Tristement de circonstance
Chorégies d’Orange. Théâtre antique. Durée 1h30.
Direction musicale, Tugan Sokhiev
Erika Grimaldi*, soprano ; Ekaterina Gubanova, mezzo-soprano ; Joseph Calleja, ténor ; Vitalij Kowaljow*, basse
Orchestre National du Capitole de Toulouse
Chœur de l’Orfeón Donostiarra
Retransmis le 27 juillet sur France 3 et Culturebox.
Le somptueux Requiem de Verdi fut composé en 1874 pour le premier anniversaire de la disparition du romancier Alessandro Manzoni. Il a pris en ce 16 juillet 2016 une acuité particulière, dédié aux 84 tués et dizaines de blessés – le chiffre définitif dépassera les 350 blessés -, victimes de l’attentat récent de Nice, par un camion lancé à travers la foule de la Promenade des Anglais à la fin du feu d’artifice du 14 juillet. Hommage sobre du directeur Jean-Louis Grinda, accompagné de la présidente Christine D’Ingrando et du maire Jacques Bompard en début de soirée.
Le livret payant de la soirée, nouveauté 2016 qui fractionne ainsi la programmation (un livret par production), s’étoffe d’éditoriaux successifs prenant acte des nouvelles personnalités à la direction et à la présidence des Chorégies. Jean-Louis Grinda y adresse un chaleureux merci à celui qui fut pendant 40 ans son prédécesseur, Raymond Duffaut.
Quant à la soirée, sous la direction de Tugan Sokhiev, précise et sensible, l’Orchestre du Capitole a déployé avec finesse la puissance terrible du « Dies irae », l’énergique alacrité du « Sanctus ». Tugan Sokhiev était déjà au pupitre pour ce même Requiem en 2008, ainsi que pour Aïda et la 9e de Beethoven en 2011. Souplesse des cordes, couleurs des cuivres, chaleur des bois, précision des trompettes initiales, violoncelles chatoyants, c’est un ensemble instrumental de très belle classe qui a fait vibrer ce Requiem.
La belle homogénéité des chœurs a su dialoguer avec les solistes ou communier avec eux, sans jamais les étouffer ni s’effacer derrière eux…
Même équilibre a prévalu entre les solistes. La jeune soprano italienne Erika Grimaldi, remplaçant in extremis Krassimira Stoyanova, a réussi une entrée sans faute aux Chorégies ; se produisant surtout dans les maisons prestigieuses en Italie, elle est également accueillie en France, à Montpellier ; on ne devrait pas tarder à voir plus largement son nom dans les distributions internationales.
On découvre également avec intérêt Vitalij Kowaljow, le baryton-basse helvético-ukrainien. Sa voix, parfaitement posée pour cette œuvre qu’il a déjà chantée à Berlin, n’impose pas des couleurs très affirmées ni un charisme capable de rivaliser avec Joseph Calleja, qui pourtant jamais ne l’écrase.
Le théâtre antique connaît déjà le ténor maltais, qui a été applaudi lors d’un concert lyrique en 2015, et à l’occasion de Musiques En Fête. En parfaite réussite dans toute la palette vocale, avec des aigus somptueux et des médiums colorés, il semble avoir retenu sa puissance par respect pour les autres interprètes.
On avait également apprécié la mezzo russe Ekatarina Gubanova dans Amneris (Aida) sur la même scène en 2011. Ses qualités – solidité de la ligne de chant, nuances du phrasé, projection précise – lui ont déjà assuré une magnifique carrière sur toutes les scènes du monde, de la Scala au Met en passant par Berlin et Tokyo, sous la direction des Barenboïm ou Muti.
Un quatuor de solistes réussi.
Le redoutable mistral du 14 juillet, qui avait alors écourté l’étape du tour de France au Ventoux, et avait glacé sur place les spectateurs de Jonas Kaufmann aux Carrières de Lacoste, se contentait ce soir-là de jouer doucement avec les aubes des dames de l’Orféon Donostiarra, ne menaçant jamais la projection des voix ni n’écrasant leur palette.
Quant aux images de Philippe Druillet s’inscrivant sur le mur millénaire, leur force dantesque, voire apocalyptique, a heureusement été compensée par la retenue de l’orchestre. C’est une véritable réussite artistique, habillant avec intelligence les colonnes et saillies, récidive des Carmina Burana de 2014.
Pour autant, il n’est pas certain que les symboles maçonniques appuyés, les têtes aux visages impénétrables, les personnages de mangas, morceaux de griffes, ou architectures brisées, rendent un écho fidèle de ce Requiem. Moins apaisé certes que celui d’un Mozart composé, lui, au seuil de la mort, il est néanmoins empreint d’une spiritualité que l’on ne pouvait guère deviner dans ces images, même eschatologiques.
Etait-ce une raison pour oublier le créateur vidéo lors du salut final, légitimement mortifié d’être relégué au rang des accessoires ?… (G.ad.)