Un rendez-vous attendu chaque année
Chapelle Saint-Ferréol, Viens (84). Dans le cadre du Festival des FerréoFolies
Mardi 16 & mercredi 17 août 2022, 19h30
« Le fabuleux fablier de Jean-François Zygel », improvisations autour de La Fontaine. Spectacle créé à la Philharmonie de Luxembourg le 8 mai 2022 dans le cadre des « dimanches de Jean-François Zygel »
Jean-François Zygel, piano
Voir aussi notre entretien avec Jean-François Zygel
C’est devenu depuis de longues années un rendez-vous attendu dans la charmante chapelle Saint-Ferréol de Viens – aux confins du Vaucluse et des Alpes de Haute-Provence – joliment restaurée, ou plutôt reconstruite : deux concerts de Jean-François Zygel, deux jours consécutifs. Des improvisations dont il a le secret, sur des thèmes divers : géographie, histoire, musique, littérature, tout peut titiller son imagination fertile… Cette année, 400e anniversaire oblige, le fil rouge sera La Fontaine ; le pianiste raconte avec gourmandise s’être replongé dans la lecture des Fables, et y avoir trouvé et retrouvé quantité de petits trésors, qu’il se réjouit de faire partager à un public toujours plus nombreux.
Et, presque au dernier moment, en raison d’un changement d’agenda, Viviane Dargery, présidente de l’association de la chapelle, a pu programmer les Voix animées (site officiel), talentueux ensemble toulonnais a capella dirigé par Luc Coadou, également habitués du lieu ; le dimanche les artistes ont donc donné un concert de chants sacrés de la Renaissance, après leur récent passage à l’abbaye du Thoronet et à la Tour royale de Toulon : une carte blanche exceptionnelle, dont la présentation a été assurée par Jean-François Zygel, déjà arrivé sur place depuis quelques jours.
Le mercredi 17 août 2022, l’orage avait menacé toute la journée ; la météo vauclusienne était en alerte orange – pluies et inondations – pour la soirée. On connaît en Provence la brutalité des intempéries d’été, les déluges venus du ciel et les soudaines montées des eaux. In situ on a mémoire livresque des crues terribles du Calavon tranquille, de celle notamment qui, au XVIe siècle, a bousculé la chapelle Saint-Ferréol imprudemment construite à proximité.
C’est justement cette chapelle Saint-Ferréol – dont on lira l’histoire infra – qui, ce mercredi, est déjà presque pleine et le public est visiblement familier. Depuis environ deux décennies, Jean-Francois Zygel a fait le vœu, nous a-t-il dit en amont (voir notre entretien), de venir donner chaque année deux concerts de même programme, cette année les 16 et 17 août. Ce gourmet de mots autant que de notes, qui a toujours mille projets d’avance, aime marier la littérature et la musique ; tout comme Christine Ruiz-Picasso, la première bienfaitrice de la chapelle, exceptionnellement présente ce soir, a imposé dans ce lieu le mariage de la peinture contemporaine et de la musique. L’exposition actuelle de Patricia Le Berre ravit d’ailleurs en moi la fibre « fauviste ».
C’est donc avec La Fontaine que le pianiste, spécialisé dans l’improvisation, va nous faire partager la soirée. L’introduction sera « un peu mélancolique, comme le temps », dit-il presque en s’excusant, au contraire de la veille, où le ciel lumineux lui avait inspiré un incipit plus joyeux.
Toujours prolixe mais mesuré, le pédagogue, excellent conteur, présente chaque fable dans son contexte et sa perspective – sociale, politique… -, avec une légèreté… qui se décline aussitôt avec même talent au clavier.
Les deux premières fables sont bluffantes : le piano déroule la narration avec une fidélité parfaite, créant des univers successifs, suggérant des images, et épousant le rythme même des mots et des vers. Avec une lumineuse évidence on « entend » La Fontaine en notes. Une expérience synesthésique saisissante, celle-là même, célèbre, de Baudelaire (« Les couleurs, les parfums et les sons se répondent »). Mieux, ils s’épousent, s’entrelacent, se confondent. Est-ce en clin d’œil au jeune Mozart… et à André Manoukian, son complice en d’autres lieux, que le brillant improvisateur a mis le doigt sur… « les notes [et les mots] qui s’aiment » ?
Ensuite, je me laisserai simplement porter par les tableaux sonores que peindront une main droite d’une virtuose agilité et une main gauche, parfois sévère et grondante, parfois facétieuse et imprévisible…
L’artiste termine traditionnellement son concert par une improvisation « sur » ou « autour de » l’un des tableaux exposés ; un cadeau pour le public, alors que Moussorgski, lui, évoquait des tableaux que l’on ne verrait jamais… Depuis quelques minutes, Zeus se fâche ; la porte ouverte envoie des giclées de lumière, et l’on devine sans peine le déluge qui nous cueillera dès la sortie de la chapelle. C’est peut-être cette parenthèse de sérénité autour du piano, cet instant suspendu, qui fait de chaque spectacle vivant un moment unique. Surtout quand le pianiste imagine les troncs d’arbres de la peintre Patricia Le Berre comme des mains tendues vers le ciel, au coeur de cette chapelle dans laquelle Christine Ruiz-Picasso voit elle-même « une prière de pierre ».
G.ad.
La première attestation écrite du village de Viens, aux confins du Vaucluse et des Alpes de haute-Provence, date de 991. Viens est aujourd’hui (sans doute aussi à l’époque) un village perché sur un éperon rocheux. La chapelle, elle, est construite, sans doute aux alentours de l’an mil, dans l’étroite vallée du Calavon, alors appelé le Coulon ; elle est dédiée à saint Ferréol, un soldat martyr du IIIe siècle, protecteur des champs et des cultures. Entre des périodes d’intense activité (avec des fêtes votives en même temps que des cérémonies religieuses) jusqu’à aujourd’hui, elle connaîtra des décennies voire des siècles d’abandon. Au XVIe siècle une crue du Calavon la fera déplacer de quelques dizaines (?) de mètres.
C’est de 1993 que date sa renaissance, après 80 ans de délabrement progressif.
Christine Ruiz-Picasso, veuve du fils aîné du peintre, installée tout près depuis une vingtaine d’années, s’émeut de l’état pitoyable de la chapelle. Elle fait un don, sous réserve que la chapelle soit reconstruite par des artisans locaux, que les Viensois se la réapproprient, et qu’elle accueille en même temps événements musicaux et expositions d’art contemporain.
Le peintre Michel Guéranger est sollicité pour décorer les plafonds, de la nef (1997) puis des transepts (2013). Et depuis 1997 la chapelle Saint-Ferréol est redevenue un lieu de partage artistique extrêmement vivant, un « dialogue entre Histoire et Modernité » ; et, « à chaque fois qu’on y donne un concert, écrit justement Jean-François Zygel dans la monographie consacrée à la chapelle, les anges du ciel arrêtent un instant leurs jeux et tendent l’oreille ».
G.ad.
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