Marie-Ange Todorovitch. Musicales du Luberon, 5 mai 2015
« Je crois profondément à tout ce que je chante »
Née à Montpellier, installée en Savoie, Marie-Ange Todorovitch poursuit une brillante carrière loin du tumulte médiatique, imposant sur les scènes les plus prestigieuses son élégance naturelle et son timbre coloré de mezzo « léger » (elle a débuté comme soprano). Elle se produit régulièrement dans la région, notamment à Apt ce jeudi 5 mai 2016, en ouverture des Musicales du Luberon. On la reverra souvent en région Paca pendant la saison 2016-2017. Entretien avec une grande dame, en toute simplicité.
-Marie-Ange Todorovitch, vous avez fait des études de piano, d’orgue et de chant au Conservatoire de Montpellier. Quand, et comment avez-vous fait le choix du chant ?
–Le choix s’est fait presque naturellement. Je pense que j’avais encore plus de facilités avec mon instrument à moi, ma voix, qu’avec le piano. Ce que j’espérais, c’était faire carrière sur scène comme soliste, et pour cela la voix était pour moi le plus magique. D’autant qu’une médaille d’or de piano, à 14-15 ans, cela ne suffit pas, j’étais déjà trop âgée pour devenir professionnelle… J’étais faite pour chanter.
-Vous êtes surtout connue dans l’opéra. Quels rôles vous ont particulièrement marquée ?
-Tous les rôles me marquent. Chaque fois, c’est une page de livre qui s’ouvre et qui se refermera ensuite. Il n’y a pas de petits rôles, tous pour moi sont importants. Tout ce que je fais, je le fais toujours avec joie et avec amour.
-Vous avez une carrière très riche. Mais y a-t-il encore des rôles dont vous rêviez ?
-Je fais partie des gens qui ne rêvent pas (rire), j’ai la tête sur les épaules. En tant qu’artistes, on est là pour faire rêver les autres, pas pour rêver nous-mêmes. Mais pour parler plus sérieusement… C’est une question qui me prend un peu à froid, je suis à Annecy, je finis une répétition avec l’organiste. Mais il est vrai qu’il existe encore tant de rôles à jouer ! Marcelline, dans les Noces, Madame Larine dans Eugène Onéguine, et tant d’autres… Il y a plein de rôles nouveaux qui m’intéressent… Mais en fait je vis plutôt dans l’instant présent. Dans 8 jours, je suis au Grand Théâtre de Genève dans Falstaff, avec une prise de rôle. Ce jeudi je suis à Apt. Je ne vais pas anticiper quand j’ai la possibilité de vivre pleinement dans le présent ! Mais j’aimerais, il est vrai, par exemple le rôle de Erda chez Wagner, dans le Ring, ou, plus simple, Geneviève dans Pelléas.
-A l’opéra, un profil de personnage est défini par sa tessiture autant que par les situations qu’il vit. Quelle est la typologie du personnage de mezzo ?
-Dans l’opéra français, ce sont les Carmen, Charlotte dans Werther, ou Marguerite de la Damnation de Faust. Chez Mozart, ce sont les travestis. Et maintenant, avec l’âge, ce sont aussi ce qu’on appelle les rôles de composition : les mères, les sorcières… Tout cela me fait vraiment plaisir. Je reprends des œuvres que j’ai déjà chantées, où j’ai chanté les jeunes premiers ou les jeunes garçons, et je me revois quand j’avais 20 ans. Maintenant je chante les rôles de mère. Dans Katia Kabanova, par exemple, aujourd’hui je joue Kabanicha.
-C’est une évolution inévitable, avec la maturation de la voix, et de la personnalité…
-Pas si inévitable, puisque certaines ne l’atteignent jamais. Moi, j’ai la chance d’être encore là (rire). Dans ce métier, ce n’est pas donné à tout le monde.
-Vous ouvrirez jeudi le Festival de printemps des Musicales du Luberon dans un concert à la cathédrale d’Apt.
-Je suis ravie de retravailler avec les Musicales du Luberon. C’est une belle association, qui tient dans la durée, menée de main de maître par Patrick Canac et son équipe. Je suis reconnaissante aux Musicales de me faire confiance, une fois de plus.
-Ce concert à Apt le jeudi de l’Ascension sera un programme de musique sacrée… Est-ce une création, ou l’avez-vous déjà rodé ?
-Je l’ai déjà donné chez moi, à Chesney, en Haute-Savoie. C’est un beau concert, varié, sympathique. Il n’est pas construit selon un thème. Le seul principe, c’est de se faire plaisir, à travers la beauté, et de faire plaisir au public, avec des ouvrages connus, musicalement accessibles. Car le public a besoin d’un univers où il se reconnaît.
-L’organiste qui vous accompagne est votre partenaire musical habituel ?
-Oui, nous travaillons souvent ensemble. Eric Latour est titulaire des orgues d’Annecy, professeur au Conservatoire. C’est un très bon musicien. Il aime la voix, et sa femme est elle-même chef de chœur. Il connaît la voix, ce qui n’est pas toujours le cas…
-Le répertoire sacré que vous avez choisi requiert -il des qualités particulières ?
-Non, il ne faut pas des qualités « en plus ». Mais le répertoire sacré correspond à mon côté spirituel. Je crois profondément en tout ce que je chante ; quand je chante Ave Maria, je crois profondément en la Vierge Marie. Et la dimension sacrée me tient à cœur. Je ne chante pas une pièce de ce type comme je chanterais Au clair de la lune. Je crois en tout ce que je fais.
-En 2016-2017, on vous entendra trois fois à Avignon, une fois à Marseille, Orange et Toulon… Vous serez dans Katia Kabanova de Janacek les 27 & 29 nov. à Avignon, vous serez la Nourrice et l’Hôtesse dans Boris Godunov du 14 au 21 février à Marseille, dans Faust de Gounod les 9 & 11 juin à Avignon, Mamma Lucia dans Cavaleria Rusticana à Toulon, Magdalena dans Rigoletto aux Chorégies d’Orange (et aussi dans Une nuit à l’opéra, 15 juin à Avignon, NDLR). Pouvez-vous déjà nous en dire un mot, ou nous reverrons-nous lors de ces différentes productions ?
-Ce sont surtout des reprises, des coproductions que j’ai déjà chantées. C’est toujours un bonheur de reprendre une belle production. On se sent comme chez soi, comme à la maison quand on reprend une production, même si les collègues changent et si le chef change aussi. Ce sont tous des personnages forts pour le mezzo, et j’en suis heureuse.
-Pourtant, changer de partenaires et de chef, c’est modifier son regard sur une œuvre…
-Il n’y a qu’une chose essentielle, c’est la partition, c’est ce qu’a écrit Janacek. La partition est la base de tout. On peut changer le reste, le tempo, le rôle principal… Il reste la partition. Le ténor peut être bon comédien ou pas… Tant mieux si c’est un bon comédien, mais ce n’est pas l’essentiel. La seule chose essentielle qui diffère, c’est le rôle. Dans Boris Godunov à Marseille je chantais le jeune prince, aujourd’hui c’est la nourrice et l’aubergiste. C’est fait pour le travail des neurones, c’est très bon de devoir apprendre une nouvelle partition (rire) ! Quant à Dame Marthe de Faust, je l’ai chantée à Salzbourg, je l’ai chantée x fois, il n’y a pas de surprises. La surprise ne viendra que de la mise en scène. Rigoletto, c’est une reprise aussi. (Propos recueillis par G.ad., mai 2016. Photo Christian Dresse).