On le revoit en ce moment (octobre 2016) sur le petit écran pour la 7e saison d’Un Village français, série qui a sans doute révélé son talent au grand public. Robin Renucci, acteur exigeant et discret, a toujours fait des choix éclectiques sur les planches. Nommé directeur des célèbres Tréteaux de France en 2004, il continue à cultiver toutes ces activités qu’il estime complémentaires. Vendredi 4 novembre 2016, il sera le récitant d’Homériade avec l’Orchestre Régional Avignon-Provence. Ni plus ni moins qu’un soliste chanteur ou instrumentiste, il apportera sa voix et sa présence à cette œuvre créée à la demande d’Olivier Py au Festival d’Avignon en juillet 2015. On le rencontrera encore sous peu alors qu’il répète à la FabrikA d’Avignon L’Enfance à l’oeuvre, qui sera créée lors du Festival de 2017 (notre deuxième entretien sous peu en ligne).
-Robin Renucci, on vous revoit en ce moment à la télévision, et il semble que vous ayez par ailleurs renoué avec les planches depuis quelques années. Ces deux activités sont-elles divergentes, complémentaires ?
-Surtout pas opposées. J’ai pris en 2011 la direction d’un Centre dramatique, les Tréteaux de France, qui ont une mission de service public dans le cadre de la décentralisation. Et j’ai avec Avignon un lien très fort. Je viens répéter dans quelques jours à la FabricA pour une création. Et comme vous le savez, j’ai joué trois fois dans la Cour d’Honneur. En fait, tout est lié et complémentaire. Le cinéma et la télévision sont sans doute plus visibles dans la rencontre avec le public. Et Un Village français me ramène davantage à un rapport de troupe. J’ai un lien indéfectible avec toutes ces formes de mon activité.
-Dans Homériade, qu’allez-vous faire ? Dire, réciter, lire, jouer, interpréter ?
-Il s’agit d’une œuvre musicale mais avant tout poétique, sur le grand mythe raconté par Homère. La dramaturgie en est toute simple. Je suis un récitant, c’est-à-dire que je raconte l’histoire, à la 1e personne, et je prête corps et souffle à cette grande poésie. C’est un récitatif, presque un chant, une œuvre éternelle, puissante, originelle.
-Comment s’y joue le rapport entre la musique et vos mots ?
-La partition est en musique, et je mets des mots sur la musique. La musique et la voix sont intimement imbriquées, le compositeur l’a voulu ainsi. La direction de Samuel Jean, quant à elle, est très exigeante. Dans ma carrière, j’ai « fait » de nombreuses voix avec orchestre, que ce soit dans Pierre et le Loup, ou Honegger, toujours de grandes œuvres.
-Quel est votre rapport personnel à la musique, vous qui avez joué aussi dans Le Pianiste, par exemple ?
-Malheureusement je ne pratique pas d’instrument, et je le regrette. Mon frère, qui faisait du violon, nous a tellement agressés avec ses couacs, qu’il en a dissuadé tout le monde. Moi-même, je n’ai que ma voix, mon corps, mon souffle.
-Un de vos fils s’appelle Ulysse. Vous étiez prédestiné à la mythologie ?
-Je suis très sensible à la question de la langue, de l’origine, c’est-à-dire à l’étymologie, à l’histoire des civilisations, notamment dans le bassin méditerranéen, et aux langues qui y ont pris naissance. Disons que je suis platonicien, ou aristotélicien. La philosophie grecque m’a toujours parlé. L’idée d’accoucher de soi-même et de la vérité qu’on a en soi (comme Socrate, ndlr) me séduit. Vous parlez de mon fils Ulysse ; mais l’autre s’appelle Timon, comme Timon d’Athènes, et ils sont jumeaux. De fait, j’éprouve un rare plaisir intellectuel dans tout ce qui touche à l’Antiquité et au bassin méditerranéen.
-On vous a défini comme un « séducteur à la sensibilité ombrageuse ». Vous reconnaissez-vous dans cette étiquette ?
-Je ne sais pas, mais a priori non. Il est vrai que dans le cinéma existe toujours un rapport de séduction. Mais ce qui m’intéresse, c’est cette chance du rapport avec le public. Nous, humains, nous nous rencontrons avec nos outils, avec le théâtre, qui est un acte véritablement prométhéen. A la force d’Héphaïstos, la force du feu, nous répondons par le souffle, la parole, la capacité de l’être humain face à l’animalité qui est en lui. C’est par la parole, par le souffle, que nous luttons contre la déshumanisation, la violence, je dirais même : l’absence de symbolicité. La symbolicité, elle n’est pas dans le dogme ecclésial, il faut aller la chercher, et c’est notre rôle. Le théâtre est notre outil d’accès à cette symbolicité, le théâtre et tous les arts, la parole surtout. C’est une véritable action politique. Mais l’idée de séduction, pour moi, reste un sophisme. Pour des individus libres, la séduction c’est l’écoute, l’attention à l’autre. Notre société de consommation, bien sûr, joue beaucoup sur la séduction, et elle joue en direction de cibles bien définies. Et plus la politique avance dans le bon sens, plus on va vers un rapport vers entre les êtres. Sur la scène précisément, le rapport qui s’établit, c’est l’attention à l’autre. On accompagne l’autre dans sa propre symbolicité, et l’on porte des mots qui donnent à voir. On permet ainsi à l’autre d’accéder à son propre imaginaire, à sa propre vérité.
-Si vous n’aviez pas été comédien, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
-Sans doute un métier d’artisan. Mais un artiste n’est rien d’autre qu’un artisan. Comme lui il utilise des outils, même si ce sont des outils symboliques. Ou alors j’aurais aimé être dans le champ de la transmission. Mais j’enseigne au CNSM de Paris ou dans d’autres lieux, je suis donc dans la transmission. Ce qui m’intéresse, c’est de continuer sa recherche. En fait, c’est mon quotidien, c’est ce que je fais tous les jours, comme comédien et comme professeur.
-Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose ?
-Oui, quelque chose qui est très important pour moi. J’ai fondé une aventure méditerranéenne dans la montagne corse. C’est l’aventure de l’Aria, pour partager des valeurs qui me sont chères. (Propos recueillis en octobre 2016 par G.ad. Photo G.ad.)