« Classiquement » réussi
Opéra en un prologue et 3 actes. Opéra de Marseille. 2, 5, 9 octobre, 20h ; 7 octobre, 14h30
Livret de Francesco Maria PIAVE, d’après la pièce d’Antonio García GUTIÉRREZ
Création de la version originale à Venise, La Fenice, le 12 mars 1857. Version révisée, avec Arrigo Boito, Milan, La Scala, 24 mars 1881. Production Fondazione Teatri di Piacenza. Dernière représentation à l’Opéra de Marseille le 24 janvier 1993
Direction musicale Paolo ARRIVABENI ; mise en scène Leo NUCCI ; collaborateur artistique à la mise en scène Salvo PIRO ; décors Carlo CENTOLAVIGNA ; costumes Artemio CABASSI ; lumières Claudio SCHMID
Amelia Olesya GOLOVNEVA ; la servante d’Amelia Laurence JANOT
Simon Boccanegra Juan Jesús RODRIGUEZ ; Jacopo Fiesco Nicolas COURJAL ; Gabriele Adorno Riccardo MASSI ; Paolo Albiani Alexandre DUHAMEL ; Pietro Cyril ROVERY ; un Capitaine Christophe BERRY
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Durée du spectacle : 3 heures avec entracte
En ouverture de saison à Marseille, on l’attendait, ce Boccanegra signé de Leo Nucci, l’immense baryton verdien qui chanta si souvent le rôle-titre,. Et, comme attendu, la production est « classique »… et totalement réussie. Classique, équilibrée, fluide, foisonnante.
Foisonnante comme l’est ce Quattrocento génois, bouillonnant, où les intrigues politiques, amoureuses et familiales se croisent, se mêlent et se contrarient sans cesse. Riche et foisonnant comme une toile de…, précisément exposée au Mucem tout proche, et avec le même souci du détail, dans les costumes, les éclairages (crescendo et decrescendo en suivant la narration), et la composition de vastes tableaux comme en arrêt sur image.
Mais, à cette époque troublée et à cette intrigue complexe, à cette œuvre injustement boudée, Leo Nucci fin connaisseur de Verdi a donné une fluidité, presque une évidence. Tout s’enchaîne dans une respiration naturelle, dans un souffle où épopée et élans amoureux s’entrelacent. Les personnages et les voix s’équilibrent dans l’intensité comme dans la finesse, excellemment accompagnés par la baguette sensible d’un « verdiphile » habitué de Marseille, Paolo Arrivabeni, par un orchestre aux couleurs pleinement verdiennes, et des chœurs toujours bien préparés par Emmanuel Trenque.
Les quatre grands rôles masculins sont magistralement incarnés – bien plus qu’interprétés – par un Alexandre Duhamel bluffant dans les plus infimes nuances d’un personnage multiple (Albiani, un rôle de composition de très haute volée), une présence et une ligne de chant précise ; par un Nicolas Courjal (Fiesco) à la sombre majesté et aux graves impressionnants – et à la diction impeccable -, un Riccardo Massi (Adorno) convaincant, et un Juan Jesùs Rodriguez (rôle-titre, le plébéien devenu doge, qui sera empoisonné par les patriciens) qui a fait l’unanimité… ou presque. Voix bien placée, solide prestance, projection alternativement puissante et délicate, jeu de grande qualité, reconnu par le Met qui lui ouvre ses portes. Néanmoins ce ténor que nous avions entendu à Avignon en avril 2017 dans le rôle-titre de Macbeth ne me fait personnellement pas vibrer.
Si les femmes ne constituent pas le souci principal de cette œuvre, Amelia (la Russe Olesya Golovneva) bénéficie toutefois de quelques beaux airs où elle marie avec justesse technique et sensibilité, et constitue avec Cyril Rovery (Pietro) un couple d’amoureux attachant ; Laurence Janot (sa servante) garde de son brillant passé de danseuse à l’opéra de Paris, avec Noureev et Lifar, une plastique et un port irréprochables, mais aussi un jeu maniéré, dont on espère la voir libérée lors des diverses productions auxquelles elle participera cette saison à Marseille, Opéra ou Odéon.
En dépit de quelques réserves, qui signent justement la fragile beauté du spectacle vivant, ce Simon Boccanegra est à marquer d’une pierre blanche, pour ses qualités et sa distribution majoritairement française. (G.ad. Photos Christian Dresse)