(un autre entretien avec Philippe Jaroussky en 2019)
Philippe Jaroussky, contre-ténor, parrain de Tous à l’opéra 2014 : « un peu d’autodérision, ça fait du bien ! »
Son visage d’ange et sa voix de cristal sont connus dans le monde entier. Philippe Jaroussky a été choisi en France comme parrain de la manifestation Tous à l’opéra de mai 2014. Nous l’avions déjà rencontré en mars lorsqu’il tournait, à l’Opéra Grand Avignon, le spot national de présentation. Echange avec un artiste d’une souriante simplicité, un immense artiste… qui oublie de se prendre pour une star.
-Philippe Jaroussky, vous avez été choisi cette année (2014) comme parrain de Tous à l’opéra. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
-C’est un grand honneur. Cela fait énormément d’années que j’ai la possibilité de m’exprimer dans divers médias, mais je me dois de défendre toujours la musique classique. C’est donc ici le prolongement de ce que je fais déjà. Et c’est surtout une excellente opportunité que d’être le premier contre-ténor à parrainer cette manifestation. Il n’est pas question de révolutionner la musique, mais de mettre en lumière cette voix si particulière. Il est vrai que depuis quelques années, grâce à plusieurs contre-ténors, nos voix sont beaucoup moins considérées comme des bêtes curieuses ; on admet maintenant qu’elles font partie de la grande famille des voix lyriques ; et qu’elles ont des couleurs très diverses, entre contre-ténor, mezzo-soprano, grandes mezzos lyriques…
-Vous avez dit un jour dans une interview que la voix de contre-ténor est troublante parce qu’elle ne se situe pas entre la voix d’homme et la voix de femme, mais entre la voix d’homme et la voix d’enfant…
-C’est précisément le paradoxe des voix de contre-ténor. Même avec beaucoup de travail vocal, et même si je chante beaucoup d’opéras, ma voix n’est pas une voix lyrique. Elle a quelque chose de plus naturel, de moins travaillé qu’une voix lyrique. C’est justement là le paradoxe : cette voix peut paraître antinaturelle car il n’est pas naturel qu’un homme chante avec une voix aiguë, mais finalement tous les contre-ténors sont obnubilés par le naturel de leur voix. Moi j’ai toujours pris soin de ne pas me faire plus gros que le bœuf (sourire), et je suis surtout attentif à la simplicité de l’émission. Il faut aussi laisser passer une certaine fragilité, et ce qu’on est, nous, en tant qu’individus ; l’artiste doit accepter de se mettre à nu. Mais c’est vrai, on est toujours obsédé par le naturel de la voix. Je viens par exemple de faire deux heures de chant, un programme de mélodies françaises, et je recherche sans cesse ce naturel.
-Pourtant votre voix naturelle est celle d’un baryton. Serait-il plus facile de passer de baryton à contre-ténor, que de ténor à contre-ténor ?
-Non, ce sont des qualités bien différentes. Un ténor, lui, peut aller dans les graves, le mixage lui est plus facile. C’est pourquoi moi je suis toujours très méfiant sur les notes d’opéra, car moi je reste en voix mixte, je ne veux pas descendre dans les graves. Le rôle grave est toujours plus dangereux pour moi, même si c’est parfois nécessaire, notamment dans une grande salle. En fait j’ai une tessiture de mezzo-soprano, et chanter trop grave et trop aigu sont aussi dangereux pour moi.
-Est-ce le message que vous allez faire passer ce week-end ? Vous allez vous produire samedi au Théâtre des Champs-Elysées : que voulez-vous dire au public ?
-Ce concert sera un concert gratuit, il sera donné à 15h, en effet aux Champs-Elysées. Au début j’avais prévu un récital, avec Jérôme Ducros au piano. Et puis je me suis dit qu’à l’opéra un chanteur n’est jamais seul, il est toujours avec d’autres ; il est entouré de musiciens, de danseurs… J’ai donc invité des amis, musiciens et chanteurs, à venir me rejoindre pour ce concert. Du coup, c’est un peu la panique. Et c’est très ambitieux, puisque je veux donner un panorama de l’opéra, de Monteverdi à Bizet ; vous vous rendez compte : de Monteverdi à Bizet, quelle ambition ! Mais je mettrai aussi de l’humour ; pas question de se prendre au sérieux ; nous allons jouer avec les clichés de l’opéra : un peu d’autodérision, ça fait du bien !
-Le spot de présentation de cette 8e édition de Tous à l’opéra a été tourné à l’Opéra Grand Avignon. Est-ce vous qui l’avez proposé ?
-Oui. J’étais en plein milieu de tournée, et j’ai voulu montrer que cela se passait partout en France ; Avignon était une bonne idée. J’ai joué la carte des coulisses ; je n’y suis pas seul, il y a la musique, l’ambiance des répétitions. J’ai voulu que ce soit vivant.
-C’est en effet vivant, spontané, convivial…
-J’ai rencontré ce matin quelqu’un qui m’a dit : « Tous à l’opéra, c’est une grosse opération de communication » ; c’est vrai, mais aussi c’est nécessaire. On a en France des opéras très dynamiques, et pas seulement pendant ces deux jours-ci ; ils font un gros travail pédagogique, toute l’année ils font venir les jeunes aux répétitions, un véritable travail de fond. C’est ce qu’il faut montrer. On a deux jours pour mettre en lumière et encourager ces opéras.
-C’est donc une vitrine, la vitrine visible d’un travail de fond…
-Oui. Nous vivons dans un monde de communication, il faut l’admettre et l’utiliser. Il faut communiquer pour exister, et pour toucher de nouveaux publics.
-Depuis 7 ans que Tous à l’opéra existe, en voyez-vous les effets ? Une véritable démocratisation de la musique en général, lyrique en particulier ?
-Voir l’impact d’une telle manifestation est très difficile. On sait que le remplissage des opéras est plutôt bon. Et pendant deux jours, on verra un grand pourcentage de gens qui viennent pour la première fois. Et puis, il y a un autre élément important : c’est le lien qui se crée ainsi, la solidarité : pendant 2 jours, 26 maisons d’opéra vont être en fête en même temps ; car c’est une fête… C’est une manière, à travers la communication, de lutter contre les stéréotypes et les clichés : c’est trop cher, trop long, poussiéreux, je vais rien comprendre… Le prix moyen ? 30/40€ la place moyenne ; un peu plus cher que le cinéma, bien sûr, mais vous avez devant vous les artistes en chair et en os. Et puis chaque opéra est une page blanche : vous pouvez voir dans votre vie dix Don Giovanni, ils seront tous différents.
-Si l’on devait donner une conclusion ?
-C’est très important : pendant 2 jours on va parler de l’opéra. C’est une façon de fêter l’opéra, un genre qui, j’en suis sûr, n’a pas dit ses derniers mots ». (Propos recueillis par G.ad., 7 mai 2014)