« Le ballet-maison, une chance exceptionnelle ! »
Alain Guingal est avignonnais ; comme le souligne le proverbe, sa carrière est plutôt « extérieure » ; néanmoins, ayant passé son enfance à l’opéra-théâtre de sa ville, dans les coulisses, ou parfois sur la scène, il conserve un lien charnel, et réciproque, avec elle. Le public apprécie de le voir revenir au pupitre pour Macbeth en ce printemps 2017, dans une mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia (voir aussi notre entretien) après sa défection forcée pour raisons de santé dans Carmen il y a quelques mois…
-Verdi et Hugo considéraient Macbeth de Shakespeare comme une histoire « énorme ». Peut-on penser que l’opéra est lui aussi exceptionnel dans la carrière de Verdi ?
-Oui, Macbeth est une grande œuvre. Ce n’est pas un opéra de jeunesse, c’est intermédiaire. Verdi était un très grand admirateur de Shakespeare depuis longtemps. Il a écrit Macbeth et Otello à partir de Shakespeare. Son grand rêve était de faire un Roi Lear, mais qui est resté en projet ; le livret était fait, mais Verdi est mort avant de le réaliser. Macbeth est une écriture très sombre, une écriture différente des opéras de jeunesse. On est en 1845, et Verdi peint là toutes les couleurs sombres de l’âme humaine. Il y a des sorcières, et le couple Macbeth, qui est le pivot de l’action. Dans les autres opéras de Verdi, on a surtout un père ou un ténor, ou un baryton cocu par le ténor. Macbeth est un des opéras dominés par une femme, comme Nabucco, ou Turandot chez Puccini. Macbeth est un pauvre type, complètement dominé par sa femme, il a d’elle une peur bleue. Elle, elle est assoiffée de pouvoir. Depuis que les sorcières lui ont prédit au début qu’il serait roi, elle n’a plus que cette idée en tête. Macbeth n’aurait pas tué Duncan, ni Banco, s’il n’avait pas été poussé par sa femme ; il est le jouet de sa femme.
-Une grande œuvre lyrique également ?
-Verdi écrit pour de grandes voix. Mais ici c’est amusant : en pleine période de bel canto, Verdi pour Macbeth a refusé une grande chanteuse qu’on lui proposait. Il cherchait une voix étrange, torturée ; je ne veux pas une belle voix, disait-il, mais une voix aux accents cinglants, rauques. Ici évidemment à Avignon on a de belles voix. Pourtant l’œuvre a une couleur sombre, du début à la fin. Dans l’orchestration d’ailleurs les bois jouent un grand rôle : le cor anglais, le hautbois, le basson. On se croirait en Ecosse, une ambiance de cornemuse, de brume écossaise.
-Le compositeur italien a parfaitement su recréer l’univers du Nord ?
-Oui, c’est une très grande réussite. Il a certes fait plus court, il a bien concentré toute l’œuvre. Ç’a été un grand succès lors de la création à la Pergola de Florence. Dix-sept ans plus tard, quand l’œuvre a été créée en français, avec des rajouts au 4e acte, avec des entractes intempestifs, au 5e acte il n’y avait plus personne dans la salle.
-Ensuite on a supprimé toutes ces inutilités.
-Oui, mais on a rajouté un ballet : ces messieurs devaient entretenir des danseuses ! Le ballet arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, mais au moins il est bien écrit. A Marseille (création au printemps 2016, NDLR), on n’a pas mis de ballet : il n’y a plus de ballet à l’opéra de Marseille. Mais ici à Avignon on a un ballet ! C’est une des dernières maisons à avoir un ballet, c’est une chance exceptionnelle…
-Et un chœur… Justement, vous êtes vous-même avignonnais. Diriger chez soi, c’est une chance, ou un stress supplémentaire ?
