Amour et guerre, « tubes » et machineries : un magnifique opéra « baroque »
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Opéra Grand Avignon, mardi 22 novembre 2022, 20h, durée 2h40, 2nde représentation
Rinaldo, opera seria en 3 actes. Musique, Georg Friedrich Haendel. Livret, Giacomo Rossi. Création 1711
Direction musicale, Bertrand Cuiller. Mise en scène et scénographie, Claire Dancoisne. Conseiller artistique, Serge Bagdassarian, de la Comédie-Française. Lumières, Hervé Gary
Rinaldo Paul Figuier. Goffredo, Blandine de Sansal. Almirena, Maïlys de Villoutreys. Armida, Aurore Bucher. Argante, Timothée Varon. Deux comédiens, Rita Tchenko Marion Zaboitzeff.
Ensemble Le Caravansérail : Bertrand Cuiller, direction musicale et clavecin ; Stéphan Dudermel, violon solo ;Anne Pekkala, David Wish, violons I ; Myriam Mahnane, Izleh Henry, Florian Verhaegen, violons II ; Marta Paramo, Fanny Paccoud, altos ; Mathurin Matharel, Isabelle Saint-Yves, violoncelles ; Michele Zeoli, contrebasse ; André Henrich, théorbe ; Bérangère Sardin, harpe ; Pierre Gallon, clavecin ; Patrick Beaugiraud, Yann Miriel, hautbois ; Niels Coppalle, basson ; Jean-François Madeuf, Joël Lahens, trompettes ; Florie Fazio, timbales
Production la Co[opéra]tive : 4 Scènes nationales (Besançon, Compiègne, Dunkerque, Quimper), Opéra de Rennes. Coproduction: Angers Nantes Opéra, l’Entracte (scène conventionnée de Sablé-sur-Sarthe), Théâtre Sénart (scène nationale). Partenariat avec le Théâtre de Licorne
Si Rinaldo en 1711 a ouvert pour Georg Friedrich Haendel les portes de Londres, si l’opéra italien a ainsi conquis le public britannique, et si l’œuvre a été, en 1984, le premier opéra baroque donné au Metropolitan Opera de New York, ce n’est pas seulement par la grâce de l’aria sublime, du tube « Lascia ch’io pianga », ici bouleversant dans l’interprétation sobre et sensible de Maïlys de Villoutreys (Almirena) ; c’est aussi – et l’enthousiasme unanime ce soir à l’opéra Grand Avignon, tous âges confondus, l’a bien montré -, par une partition chatoyante et une histoire intemporelle.
Le livret n’atteint certes pas des sommets d’originalité, avec le récit de ces deux couples sur fond de croisade : amour et guerre, jalousie et magie, enlèvements et retrouvailles. L’action se passe en 1099, lors de la première croisade, menée par Godefroy de Bouillon, et le livret s’appuie sur le récit de La Jérusalem délivrée du Tasse (1581). Le courageux Rinaldo et la tendre Almirena sont amoureux l’un de l’autre, ainsi qu’Argante et Armida – les deux femmes étant magiciennes -, mais, pour des raisons de tactique poliorcétique (Rinaldo, missionné par Goffredo, assiège Jérusalem, ville sur laquelle règne Argante), le roi assiégé dépêche sa magicienne de compagne pour détourner l’assiégeant de sa mission. Et le chassé-croisé entre les deux couples – Argante tombe sous le charme d’Almirena, et Armide tente de séduire Rinaldo – risque de brouiller les cartes, la paronomase entre trois personnages, avec initiale identique, ne clarifiant guère la situation.
Néanmoins, nourrie de mythologie, réduite d’un bon tiers et privé des seconds couteaux, la coproduction à grand spectacle qui tourne depuis 2018 – hors Covid – a trouvé une cohérence interne et s’est créé un univers totalement « baroque » dans tous les sens du terme. L’imagination de Claire Dancoisne, qui signe sa première mise en scène d’opéra avec « la noirceur de Dante et l’imaginaire de Jérôme Bosch » – aucun rapport par ailleurs avec l’affiche locale ! – entraîne le spectateur dans un monde foisonnant, loufoque, excentrique, jouant entre minimalisme et grand spectacle ou anachronismes, où une armée de mini-armures /cottes de maille réussira le siège de Sion, où le héros Rinaldo monte un destrier en articulations métalliques dont il resserre les boulons, où un autre entre en scène sur un char-dragon, et autres fantaisies… L’ensemble est ingénieux, intelligemment éclairé par Hervé Gary et rehaussé des costumes d’Elisabeth de Sauverzac, et même les outrances de l’acte II ont leur charme irrésistible. Aux marionnettes de l’acte II Blandine de Sansal (Goffredo) et Paul Figuier (Rinaldo) prêtent leurs voix, et les petites sirènes frétillantes ne détournent pas les héros de leur destin… L’homogénéité du plateau vocal est totale. Les trois voix aiguës déclinent des couleurs diverses : Maïlys de Villoutreys (Almirena) fait vibrer la limpidité de sa ligne mélodique ; Aurore Bucher (Armida) déroule des aigus triomphants, au sommet d’une large palette de couleurs chaleureuses ; Paul Figuier, rôle-titre, s’impose assez vite comme le héros toutes catégories. Timothée Varon, le baryton (Argante), exprime quant à lui une musicalité solide et donne du relief aux autres rôles.
La vingtaine de musiciens du Caravansérail cisèle avec un vrai talent une partition brillante : les deux clavecins sont remarquables de finesse (Bertrand Cuiller, également à la direction, et Pierre Gallon), les six violons et deux altos judicieusement sollicités ; il faut souligner les deux trompettes (Jean-François Madeuf et Joël Lahens), le théorbe (André Henrich), violoncelles, contrebasse, harpe, hautbois, basson, timbales, aussi précis en solo qu’homogène dans une magnifique cohérence d’ensemble, l’exquise sensibilité du chef assurant l’harmonie d’un concert de haute volée. Une coproduction à ne pas manquer si elle passe près de chez vous… Voir quelques extraits.
En amont du spectacle, plusieurs rendez-vous étaient prévus à Avignon, pour entrer de plain-pied dans le monde de Rinaldo. Le vendredi 18 novembre à 17h, au Grand foyer, rencontre avec Elisa Barbessi, professeur de clavecin et d’histoire de la musique ; entrée libre sur réservation. Puis, dimanche 20 novembre à 13h45, et mardi 22 novembre à 19h15, en salle des Préludes, rencontre autour de Rinaldo ; entrée libre sur présentation du billet.
G.ad. Photos Laurent Guizard, Opéra de Rennes
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