Voir aussi « Gabriel Bacquier : Avignon et Orange l’avaient accueilli », par Raymond Duffaut
Voir aussi « Rencontre avec Gabriel Bacquier, un homme du Grand Sud », par G.ad.
Gabriel Bacquier s’est éteint.
Il n’y a pas d’autre mot. Il s’est éteint. C’était une flamme perpétuelle, Gabriel.
Lumière, brillance, chaleur…
Et cette voix ! Quelle voix ! Pfiouhhh là là !!!
Je ne m’attarderai pas sur les précisions chronologiques. Il y a le Who’s Who et des centaines d’articles, pour cela.
Et ça n’est pas le plus important.
Avant d’être un fabuleux et incontesté baryton, c’était avant tout un homme gentil et merveilleux. D’une immense tendresse dans son amitié !!!
La première fois que je l’ai rencontré, en fin des années soixante, j’étais le tout jeune élève-assistant-disciple de Bernard Gavoty. Suivant celui que j’appelais « Mon Maître », nous nous retrouvions régulièrement à Aix, pour le Festival d’Art lyrique, dont une des stars était Bacquier. Et bien souvent, après les représentations, nous terminions la soirée au restaurant Les Deux Garçons, Bernard Gavoty, Gabriel Bacquier, Gabriel Dussurget (*) et x ou y qui était de passage. J’avais vingt-deux ans et je regardais, j’écoutais et surtout je riais. Mais je riais ! Et j’apprenais.
Une quarantaine d’années plus tard, préparant une mise en image des Noces de Figaro, je lui ai demandé s’il voulait bien participer à cette vidéo en disant quelques mots. En fait de quelques mots, il ponctue les soixante minutes du film de petites touches par-ci par-là, pertinentes et qui tombent à pic pour expliquer l’œuvre et aussi le travail des chanteurs.
Comme, par exemple, « un air, on le chante face au Public, c’est la propriété du chanteur. Durant son air, l’opéra s’arrête, c’est son air, il (elle) vient le chanter à la face, et puis après l’opéra reprend » ; ou « quand les acteurs se déplacent, les compositeurs n’étant pas des imbéciles ils ont donné à la musique le rythme d’une démarche avec des souliers d’époque ; faire jouer dans des costumes actuels est une hérésie ».
Et ainsi de suite.
Son maître-mot était le bonheur du Public. Bien sûr, il aimait les belles mises en scène inventives, créatrices, mais il ne supportait pas les mensonges par rapport à la musique, ou au livret, de certains metteurs en scène.
Pour en revenir à sa gentillesse spontanée (gentillesse quand il aimait, et pour qui il aimait ; quand il n’aimait pas, il pouvait être terrible), après que je lui eus montré le premier acte de mon travail sur Les Noces de Figaro, il me dit d’emblée « on va se tutoyer ! » – Je ne pourrai jamais tutoyer Bacquier – « Tu t’y feras ». Et je m’y suis fait, très vite, parce qu’émanait de lui non pas une distance due à sa célébrissime personne, mais avant tout des liens d’affection.
Bacquier aimait. Et il aimait aimer.
Ainsi sont nés dix ans d’une amitié merveilleuse.
Comment cet homme qui était tout sauf m’as-tu-vu, show-biz, qui était gentil, comment a-t-il pu devenir la vedette du Festival d’Aix, de l’Opéra de Paris, du Metropolitan de New-York pendant si longtemps (dix huit ans pensionnaire au Met ! – excusez du peu), comment en étant avant tout gentil, anti-star, ne sachant pas se mettre en avant, ne faisant jamais rien pour sa « carrière », comment a-t-il pu devenir ce Bacquier tellement illustre ?
Parce qu’une voix extraordinaire servait un acteur exceptionnel, ou l’inverse, comme vous voudrez.
Il avait grandes conscience et déférence des œuvres qu’il interprétait, au point de (peut-être) trop favoriser l’opéra italien au détriment du germanique. Alors qu’il aurait fait merveille dans les Adieux de Wotan (la Walkyrie) par exemple, ou le Roi Marke (Tristan). Par respect pour Wagner, pour Strauss et tant d’autres… il n’a jamais osé approcher l’opéra allemand, parce qu’il en maîtrisait mal la langue, et donc par souci d’honnêteté.
Tout le monde ne peut pas en dire autant.
Après avoir quitté les grandes scènes internationales (il les a toutes arpentées), il a eu à cœur de guider de jeunes voix vers la perfection. Ça n’était pas exactement des leçons, plutôt des mises en orbite.
Mais je vais m’arrêter là, de peur de devenir lassant dans mes dithyrambes. Il faut dire que je pourrais parler de Bacquier pendant encore des heures.
Juste un dernier petit mot pour envoyer un grand-gros baiser à sa femme Sylvie Oussenko. Après tout, n’étais-je pas témoin à leur mariage !
Gonzague Zeno, réalisateur, président de l’Orchestre Régional Avignon Provence
(*) Gabriel Dussurget était le fondateur et directeur du Festival d’Aix. Homme d’une grande finesse et d’un humour éblouissant.
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