« Je n’ai pas envie de convertir les gens, je veux les toucher »
En 27 ans, et parmi 64 instrumentistes récompensés, Thibaut Garcia est le deuxième guitariste seulement, après Emmanuel Rossfelder en 2004, couronné par les Victoires de la musique classique. En 2019 à 24 ans, il est devenu en effet Révélation soliste instrumental. Il donnera un récital de musique baroque, le dimanche 9 février à 17h, au Conservatoire du Grand Avignon, dans le cadre de la saison de Musique Baroque en Avignon, qui l’avait sollicité avant même sa consécration.
Réservations sur www.operagrandavignon.fr, ou Espace Vaucluse, place de l’Horloge, 04 90 14 26 40, du mardi au samedi, de 10h30 à 17h30.
-Thibaut Garcia, vous avez remporté des prix dans les plus prestigieux concours de guitare classique, vous avez été nommé filleul de l’Académie Charles Cros en 2015 et, à 25 ans en 2019, vous avez été le 4e Toulousain à être couronné aux Victoires de la musique (Révélation artiste instrumental 2019), après le pianiste Bertrand Chamayou (quadruple lauréat), eet après Bigflo & Oli (Album musiques urbaines 2019). Souffle-t-il à Toulouse un air particulier ?
-(Sourire) On me pose souvent la question. Oui, il y a un climat particulier, autour des artistes en particulier, mais aussi de tous les talents, sportifs et autres. Les institutions accompagnent les talents dans leur carrière : la mairie, le conservatoire… Quand j’ai eu des prix, j’ai reçu des lettres d’institutions que ne me connaissaient pas, mais qui souhaitaient m’aider. Certes, Toulouse est une grande ville, et qui défend la culture, mais elle a également une vraie dynamique. L’enseignement au conservatoire, par exemple, est particulièrement élevé et rigoureux. Ensuite, dans les conservatoires supérieurs, vous trouvez beaucoup de Toulousains. Une vraie dynamique dans la ville, un vrai accompagnement, et une proposition artistique énorme.
-C’est ce qui vous a incité à créer Toulouse guitare, l’an dernier, me semble-t-il ?
–Oui, c’est déjà la 2e saison. Je vis maintenant à Paris, mais je reste très attaché à ma ville. Il n’existait pas de saison de guitare ; il y a divers festivals, en divers autres lieux de France, mais pas de programmation sur une année entière. Quand j’étais moi-même étudiant, en 10 ans je n’ai entendu qu’un seul concert de guitare classique, car il y a évidemment de la guitare flamenca et autres… Et je n’ai pas connu une seule master-class. Depuis que nous avons lancé des concerts, beaucoup de lieux ont maintenant une dynamique différente autour de la guitare classique. En fait, j’ai trouvé génial de créer quelque chose à Toulouse ! J’ai eu le déclic alors que rentrais d’une tournée de 7 mois et 60 concerts aux Etats-Unis ; là-bas, il y a des concerts partout, dans les grandes villes, dans les petites villes… En fait, dans cette proposition de Toulouse guitare, on s’inscrit dans un créneau qui n’existait pas, qui n’a pas de réelle concurrence. C’est super ! je ne voulais surtout pas marcher sur les pieds de quelqu’un d’autre, je voulais vraiment un projet fédérateur.
-C’est une proposition qui n’avait pas d’équivalent en France ?
–Pas en France, mais j’ai eu le déclic aux Etats-Unis ; là-bas il existe quantité de « guitare societies », en Allemagne aussi. En France nous sommes la seule association proposant toute une saison artistique autour de la guitare, différente d’un festival.
-Une saison fonctionne sur la périodicité des manifestations et la fidélisation du public…
-Oui, nous nous adressons, non à des gens qui viennent de l’extérieur, mais aux gens qui vivent en ville, à qui on offre tous les deux mois un rendez-vous. Ce sont souvent des artistes internationaux que j’ai l’occasion de rencontrer dans mes tournées, et que j’invite, pour des concerts et des master-class.
-Avez-vous pu constater les effets de cette initiative, par exemple dans les effectifs du conservatoire ?
–Je pense que les classes n’ont pas tellement changé, mais la dynamique, elle, a changé. Quant au niveau, je ne sais pas, je n’ai pas assez de recul. Ce que je sais, c’est que de plus en plus d’élèves sont admis dans les conservatoires supérieurs. Avant, c’était peut-être plus fermé, les élèves se projetaient moins à l’extérieur.
-Comment se porte globalement la guitare en France ?
–Vous savez, il y a énormément de critères à prendre en compte : quel est le nombre de concerts, le public est-il varié, y a-t-il plutôt une saison ou plutôt un festival, etc.. ? Mais globalement la guitare ne se porte pas mal, les Victoires en sont un témoignage : les gens aiment la guitare, et veulent partager ce goût. Enfin, « partager », je n’aime pas trop ce mot, ça fait un peu colon, je ne sais comment dire exactement…
-Un peu prosélyte ?
–Peut-être. Ce que je souhaite, c’est une démarche fédératrice, qui entraîne. Je n’ai pas envie de convertir les gens, je veux les toucher. Je veux toucher les gens qui ne connaissent pas la guitare, mais qui l’aiment sans la connaître, et qui la découvrent.
-Dans votre programme de concert du 9 février à Avignon, figurent plusieurs compositeurs espagnols. La guitare a-t-elle une relation particulière avec l’Espagne, ne serait-ce par le répertoire, peut-être andalou ou flamenco ?
