Un opéra-coup de poing
Vanda, Lionel Ginoux, opéra de chambre chanté en français (surtitrage), d’après Le Testament de Vanda de Jean-Pierre Siméon. La Chartreuse, Villeneuve-lès-Avignon (30). Durée 1h15 (sans entracte). Production Act’tempo. Co-production Opéra de Reims, Césaré CNCM/Reims et l’Abbaye Royale de Fontevraud. Avec le soutien de la Région Provence-Alpes Côte d’Azur. Avec l’aide de l’ARCAL
Mise en scène, Nadine Duffaut. Scénographie, Emmanuelle Favre. Costumes, Danièle Barraud. Lumières, Philippe Grosperrin. Vidéo, Arthur Colignon
Ambroisine Bré, mezzo-soprano
Marie-Suzanne de Loye, viole de gambe
Ouvrage chanté en français
Durée du spectacle 1:15 (sans entracte)
Un opéra-coup de poing. Sobre, sombre et poignant.
Intimiste, chambriste, opéra de poche, Vanda est tout cela. D’une extrême sobriété dans les moyens visibles : une estrade, une chanteuse, une gambiste, un rideau diaphane, des projections vidéo, et comme accessoires, une chaise, et un couffin (celui-ci se révèlera, de fait, le nœud narratif). Mais des moyens de coulisses exigeants. Et un rendu scénique qui vous met K.O. Un coup de poing dans l’oreille, dans le cœur, dans la vie. De cette tragédie ordinaire de notre siècle, on ne sort pas indemne.
L’émotion est palpable dans la salle : gorges nouées, peut-être une larme furtive, poitrines oppressées, souffles courts. Et à la fin, l’on ne revient pas si facilement à la réalité du quotidien, un quotidien finalement bien douillet chez nous.
Car ce que Vanda nous crache à la figure, nous vomit dans le cœur, c’est le parcours terrible d’une jeune femme, jeune maman, venue des Balkans. Elle aurait pu venir d’ailleurs et se retrouver ailleurs que dans la jungle de Calais (Nadine Duffaut metteure en scène est née à Boulogne-sur-Mer), dont les images crèvent le fond de scène, terribles à force d’être banales. Mais elle est là, devant nous, une réfugiée comme tant d’autres, elle a vécu tous les drames, toutes les humiliations ; on se demande comment elle peut encore tenir debout.
Ambroisine Bré est hallucinante dans ce rôle violent, déchirant, impudique, monstrueux et tendre. Son chant vient des entrailles, nu, parfois rauque parfois caressant. Car elle a aimé et été aimée, Vanda. Et l’émotion qu’elle nous jette, qu’elle nous impose, est tellement forte, qu’elle tue tout sentiment, jusqu’à la pitié. Seul l’écoeurement, presque physique, au-delà de la pure indignation idéologique.
Quant au mariage inédit entre la musique électronique enregistrée (comme dans L’Ombre de Venceslao) signée Lionel Ginoux – jeune compositeur prolifique, initialement formé à Avignon – et la viole de gambe de Marie-Suzanne de Loye, sobre et intense en coin de scène, il souligne de façon magistrale un texte fort, dépouillé jusqu’à l’essence même de la sensation. Comme si voix, musique, texte, lumières, et présence, ne pouvaient qu’exister ensemble.
Dans le cadre intime et majestueux de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, un des lieux emblématiques du Festival In, Vanda restera un moment fort de la saison avignonnaise 2017-2018.
Je crois avoir la redoutable responsabilité d’être l’une des premières plumes à rendre compte de cette production, créée à l’Opéra de Reims en novembre 2016, donnée ensuite à l’abbaye de Fontevraud en version concert, mais dont le Vaucluse n’est que la troisième étape. C’est un honneur et un bonheur, s’agissant d’un spectacle aussi intense. Nécessaire et insoutenable.
G.ad. Photos Reims : Jimmy Vallentin. Photos Chartreuse : G.ad.
Argument
Le Testament de Vanda est une histoire banale de notre temps : une femme avec son bébé dans un centre de rétention. Elle a tout traversé ; la guerre, l’amour perdu, le viol, les frontières interdites, l’errance, la misère, le rejet. Elle ne peut plus rien, ni le pas en arrière, ni le pas en avant. Elle a décidé d’en finir puisqu’elle n’a plus lieu d’être. L’histoire de tous ces hommes sans patrie, sans papiers, sans logis, sans droits, sans avenir, ce peuple d’ombres effarées dont nos sociétés, ne savent que faire. Infériorité et expressivité sont le coeur de la partition.
Par le choix du dénuement de l’instrumentation, le compositeur a voulu traduire l’intimité de cette femme et mettre à nu son émotion vibrante lorsqu’elle nous raconte sa vie. Trouver du sens, parler de l’humain, parler de notre époque avec simplicité, avec force tout en renouant avec la vocalité et la mélodie, voici le travail du compositeur. (Lionel Ginoux)
Note d’intention
La vie de Vanda est âpre et sans espoir d’un avenir meilleur. Ne laisser aucun héritage, aucune trace de son passage, c’est la douleur ultime, l’effacement de soi. Voilà le message de cette mère pour éviter ce fardeau trop lourd à son enfant. Héritage, succession, comment éviter cette charge à sa descendance ? Peut-être comme Vanda le choisit en s’effaçant de la vie de son enfant.
Et ce drame, accompagné par la viole de gambe et des sons venus d’une « machine » infernale vous transporte au-delà du malheur vers une réflexion sur le passage sur terre. Cadeau absolu pour un metteur en scène ! (Nadine Duffaut)