-C’est toujours plus difficile de diriger chez soi. Moi j’ai fait beaucoup de ma carrière à l’étranger. Immédiatement après Macbeth, je pars faire Werther à Budapest. A Avignon, tous les gens de l’orchestre je les ai vu débuter ; ils étaient très jeunes, moi aussi j’étais plus jeune, mais je suis le plus ancien. J’ai commencé en 1975 à diriger. Puis j’ai dû m’arrêter pendant un an et demi : à force de faire de grands gestes au pupitre, j’ai dû me faire opérer des adducteurs du bras. J’ai juste repris pour Manon à Monte Carlo.
-L’accueil a été bon, je crois, pour cette Manon ?
-Oui, sauf le fait que Yoncheva n’est pas venue. J’ai fait deux Manon, à Monte Carlo et à Marseille. On a eu un autre problème : notre excellent ténor, Borras (Jean-François Borras, originaire de Monaco, très présent dans la région Provence donc dans nos pages, NDLR), a eu la grippe le jour de la première ; heureusement il a repris pour la suite ; donc le dimanche on a eu un autre ténor en coup de vent.
-L’opéra est exigeant. Ce sont des métiers de sportifs de haut niveau.
-Il y a vingt ans, quand un chanteur était malade, on trouvait toujours un remplaçant, maintenant c’est beaucoup plus difficile. A Bologne par exemple, Werther a été annulé, faute de remplaçant.
-C’est ce qui s’est passé récemment aussi à Avignon.
-Oui, mais la situation était un peu différente : c’était un opéra contemporain, une création (L’Ombre de Venceslao, NDLR). Mais pour des œuvres connues, on devrait pouvoir trouver des remplaçants. Aujourd’hui la carrière ne se déroule plus de la même façon. On en prend trois, quatre ou cinq, qu’on pousse ; ils arrivent à chanter n’importe quoi ; on presse les ténors tant qu’on le peut… Autrefois les carrières duraient vingt-cinq ans ; maintenant au bout de cinq ans c’est terminé. Ils brûlent leur voix dans les voyages, ils passent d’une œuvre à l’autre en quatre jours.
-Et dans le cas de ce Macbeth ?
-Je suis ravi de la distribution. On a un baryton superbe. J’ai proposé pour Lady Macbeth Alexandrina (elle a changé de nom entre-temps) ; je l’ai découverte en 90-91 dans Escarmonde ; elle avait 18 ans. Elle a une belle voix, très aiguë. Je ne l’avais plus entendue depuis cette époque, il y a 18 ans. Elle est vraiment le personnage ; et de surcroît gentille, charmante. Le ténor, on l’a déjà entendu ; il n’a d’ailleurs qu’un air. La basse aussi est une très belle voix, pour le rôle de Banco, une voix très prometteuse. Les chœurs aussi sont très bien.
-Ce sont les chœurs « maison »…
-Et l’orchestre aussi se présente bien, d’après ce que j’ai vu dans notre première séance de travail. Macbeth, je l’avais dirigé…en 1992-93, je crois. Mais c’est un opéra que je connais bien, que j’ai vu énormément de fois dans ma vie, et un opéra que j’aime.
-Après Macbeth, et après Werther, avez-vous d’autres projets ?
-J’avais dû annuler tous mes contrats pour me faire opérer. Quand j’ai repris, mon agent a attendu cette Manon à Monte Carlo pour voir dans quelle forme je me trouvais. Donc maintenant je vais faire Werther à Budapest, Faust à Avignon, puis Manon à Bilbao.
–Faust, ce sera dans quelques semaines à peine. Pouvez-vous en parler dès maintenant ?
-Je préfère qu’on se revoie à ce moment-là.
-Si vous n’aviez pas fait de la direction d’orchestre, qu’auriez-vous aimé faire ?
-(sans hésitation) J’avais quelques envies. J’ai toujours été passionné par l’archéologie et par la photo, en noir et blanc. Tout jeune, comme j’étais souvent au théâtre par ma famille, je rêvais d’être chanteur. Puis je me suis rendu compte qu’il fallait avoir un bon niveau, sinon pas la peine. Et j’ai toujours été passionné de cinéma. Oui, j’ai plusieurs passions…
Propos recueillis par G.ad., mars 2017. Photo de répétition, aux côtés du metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia: Cédric Delestrade-ACM-Studio