Au Festival d’Aix-en-Provence : Songs and Fragments, (déjà) classique ou (encore) avant-gardiste ?
Festival d’Aix-en-Provence au Théâtre du Jeu de Paume (dimanche 14 juillet 2024)
Eight songs for a mad king, théâtre musical de Peter Maxwell Davies
Kafka-Fragmente de György Kurtág
Mise en scène, Barrie Kosky. Espace et lumière, Urs Schönebaum. Assistante à la mise en scène, Dagmar Pischel
Eight songs for a mad king :
Direction musicale, Pierre Bleuse ; assistant à la direction musicale, Levi Hammer ; Johannes Martin Kränzle (un homme) ; orchestre, Ensemble Intercontemporain
Kafka-Fragmente :
Anna Prohaska (une femme) ; Patricia Kopatchinskaja (une violoniste)
Le Festival d’Aix en Provence nous convie, dans l’écrin intime du Théâtre du Jeu de Paume, à une double affiche particulièrement originale. Si les deux pièces retenues ont déjà plusieurs décennies d’âge, elles semblent encore relever d’un avant-gardisme qui paraît dorénavant s’être significativement estompé dans la création musicale contemporaine.
Du compositeur Peter Maxwell Davies (1934-2016), les Eight songs for a mad king, autour de la figure du roi Georges III d’Angleterre atteint de démence, firent sensation à la création en 1969 à Londres. Il est ainsi rapporté, lors de la première, de vives protestations pendant la représentation, mais équilibrées par une standing ovation à son issue. Au Théâtre du Jeu de Paume, le baryton allemand Johannes Martin Kränzle assure une performance qui impressionne durablement. En slip et ongles jaunes à main droite, il assure, dans un monologue assez fascinant, les huit chansons de la composition. L’aspect vocal relève régulièrement du champ expérimental, s’étendant du grave creusé jusqu’à l’excès au suraigu stratosphérique en voix de tête, entre chant timbré, chuintements, cris, borborygmes… En fosse, les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain interprètent une partition d’un modernisme parfois décapant, sous la direction du chef Pierre Bleuse, directeur musical de la formation. Le spectacle est mis en scène par Barrie Kosky qui amène une forte densité théâtrale à ce seul-en-scène, non dénué, par séquences, d’un humour bienvenu.
On monte encore d’un cran avec les Kafka-Fragmente de György Kurtág (né en 1926), créés en 1987 à Wittener en Allemagne dans le cadre d’un festival de « nouvelle musique de chambre ». Et effectivement, « nouvelle » ou « moderne », cette partition relève encore davantage de la performance. Ce soir à Aix, l’opus est confié à deux très grandes artistes, la soprano Anna Prohaska et la violoniste Patricia Kopatchinskaja. L’ouvrage est composé de 40 miniatures, variations autour du thème de la marche qui expriment « l’inquiétude existentielle de Kafka ». Formant un tout de près d’une heure, ces parties successives s’enchaînent, chacune d’une durée de quelques secondes à plusieurs minutes. Le violon est sollicité dans toute sa technique, entre jolis accords, certains dissonants, attaques nerveuses, pizzicati, notes en ostinato, accord de l’instrument au cours de l’air, mais aussi quelques petites citations, comme un bref passage d’Aida de Verdi… mais oui ! Anna Prohaska réalise une performance tout aussi lyrique que théâtrale, devant chanter en même temps que courir, sauter, ramper, se rouler à terre… Le metteur en scène puise ainsi dans toutes les – vastes – ressources des deux interprètes, unies par une complicité de tous les instants.
I.F. © Monika Rittershaus
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