Auditorium de la Collection Lambert, rue Violette. Samedi 11 janvier 2020, 20h30
La Chapelle Harmonique. Direction musicale, viole de gambe, Valentin TOURNET. Alice DUPORT-PERCIER & Axelle VERNER, soprani. Alix BOIVERT, violon. Jean-Christophe DIJOUX, clavecin. Eric BELLOCQ, théorbe. Natalia TIMOFEEVA, viole de gambe, violoncelle
Jean-Damien BARBIN, récitant
Programme « Tous les matins du monde »
MONSIEUR DE SAINTE COLOMBE, le père, Les pleurs pour une viole seule
Gavotte du tendre, Concert XLI à deux violes égales « Le Retour »
Concerts XLIV à deux violes égales « Tombeau les Regrets » : Les Regrets – Quarillon – Appel de Charon ; Les Pleurs – Joye des Elizées – Les Elizées
MONSIEUR DE SAINTE COLOMBE, le fils, Prélude pour Monsieur Vauquelin. Fantaisie en mi mineur
Chanson populaire traditionnelle. Une jeune fillette
Marin MARAIS. Improvisation sur les Folies d’Espagne : L’Arabesque – Le Badinage. La Rêveuse. Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont de Paris
François COUPERIN. Troisième leçon de Ténèbres à deux voix
Jean-Baptiste LULLY. Le Bourgeois Gentilhomme. Marche pour la cérémonie des Turcs. Chaconne des Scaramouches, Trivelins et Arlequins
Musique Baroque en Avignon, en co-réalisation avec l’Opéra Grand Avignon
Pour Musique Baroque en Avignon, les jeunes artistes de la Chapelle Harmonique (qui ont tous eu un choc dans leur toute petite enfance en découvrant répertoire et instruments baroques) ont reconstitué, à la collection Lambert d’Avignon, l’univers musical de « Tous les Matins du monde » de Quignard-Corneau : MM. de Sainte-Colombe père et fils, Marin Marais, Couperin, Lully. Un concert dans un écrin digne de lui.
Pour ce quatrième concert de Musique Baroque en Avignon, ce fut le mariage, inattendu mais réussi, de l’art le plus contemporain et du répertoire d’antan. C’est en effet le nouvel auditorium feutré, de la collection Lambert à Avignon, qui a accueilli l’ensemble La Chapelle Harmonique, dans un programme « Tous les matins du monde » créé il y a quelques mois dans les lieux mêmes de tournage du film éponyme, et partout applaudi avec enthousiasme.
Qui n’aurait pas entendu parler de Tous les matins du monde aurait vécu sur une île déserte. C’est en 1991 que sont sortis à la fois le livre de Pascal Quignard et le film d’Alain Corneau, qui ont fait éclater pour le grand public la lumière de la musique baroque, au travers de la vie romancée de M. de Sainte-Colombe. Le film fut aussi une révélation pour les jeunes musiciens de l’ensemble la Chapelle Harmonique, alors dans la prime enfance. Devenus violiste, gambiste, théorbiste, claveciniste, organiste, ou soprano, et réunis en 2017 au sein de la Chapelle Harmonique, fondée par Valentin Tournet – élève notamment de Jordi Savall, Pierre Cao ou Philippe Herreweghe -, ils se consacrent désormais à un répertoire allant des polyphonies de la Renaissance au baroque des Lumières, en passant par le « pivot » Jean-Sébastien Bach.
Ce samedi en terre avignonnaise ils ont donc fait vibrer en direct sur instruments d’époque les accents si particuliers, et si vivants, de Jean de Sainte-Colombe et de son fils, de Marin Marais, de Couperin et de Lully. Je craignais que ne se profilent, trop invasives à nos mémoires, les images magistrales de Jean-Pierre Marielle et de Depardieu père et fils… De fait, la prégnance des pièces musicales, et la présence talentueuse des artistes, ont effacé tout le reste, au point que les téléphones portables ne se sont même pas rallumés tout de suite à l’issue de ce moment suspendu !
Le concert s’ouvre et se clôt sur le moment, intime et intense, secret et recueilli, qui va de M. de Sainte-Colombe à Couperin, et qui accompagne la mort de l’épouse puis celle de la fille aînée Madeleine. Un moment où les violes (Valentin Tournet, également à la direction, et Natalia Timofeeva, également au violoncelle) distillent avec délicatesse toute la finesse de leurs pianissimi.
Entre ces deux instants rares, le concert déroule le cheminement d’une vie racontée par Jean-Damien Barbin en récitant, également connu à Avignon comme complice d’écriture ou de scène d’Olivier Py. C’est le fil rouge narratif, tissé à travers quelques passages choisis du roman initial qui donnent une solide cohérence au programme musical.
On chemine ainsi, de la sobre intériorité de M. de Sainte-Colombe, avec un jeu réduit, à une formation de plus en plus large (théorbe d’Eric Bellocq, orgue et clavecin de Jean-Christophe Dijoux), culminant au violon brillant d’Alix Boivert (Marin Marais devient tout de même musicien officiel du Roi-Soleil, n’en déplaise à son maître M. de Sainte-Colombe, et Lully est maître de musique de la famille royale), avant la Leçon de Ténèbres de Couperin quasi conclusive.
Devant les rappels insistants, Valentin Tournet et sa Chapelle harmonique ont ensuite offert en bis la célèbre pavane « Belle qui tiens ma vie » (accueillie par un murmure de satisfaction) et la « Chaconne » du Bourgeois gentilhomme, la « Marche pour la cérémonie des Turcs » appartenant, elle, au programme principal.
De cette salle confortable, douillettement moquettée, plutôt destinée à des spectacles parlés ou à des conférences, les artistes ont su faire un atout de proximité, comme un salon de musique des Grands Siècles. Les musiciens ont su procéder avec doigté à de fréquents ré-accords, les voix à des réajustements, assez forts pour donner toutes les nuances, assez fins pour garder chaque inflexion minime. La remarquable complicité de ce tout jeune ensemble (à peine plus de deux ans) et son exceptionnelle maturité lui feraient sans doute jouer avec le même naturel dans toutes sortes d’écrins.
Il ne faudrait pas oublier les hommes de l’ombre, les facteurs-accordeurs, André Christophe de Nîmes pour le clavecin et Michel Formentelli, gérant des Orgues Saby de Saint-Uze (26) pour l’orgue positif, qui assurent aussi la réussite du concert.
Le même programme sera donné sous peu à Toulon. (G.ad. Portraits Amaya Gautier. Photos concert G.ad.)
On peut trouver nos comptes rendus des trois concerts antérieurs de la saison 2019-2020 de Musique Baroque en Avignon : Jean Tubéry et la Fenice (13 octobre), la HEM de Genève (16 novembre), le Quatuor Girard (8 décembre).
On lira sous peu nos annonces, entretiens et comptes rendus pour les cinq concerts suivants: Thibaut Garcia (9 février), les Nouveaux caractères (15 mars), Jakub Josef Orlinski et l’ensemble Il Pomo d’oro (30 avril), l’ensemble Sébastien de Brossard (17 mai), enfin Lea Desandre et Thomas Dunford, avec l‘ensemble Jupiter (6 juin).
BRUN dit
Bravo ! belle écriture qui retrace bien ce magnifique concert !
Madeleine