Samson, un « nouvel » opéra de Jean-Philippe Rameau
Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence (6 juillet 2024)
Samson, opéra de Jean-Philippe Rameau, Festival d’Aix-en-Provence au
Direction musicale, Raphaël Pichon. Mise en scène, concept et scénario, Claus Guth. Scénographie, Étienne Pluss. Costumes, Ursula Kudrna. Lumière et vidéo, Bertrand Couderc. Chorégraphie, Sommer Ulrickson. Conception Son, Mathis Nitschke. Collaboration à l’écriture, Eddy Garaudel. Dramaturgie, Yvonne Gebauer
Jarrett Ott (Samson) ; Jacquelyn Stucker (Dalila) ; Lea Desandre (Timna) ; Nahuel di Pierro (Achisch) ; Laurence Kilsby (Elon) ; Julie Roset (L’ange) ; Antonin Rondepierre (Premier juge / Un convive) ; Andréa Ferréol (La Mère de Samson) ; Gabriel Coullaud-Rosseel (Samson jeune) ; Pascal Lifschutz (Un sans-abri)
Pygmalion, chœur et orchestre
Samson fut un projet non abouti de collaboration entre Jean-Philippe Rameau et Voltaire, qui s’était proposé pour confectionner un livret sur ce thème biblique. Malheureusement, la censure en décida autrement et refusa à deux reprises (1734, puis 1736) le livret ; dommage, car cette composition aurait sans doute marqué l’Histoire de la musique, Rameau trouvant à cette occasion en Voltaire, le « plus brillant esprit de son temps », un librettiste à la hauteur de son talent.
Près de trois siècles plus tard, le chef d’orchestre Raphaël Pichon et le metteur en scène Claus Guth se proposent, non pas de rétablir une reconstitution historique, impossible en raison du manque de sources, mais de mettre au point, « dans l’esprit et non pas la lettre » donc, une œuvre qui maintient la tension dramatique de l’intrigue, sur des compositions de Rameau exclusivement.
On sait que Rameau conserva toute la musique de ce projet mort-né, dont la partition ne connut nulle édition, pour la réutiliser dans nombre de ses ouvrages ultérieurs. C’est ainsi que les amateurs reconnaissent plusieurs passages de Castor et Pollux, Dardanus, Zoroastre, Les Indes galantes, mais aussi des extraits tirés des moins connus Naïs, Le Temple de la Gloire, Les Fêtes d’Hébé, Les Surprises de l’Amour, Acante et Céphise, Zaïs, Les Paladins, Les Fêtes de Ramire. Les numéros s’enchaînent sans temps morts ce soir, de styles parfois très divers et qui font plutôt ressembler cette partition globalement à un collage, voire un pasticcio pour les auditeurs qui ont déjà dans l’oreille plusieurs passages. Toujours est-il que les instrumentistes de l’ensemble Pygmalion délivrent une merveilleuse musique, dynamique, expressive et pleine de contrastes, dans une gamme de nuances s’étendant entre le presque silence de la flûte seule, bientôt accompagnée par de petites cordes, et le déchaînement des percussions. Des ajouts de bruitages conçus par un « sound designer », comme l’indique le metteur en scène, ne sont toutefois pas de la main de Rameau, entre électronique et grincements de porte…
L’équipe vocale réunie fait honneur à cette création mondiale, en premier lieu le baryton américain richement timbré Jarrett Ott, français de bonne qualité sinon parfait, d’une forte présence physique et d’une vigoureuse projection vocale, quoique moindre dans sa partie grave. Première fiancée de Samson, Lea Desandre – qu’on entendra le surlendemain en récital avec son compagnon Thomas Dunford – dans le rôle de la Philistine Timna est la chanteuse baroque par excellence, très bien-disante, délicieux petit vibratello passager dans la voix et qui se montre techniquement précise sur ses passages d’agilité. En Dalila, la soprano américaine Jacquelyn Stucker s’avère une fine musicienne et joue à fond son rôle de séductrice fatale, allongée sur le lit en sous-vêtements. C’est elle qui déroule les airs les plus connus entendus ce soir, entre « Viens, hymen » (Les Indes galantes) et « Tristes apprêts, pâles flambeaux » (Castor et Pollux), passages détaillés avec raffinement. Nahuel di Pierro dégage une autorité naturelle en Achisch et le ténor Laurence Kilsby (Elon) fait entendre de belles extensions vers l’aigu. En ange annonciateur de la naissance de Samson, Julie Roset développe une voix délicatement fruitée, en s’élevant, comme un ange avec ses deux ailes dans le dos, vers les cintres. Dans le rôle parlé de la Mère de Samson, Andréa Ferréol n’est pas spécialement marquante, d’ailleurs parfois peu audible malgré l’amplification.
Grand nom de la mise en scène d’opéra, Claus Guth situe l’action dans un riche palais presque complètement détruit, plafonds éventrés par endroits, trous béants dans les murs et planchers. Des ouvriers casqués font un tour de chantier dès avant le début de la représentation… soit ! Mais c’est surtout le jeu d’acteurs d’une forte densité qu’on apprécie, où la violence est souvent prégnante. Le chœur Pygmalion joue également un rôle de premier plan, opérant de nombreux allers et retours entre plateau et fond de fosse d’orchestre, où il sonne dans ce dernier cas davantage comme au cours d’un oratorio. Les choristes, solistes et musiciens recueillent de généreux applaudissements aux saluts, à l’issue d’une soirée où les – plus ou moins nombreuses – gouttes de pluie auront menacé le bon déroulement du spectacle.
IF © Monika Rittershaus
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