Une expérience intense et originale de pleine immersion
Clara Hédouin
Festival Villeneuve en Scène Festival Villeneuve en Scène, Plaine de l’Abbaye, durée 2 heures. Spectacle en déambulation
Jeudi 17 juillet 2025, 18h30 ; 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 20 juillet, 18h30. Durée : 2h
France / Création 2021
Avec Hatice Özer en alternance avec Loup Balthazar, Pierre Giafferi, Clara Mayer. Texte, Jean Giono. Adaptation, Clara Hédouin, Romain de Becdelièvre. Mise en scène, Clara Hédouin. Régie son, Jérémie Tison. Coordination technique, André Neri
Administration / Production, Alice Ramond. Production, Collectif 49701 / Manger le soleil. Coproduction, Festival Les Tombées de la Nuit (Rennes), Pronomade(s) en Haute-Garonne Centre national des arts de la rue et de l’espace public (Encausse-les-Thermes). Coréalisation, Festival Villeneuve en Scène, Festival d’Avignon
Avec l’aide de Théâtre-paysage de Bécherel (piloté par l’École Parallèle Imaginaire), Bécherel / Festival Théâtre à Villerville. Avec le soutien de DRAC Auvergne Rhône-Alpes
Clara Hédouin fait le choix, dans ce Prélude de Pan, de mêler le texte de ce conte fantastique de Giono à des paroles d’agriculteurs locaux. Elle accueille elle-même tous les spectateurs à l’entrée pour leur expliquer cette démarche et les convier à cette balade théâtrale, constituée de cinq étapes : les premières mettront en scène Prélude de Pan, puis les suivantes laisseront place à des extraits de Que ma joie demeure, du même auteur et à partir duquel elle avait déjà monté un spectacle, pour terminer sur la paroles des agriculteurs locaux.
C’est par la parole de ces agriculteurs locaux que nous entrons dans cette déambulation, installés d’abord sur des bancs. Des enceintes nomades nous permettront de les entendre au fur et à mesure de notre parcours. La parole de Didier Doux, un céréalier cultivant des terres au cœur de la Plaine de l’Abbaye dans laquelle se déroule ce spectacle, ouvre le spectacle. Sa parole est déstabilisante tant elle semble éloignée de la communion entre l’homme et la nature si chère à Giono. Il se prononce pour la fertilisation chimique des sols, l’utilisation d’insecticides, absolument nécessaire à ses yeux ; il loue la mécanisation qui a permis une plus grande productivité. D’autres voix viennent ensuite compléter cette parole, celles-ci plus proches des idées de Giono. On trouvera celle de Guy David, le dernier propriétaire terrien de la Plaine de l’Abbaye mais aussi celles d’Etienne Coulibaly, d’Hélène Bertrand et de la famille Cappeau, maraîchers, ou encore celle de Brice Pontet, éleveur de chèvres et de cochons. Leur parole est plus proche de celle de Giono ; tous insistent sur la nécessité de préserver cette nature si fragile et tellement violentée par la volonté d’urbanisation, cette nature indomptable avec laquelle il faut composer surtout dans ce lieu soumis aux crues du Rhône, mais des crues également fertilisantes. Nous commençons ensuite notre chemin dans la Plaine, nous voilà au cœur même de cette nature sujet du spectacle.
Les mots de Giono prennent alors le relais. Les trois comédiens Loup Balthazar, Pierre Giafferi et Clara Mayer donnent vie à ce texte en interprétant chacun plusieurs personnages avec beaucoup d’intensité. Tout se déroule dans un petit village. Un étranger étonnant y arrive sous un ciel menaçant. Qui est vraiment cet homme qui semble si étrange ? Son comportement est proche de l’animal, il va laper l’eau qu’il a demandée. Sa présence va déstabiliser le village tout entier. Il est proche de la nature, il va avoir à cœur de défendre l’oiseau blessé par l’un des hommes, il le recueille et refuse de le rendre. C’est là que tout va se dérégler. L’acte de violence du propriétaire de l’oiseau envers lui, il va l’arrêter de manière quasi magique et le transformer. Le fait de se déplacer à ce moment précis permet de laisser ce geste en suspens, renforçant l’intensité dramatique. Cette violence se transcrit dans une transe collective, hommes et animaux, comme si toute la nature s’éveillait et luttait. Le jeu des acteurs est alors vraiment impressionnant, nous vivons la transe de façon bouleversante. Ils sont tous comme possédés mais en même temps s’installe entre eux une forme de communion, entre hommes et animaux, qui les fera tous frémir au réveil.
Ce texte de Giono est fort, puissant et déroutant. Les comédiens nous en font percevoir toute la violence tant par les gestes que par la voix. Une voix soumise à rude épreuve ce soir-là par le mistral ! Belle performance en tous points.
On regrette néanmoins que l’analogie avec le monde agricole d’aujourd’hui soit un peu lointain pour cette partie, si ce n’est cette puissance de la nature que l’homme ne peut jamais maîtriser et la nécessité de protéger le vivant. On prend toutefois plaisir à entendre le texte de Giono et à parcourir ces très beaux paysages.
Après le Prélude de Pan, les mots de Giono se poursuivent mêlés des paroles des agriculteurs. L’alternance entre les mots de l’un et ceux des autres est plus présente, et c’est alors que jaillit plus clairement le lien très fort qui existe entre les deux. On se sent alors, pleinement, aussi proche des uns que des autres, on s’interroge avec eux sur les moyens à mettre en place pour nourrir au mieux tout le monde, pour préserver cette nature que nous avons tant malmenée, pour revenir à une agriculture plus raisonnée qui prend mieux en compte le vivant ; celle que Giono a connu et savait apprécier.
Une très belle expérience que cette déambulation dans la nature, accompagnée des mots de Giono et des agriculteurs dont nous longeons pour certains les champs et les cultures. Faire résonner ces mots au cœur même de la nature est la grande force de ce spectacle. Une expérience intense et originale à vivre qui aide à se reconnecter avec la nature et à aimer le vivant et ceux qui le protègent.
Sandrine. Photos Christophe Raynaud de Lage
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