Soprano internationale, qui d’un bout à l’autre de la planète a interprété une centaine de rôles lyriques, Patrizia Ciofi illuminera de sa présence le grand concert d’été des Saisons de la Voix à Gordes, ce lundi 15 juillet. Nous l’avons vue et entendue récemment : elle vit comme une nouvelle jeunesse. Rencontre avec une artiste d’une généreuse simplicité, au rire aussi clair que sa ligne de chant.
-Patrizia Ciofi, vous allez honorer de votre présence les Saisons de la voix de Gordes. Connaissez-vous le lieu et le label ?
-Je ne connais pas Gordes, mais je sais que le lieu est magnifique.
-Surtout, vous ne pouvez rien refuser à Raymond Duffaut, le président, qui vous a invitée.
-(Eclat de rire) C’est vrai. L’affection de Raymond me reconduit sur ces chemins qui changent, pour lui comme pour nous. J’aime les histoires de fidélité. Et c’est bien de continuer une relation forte d’estime et d’affection.
-Vous parlez de chemins qui changent ; c’est-à-dire ?
–A mon âge (sourire), je vois les choses qui changent, ma carrière va vers autre chose. Je ne peux pas dire que je vais arrêter, mais je commence à envisager la possibilité de changer complètement de vie. Le changement, c’est physiologique, c’est naturel. Mais, comme quand on était jeune, j’essaie de trouver d’autres formes d’art, d’autres formes musicales, pour m’exprimer, me réaliser.
-Par exemple ?
–La musique contemporaine. Je vais participer cet automne à la création d’un opéra contemporain ; c’est compliqué, une telle création. Mais c’est pour moi un monde nouveau, passionnant à découvrir, pour me réinventer. Ce sera pour moi au Deutsche Opera de Berlin, en novembre. J’espère y trouver mon aise, et même du plaisir. Je continue par ailleurs avec l’opéra traditionnel. Mais je cherche des formes d’expression où je puisse apporter mon expérience.
-Quelles sont les difficultés particulières d’un opéra contemporain pour une chanteuse ?
-Pour l’instant j’en suis au processus d’apprentissage de la partition. Je suis comme une gamine le premier jour d’école (sourire) : on entre, et on commence à comprendre peu à peu l’écriture du compositeur.
-Et pour la voix, des difficultés particulières ?
-Je travaille avec une compositrice israélienne qui écrit pour la voix ; ce n’est pas vraiment du chant, plutôt une expérimentation. On utilise la voix pour chercher des sonorités, des bruits, mais ce n’est pas vraiment du chant. Dans tous les cas, on cherche à provoquer l’émotion, mais ce n’est pas à proprement parler dangereux pour la voix.
-Vous manifestez pour ces nouveaux territoires une curiosité juvénile.
-Quand on a comme moi un parcours riche, important, et long, il faut retrouver quelque chose du début : le même enthousiasme, la même curiosité. J’aime me sentir ainsi, garder la créativité, la passion.
-Cette passion, perceptible dans votre voix tout comme elle jaillit sur scène dans chacun de vos rôles, vous allez encore nous la faire partager lors du concert de Gordes. Comment a été conçu le programme ?
-Je l’ai préparé avec la pianiste, Kira Parfeevets. Il est difficile de ne pas parler d’amour avec l’opéra et la mélodie. Nous avons donc imaginé les chemins de l’amour, de sa naissance à sa fin : je t’aime, à la folie, pas du tout.
-Vous avez marié opéra et mélodies, dont Tosti ou Kosma.
-Un récital comporte toujours des airs d’opéra, des mélodies et des pièces de chambre. C’est une façon de ne pas trop stresser la voix, de créer des couleurs intimes, de la douceur, de la poésie. On n’utilise pas toute l’ampleur du son. De grands compositeurs ont écrit des mélodies ; dans les mélodies, on raconte ; le texte est riche, poétique, il touche presque au théâtre parlé.
-Vous préférez, je crois, un opéra entier à un récital ?
-Ce sont des moments d’art différents. Le récital est toujours plus compliqué. L’opéra se prépare pendant un mois ; on a le temps d’entrer dans un personnage, d’apprendre à raconter une histoire. On est une interprète dans les mains des autres, on suit un schéma déjà bien dessiné, même si on y met nos propres sentiments et nos émotions. On suit le parcours d’un personnage. Dans un récital on change sans cesse d’histoire, d’émotion, de vocalité. On entre et on sort très vite d’un personnage. Cela demande beaucoup d’énergie, de concentration, de travail.
-Vous avez une carrière très riche, avec des dizaines de rôles…
-Plus de 100 rôles, et même des rôles inconnus, parfois des opéras qu’on ne joue qu’une fois, parfois des opéras qu’on enregistre et qu’on ne joue pas…
-Quel est le personnage qui vous a le plus marquée ?
-C’est banal, mais Traviata m’a accompagnée toute ma vie : je l’avais chantée 26 fois pour mes 50 ans ! Elle est comme une sœur aînée qui m’a prise par la main et m’a fait grandir. Mais Lucia aussi a marqué les moments les plus importants.
-Avez-vous des regrets, des rôles qui vous aient échappé alors que vous en rêviez… ?
-Des regrets de ne pas être restée pour une 2e ou une 3e fois : des rôles rapides, comme les Puritains de Bellini, que j’ai chanté une seule fois. Ou Pia de’ Tolomei de Donizetti. Ou La Straniera de Bellini, que je n’ai jamais chantée sur scène.
-Quelle est votre actualité proche, en dehors de la création contemporaine ?
-Une prise de rôle, Jeanne d’Arc de Verdi ; c’est un très beau rôle, je n’aurais jamais imaginé de pouvoir l’affronter. J’ai entendu toutes les versions antérieures, j’ai vu tous les grands interprètes du rôle.
-Et pour demain – futur proche ou lointain – ?
-Peut-être entrer dans un répertoire plus lyrique, pour des vocalités plus lourdes, plus rondes, plus lyriques. Je fais des essais, je me lance des défis, pour comprendre où va ma vocalité.
-La 1e partie de votre concert sera animée par une jeune mezzo soprano. Si vous aviez des conseils à donner à des jeunes qui se lancent dans ce métier ?
-Il faut travailler, travailler la technique, à la base. Pour être sûr de soi, il faut travailler avec de bons professeurs de chant, qui vous donnent de bonnes bases, comme la respiration. Et quand on maîtrise la technique, il faut complètement l’oublier, ne penser qu’à la musique, au personnage. Donner de l’émotion. Le plateau, c’est le professeur qui nous fait progresser ; il faut voler les conseils des grands artistes du passé, en les regardant, en les écoutant. Car on ne doit pas seulement être de bons chanteurs, mais d’excellents interprètes, raconter une histoire, faire passer une émotion. Aujourd’hui nous devons être de bons instruments pour la musique et pour le théâtre. On ne peut plus se contenter d’être une belle voix vide, ni un bon comédien sans voix bien placée. Je dirais donc aux jeunes : travaillez, ce ne sont pas vos agents qui font votre carrière, c’est vous ! Et pour choisir un agent, attendez, ne vous précipitez pas ; les agents ne cherchent pas des jeunes, ils veulent des produits prêts sur le marché. Les grosses agences ne sont guère que des marchands. Nous devons être les agents de nous-mêmes, comprendre ce que l’on peut faire ou ne pas faire. Avoir l’intelligence, juger ce qu’il y a autour, bien choisir. Finalement, nos meilleurs conseillers sont les gens qui nous aiment ». (Propos recueillis par G.ad.)
Laisser un commentaire