actrices Natalie Portman et Lili–Rose Depp. Les gros plans sur les visages sont beaux, mais l’intrigue – s’il y en a une ? – plus difficile à suivre… Nous sommes dans un théâtre-cabaret des années 1920 à l’entame, Natalie Portman se produit comme médium devant sa petite table, aux côtés de Lili-Rose Depp qui a de vraies visions. Puis on se retrouve sur le tournage d’un film, on passe par le Paris en début de 20ème siècle, on mène des expériences sur la jeune fille, des soldats prennent un bain, … puis on avoue perdre un peu le fil !
Pour illustrer Petrouchka, le réalisateur Bertrand Mandico scinde l’écran en deux parties, gauche et droite, proposant la même scène filmée à deux reprises sous deux angles différents. Nous sommes dans un bunker d’une société vaguement futuriste (mais le matériel informatique est très vintage !) où se déroule un défilé de mode devant quelques spectateurs inquiétants en imperméable et visages maquillés de blanc. Petrouchka est ici une femme qui déambule difficilement, comme un pantin. Drogue (quand elle avale des pilules pour se retrouver en limite d’overdose), sexe suggéré avec une dose de bondage, mais pas vraiment de rock-and-roll ! Encore du « cinéma dans le cinéma » à la vue des cassettes VHS dont la pellicule dévidée forme de petits tas… et l’on apprécie, comme précédemment, surtout la musique !
La troisième proposition, de Evangelia Kranioti, paraît plus en lien avec les sujets du Sacre du Printemps. On passe alternativement entre paysages en pleine nature et ville, une agglomération d’Amérique latine, vraisemblablement le Brésil. Un jeune homme, fumeur de crack, vit sous les ponts et trouve un masque. Il l’enfile et se voit transporté à la montagne, ou bien se retrouve dans les eaux d’un lac sous une épaisse couche de glace. Parallèlement, une femme aux allures de chamane est plongée dans l’obscurité. Carnaval, feux d’artifice et fêtes païennes semblent cette fois davantage en lien avec les fulgurances musicales de Stravinski, aux accents sauvages par moments. En conclusion chapeau bas à l’Orchestre de Paris et à son chef.
IF. Photos Festival d’Aix-en-Provence 2023 © Jean-Louis Fernandez
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