Hors des sentiers battus, de très heureuses découvertes
Festival d’Aix-en-Provence, Hôtel Maynier, Oppède
Anna Prohaska, soprano ; Nicolas Altstaedt, violoncelle ; Francesco Corti, orgue, clavecin
« Châtiments bibliques »
Avec le thème en fil rouge des Châtiments bibliques, la soprano Anna Prohaska, le violoncelliste Nicolas Altstaedt et le claviériste Francesco Corti ont concocté un programme qui s’étale sur plus de quatre siècles, entre le rare Vincenzo Bonizzi ( ? – 1630) et le contemporain Jörg Widmann (né en 1973).
Les morceaux successifs s’enchaînent sans applaudissements pour la majorité, mis à part les arias les plus brillantes et connues de Händel. C’est d’abord le cas pour « Vo’ far guerra », extrait de Rinaldo, avec le clavecin d’une extrême vélocité de Francesco Corti et le timbre agréable d’Anna Prohaska, voix souple pour traverser les passages d’agilité et nettement plus sonore dans le haut de la tessiture, en regard de graves plus confidentiels par instants. Le premier passage de l’oratorio Saül, « Author of Peace », est doux et joliment conduit, tandis que le second, « Infernal Spirits », est chanté après l’entracte en enlaidissant son instrument, comme il sied à cet « air de la sorcière » du troisième acte. Dernier air de Händel, « Credete al mio dolore » tiré d’Alcina nous rappelle que la soprano a été distribuée dans cet opéra au festival aixois en 2015.
Mais ce concert est loin de mettre en valeur uniquement la soprano, en donnant une égale importance aux trois artistes réunis, avec l’insertion en particulier de nombreux passages instrumentaux. Francesco Corti navigue ainsi entre clavecin, orgue, célesta et un peu de piano pour le dernier morceau, pour des interprétations toujours très expressives et virtuoses, entre les arpèges superbement détachés du rare Jean Nicolas Pancrace Royer (La Marche des Scythes) et la poésie de la Pavane Lachrymae du non moins rare Heinrich Scheidemann.
Le violoncelliste Nicolas Altstaedt n’est pas en reste, dégageant parfois une folle énergie à l’occasion d’attaques particulièrement mordantes. Il tient d’ailleurs un rôle important au cours du dernier morceau du programme, « Schwester Tod » composé par Jörg Widmann, longue scène véritablement lyrique, d’ailleurs extraite de son opéra Babylon (2021). Le violoncelliste entre sur le plateau en kimono noir et visage maquillé de blanc pour figurer le rôle de La Mort, ses interventions chantées ou parlées oscillant entre grognements, râles et quelques phrases plus distinctes. Lui donnant la réplique, Anna Prohaska adopte aussi différentes sonorités, jusqu’à se pincer le nez, pour terminer en une belle envolée lyrique, mélange entre colorature et music-hall.
Avant cette brillante conclusion, plusieurs morceaux de choix ont retenu l’attention, comme la Prière de la sorcière d’Endor de Wolfgang Rihm où la soprano doit négocier quelques écarts et suraigus vertigineux, accompagnée par un violoncelle dissonant par séquences. De grandes difficultés rythmiques et une atmosphère musicale qui peuvent rappeler le Pierrot lunaire de Schönberg.
Au bilan, un concert qui s’écarte très nettement des habituels sentiers battus de la programmation musicale, et trois magnifiques artistes qui nous font découvrir de belles et intéressantes partitions.
I.F.
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