Une production soigneusement pensée, vigoureusement interprétée
Chorégraphie, lumières et décors, Martin Harriague
Musique, Piotr Iliytch Tchaïkovski et Martin Harriague
Costumes, Mieke Kockelkorn
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
En partenariat avec Malandain Ballet Biarritz
Coproduction Kibbutz Contemporary Dance Company, Suzanne Dellal Center Tel Aviv
Toute la saison chorégraphique 2021-2022 à l’Opéra Grand Avignon
Avec Pitch, la saison a vraiment démarré à l’Opéra Grand Avignon, à une semaine de son inauguration. Orchestre, chœur et ballet, le trio des forces artistiques de la maison, ont montré en trois soirées leur vitalité et leur talent, comme le souhaitait le directeur Frédéric Roels.
Pitch, c’est Tchaïkovski, Piotr Ilich Tchaïkovski, comme le souligne le portrait accroché en fond de scène et qui accompagnera toute la représentation. Excellemment placée, au contraire des deux soirées antérieures, symphonique qui avait maltraité mes cervicales, et lyrique qui avait eu raison de mes lombaires, je m’apprêtais à savourer en toute sérénité la soirée chorégraphique. Perplexité pourtant pendant les longues premières minutes : que faut-il comprendre ? Faut-il choisir un regard biographique, esthétique, psychanalytique ? Comment la narration se construit-elle ? Comme dans un policier, n’ai-je pas zappé « le » détail qui donne sens à tout le reste ? Le long échange mené à l’issue avec plusieurs des danseurs m’a confirmé que, eux aussi, avaient été saisis par les mêmes interrogations…
Et puis la qualité esthétique de Pitch m’a séduite. Si le récit se construit par une déconstruction de l’univers de Tchaïkovski, s’il fait voler en éclat le charme de Casse-Noisette, détourne la Valse des fleurs, brouille les codes, les genres et les sexes (l’homosexualité du compositeur éveille des échos évidents dans l’intimité du chorégraphe), c’est avec intelligence, avec un humour qui ne manque pas de finesse… et qui a trouvé du répondant dans la salle.
Plusieurs enfants dans le public ont pu sans doute être bousculés par des scènes très sombres, puissantes jusqu’à une certaine violence, et par un simulacre d’émasculation burlesque…
Néanmoins l’ensemble, composé en une succession de saynètes aux tonalités et configurations très différentes, déploie toute la richesse et la variété de l’univers de Tchaïkovski.
D’ailleurs les danseurs, stimulés par la difficulté, ont donné tout ce qu’ils avaient dans le ventre et dans leur imaginaire personnel. Menée jusqu’à la générale en mars 2020 mais privée brutalement de scène par le 1er confinement, la création était restée en suspens. Elle a été reprise il y a peu, avec une distribution glissante : conçue pour 11 danseurs, elle a vu bouger les rôles et attributions. Même Sylvain Bouvier, qui endosse le rôle-titre, était initialement prévu pour un autre costume. Au jeu des chaises musicales ces 11 danseurs, qui viennent d’horizons aussi différents que Roland Petit, le ballet Béjart, l’Opéra de Paris, le CNSM de Paris, ou le Conservatoire d’Avignon, ont gagné en force de caractère, en souplesse de jeu, comme si le groupe se construisait alors que le récit se disloquait, à l’instar de la vie même de Tchaïkovski.
Voilà une production soigneusement pensée, vigoureusement interprétée, et qui mérite bien de s’exporter à Arcachon, Biarritz ou Paris, engagements déjà acquis, et bien davantage… Elle participe de la belle dynamique du Ballet de l’Opéra d’Avignon. En invitant Julien Guérin – prix du public au 2e concours de jeunes chorégraphes classiques et néoclassiques – en 2019 pour un excellent Scaramouche, et en 2021 pour Les Labilités amoureuses et Partita 2 (Théâtre de Verdure de Villeneuve-lès-Avignon), il s’est ouvert à d’autres esthétiques. Sans doute l’arrivée en septembre du nouveau directeur Emilio Calcagno, venu de chez Prejlocaj -une référence -, confirmera-t-elle cette nouvelle orientation ? Nous attendons Storm, la Tempête, sa toute première création, pour les fêtes de fin d’année (26 et 28 décembre 2021).
G.ad. Photos G.ad.
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