Toujours l’irrésistible force tragique de l’Antique
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Atypiq, 95 rue Bonneterie, jusqu’au samedi 13 juillet, 19h45, durée 1h25. Relâche le 9. Résa au 04 86 34 27 27
On aurait pu espérer qu’en cette année exceptionnelle, le théâtre grec antique soit mis à l’honneur à l’égal de l’olympisme, puisque l’un et l’autre sont nés sur la terre d’Hellade. Et à ce titre il faut aller voir la seule compagnie grecque présente à Avignon, et fidèle au Festival, la compagnie Vivi.
Se trouver sur les gradins du théâtre de Dionysos à Athènes il y a 2.500 ans, et voir se jouer l’une des tragédies du très célèbre Sophocle, dans les conditions mêmes de sa création, c’est (presque) possible grâce à la compagnie ViVi. Depuis des années elle redonne chair aux grands classiques, dans la langue originelle, le grec de l’Antiquité, riche et expressif, proféré dans son âpre plénitude, surtitré en français. Le travail sur le corps, la voix, donne des scènes fortes, vigoureuses, sauvages parfois. Les occlusives, les gutturales surtout, jaillissent dans un effort de tout le corps ; les nasales assouplissent les attendrissements poétiques ; l’éclat des voyelles affronte l’écho du monde…
Ajax cette année, après Les Perses repris en 2022, et plus de trente titres depuis 1993, évoque ainsi la fureur de ce valeureux guerrier de la mythologie antique, mortifié que les armes de son ami Achille mort soient données à Ulysse. Revenu à la raison après avoir massacré des troupeaux sur son passage, il se suicide malgré les supplications de sa compagne et de son frère. La dernière partie, qui peut paraître anecdotique, relance de fait la force tragique. Devant le cadavre d’Ajax s’affrontent Agamemnon et Ulysse ; on sait l’importance capitale que revêt l’ensevelissement dans l’Antiquité, comme avec Antigone, ne fût-ce que par une simple poignée de terre respectueuse. Donner une légitime sépulture à Ajax le ramène à la condition de tout mortel, à la « normalité », alors que la personne même d’Ajax incarne le refus de cette normalité ! Grâce à Ulysse Ajax sera honoré, mais la solennité du moment, dans l’espace public de la légalité, est ici marqué par les costumes, flamboyants, et par la majesté hiératique de l’affrontement au sommet.
Les sentiments paroxystiques, les émotions incandescentes, s’expriment de façon très visuelle, spectaculaire. Avec deux nouveautés cette année : quelques passages chantés, parfois poignants, sur une musique totalement inédite, reconstituée par une compositrice actuelle d’après un traité de Platon ; et même une tirade en français, totalement intégrée à l’action.
IL faut accepter d’être bousculé, prendre de plein fouet les cris, les gestes, endosser toute la force de la tragédie, se laisser traverser par elle. Le jeu percutant des quatre excellents comédiens, dont une femme, offre un moment exceptionnel, qui n’est pas dénué de finesse et de sensibilité.
On peut regretter que l’Atypiq théâtre ne soit pas l’endroit le plus confortable pour que se déploient toutes les qualités de ce spectacle. On ose souhaiter que la compagnie revienne l’année prochaine dans un lieu plus adapté.
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Geneviève. Photos Nikos Paraskeuopoulos
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