–Quand on pense à la guitare, on pense souvent à l’Espagne. De fait, culturellement elle a beaucoup évolué. Au début du XIXe siècle, c’est surtout en France et en Italie que la guitare est populaire. Et si l’on remonte dans le temps, la guitare baroque était extraordinaire !
-Et depuis le baroque comment se fait la transition ?
–Nous avons l’héritage pour luth dans nos doigts, pour luth et pour théorbe. La guitare a plusieurs facettes, et il y a des gens très différents qui ont écrit pour elle : des compositeurs turcs, américains…
-Votre concert annonce « guitare baroque »…
–Le concert est articulé autour de la Chaconne de Bach, une œuvre colossale pour instrument soliste.
-C’est la suite de votre 1er CD, « Bach inspirations », sorti l’an dernier ?
–Tout à fait, j’avais construit mon CD autour de cette pièce, une pièce-pilier. Un ensemble de compositeurs en hommage à Bach, avec entre autres des compositeurs comme Villa-Lobos, qui a écrit directement pour la guitare. J’adore Bach, c’est un compositeur puissant. Bach et la guitare, c’est un répertoire original.
-Jouez-vous sur instruments d’époque ?
–Sur guitare moderne. Avec la musique d’autrefois, on se pose toujours la question : jouer sur instruments anciens ou modernes ? Si c’est possible, il vaut mieux les instruments anciens. Mais pour l’instant je ne touche pas encore les instruments anciens, je ne suis qu’un amateur, je ne les sors pas en concert. Mais j’envisage de me mettre au luth. Jouer du baroque, c’est un autre mode de jeu.
-C’est-à-dire, concrètement ?
–C’est un toucher différent, un phrasé différent ; il faut se plonger dans l’imaginaire d’une autre époque. Par exemple, une gamme de musique espagnole du XXe siècle est différente de la même gamme écrite au XVIIIe siècle. Elle se joue sur le même instrument, mais ce n’est pas la même force dans la main, pas le même geste, pas la même partie de l’ongle. Les pièces pour luth peuvent être jouées telles quelles, l’accord tel quel. Mais c’est l’approche qui est différente, on est forcé à penser différemment. Cela soit sonner différemment. C’est comme si on vous demandait de vous comporter pendant 24h comme si vous viviez au XVIIIe siècle dans la vie : vous parleriez différemment, vous marcheriez différemment, vous vous habilleriez différemment…
-Quand vous étiez au conservatoire, vous aviez été intéressé par le clavecin et la harpe. Vous aviez déjà un faible pour le baroque ?
–Il m’a toujours touché, oui. Mais ce sont en fait seulement des cordes pincées. Elèves au conservatoire, nous faisions des visites dans les différents cours avant de choisir un instrument. Remarquez déjà que le clavecin et la harpe, en tant qu’instruments, sont magnifiques ! Mais je n’ai jamais été attiré par les cordes frottées.
-Vous parlez volontiers de vos parents, votre père surtout, comme vos initiateurs artistiques…
–Ma mère jouait de la guitare, mais elle s’accompagnait surtout, car elle chantait. Moi aussi d’ailleurs. C’est mon père qui jouait beaucoup, mais en amateur lui aussi. Et quand j’ai demandé à faire comme eux, comme ils ne pouvaient pas m’apprendre, ils m’ont inscrit au conservatoire.
-Dans votre concert pour Musique Baroque en Avignon vous allez jouer Robert de Visée ; ce n’est pas l’extrait de Jeux interdits ? C’est bien une Ouverture et une Suite ?
–Non, ce n’est pas Jeux interdits. La Suite, je l’ai arrangée moi-même, en la mineur. C’est en fait une très belle pièce, mais, très bizarrement, que je n’avais jamais entendue. Je prépare mon prochain CD, « Concertos hommage à De Visée » ; pour cela, j’ai feuilleté, j’ai cherché des pièces, et puis je suis tombé sur cette œuvre, écrite à l’origine pour théorbe ou luth. En fait, De Visée écrit les parties pour basse et dessus, la mélodie, et il laisse au musicien le soin de remplir le milieu…
-Comme c’était souvent le cas à l’époque…
–Oui, et c’est super. En tant que musiciens modernes, on a l’habitude que tout soit écrit dans les moindres détails ; là, au moins, on retrouve la liberté.
-Nous parlions tout à l’heure de vos diverses récompenses. Votre consécration aux Victoires de la musique, est-ce la cerise sur le gâteau, un simple « incident de parcours », ou un total changement dans votre carrière ?
-(Sourire) Si ce n’est qu’un incident, c’est un très joli incident ! Il est évident que les Victoires changent les choses. C’est un événement important, aussi bien pour les professionnels que pour le public, et un événement rare comme large médiatisation de la musique classique. Si cela n’a pas tout changé, bien sûr, cela m’a permis, comment dire, de pousser le rythme.
-On peut dire que cela a changé le regard sur vous, et vous a ouvert encore plus grand les portes ?
–Tout à fait.
-Avez-vous eu déjà l’occasion de jouer en Provence ?
–J’ai joué à Saint-Rémy en quatuor, de clarinette, piano et deux guitares. J’ai été invité aussi à Nîmes, même si ce n’est pas le même département ni tout à fait la même région.
-Et si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
–C’est très dur. Depuis tout petit j’ai eu envie de faire ce que je fais, et, si je devais refaire ma vie, je ferais la même chose. Et si j’étais vraiment obligé de changer d’activité, ce serait vraiment très difficile ! (Propos recueillis par G.ad. Portrait Luis Castilla)
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