Patricia Petibon, marraine de Tous à l’opéra, 10e édition (7-8 mai 2016)
Patricia Petibon : un nom, une voix, un sourire, reconnaissables entre tous. Et un regard d’adolescente étonnée. Née en 1970, Patricia Petibon a été découverte par William Christie, le grand promoteur du baroque. Aujourd’hui, elle excelle aussi bien en héroïne mozartienne que dans toutes les grandes pages lyriques, ou en Blanche du Dialogue des Carmélites, ou dans des créations contemporaines. Elle a été fort applaudie au Festival d’Aix-en-Provence dans Ariodante en 2014 et Alcina en 2015. L’Opéra Grand Avignon l’accueillera pour un récital avec l’Ensemble Amarillis le 7 février 2017.
La soprano colorature est la marraine française de la 10e édition de la manifestation européenne Tous à l’Opéra. Entre enregistrements radio, presse nationale, directs et autres sollicitations, au retour d’une tournée, Patricia Petibon a soustrait quelques précieuses minutes d’un agenda surchargé pour un entretien exclusif.
-Patricia Petibon, on a déjà dû vous poser mille fois la question : quel est votre premier souvenir d’opéra, en tant que spectatrice ?
-J’avais 5 ans, mes parents m’ont emmenée à l’Opéra de Toulon pour voir une opérette, L’Auberge du Cheval-Blanc. Dans ma famille, on partageait beaucoup de joie autour du spectacle, avec un véritable amour du théâtre à l’italienne. C’était une véritable fête pour nous ! Car l’opéra, c’est un art populaire, au meilleur sens du terme : il a une certaine radicalité, une spontanéité, celle dont je me régale encore aujourd’hui sur les marchés de Provence.
-Notamment, à Toulon puisque vous l’évoquez, le marché du Cours Lafayette.
-Oui, mais pas seulement. On y entend toutes sortes de voix d’opéra. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde pousse la chansonnette. C’est plutôt une métaphore : c’est très vivant, très théâtral. Et c’est ce goût-là qui m’a été transmis. C’est extraordinaire, de même que l’opéra est extraordinaire pour un enfant.
-Et votre premier souvenir d’opéra en tant qu’artiste ?
-Vous allez rire, c’est encore L’Auberge du Cheval Blanc. Non, c’est la Chauve-Souris. J’ai été engagée comme choriste supplémentaire à l’Opéra de Tours. Je suivais en même temps une Fac de musicologie, des cours de chant au Conservatoire de Tours. J’ai vécu comme un luxe d’entrer ainsi de plain-pied dans ce monde, sur la scène. Mais de tout temps j’ai chanté, et tout cela est arrivé sans le chercher vraiment.
-En sorte que vous n’auriez pas envisagé de faire autre chose ?
-Ce n’est pas tellement ça. Il avait été évident pour moi de décider d’entrer au CNSM de Paris, mais plus dans le fait de chercher quelque chose qui allait m’aider à survivre, un sens à ma vie, une accessibilité à la beauté. C’est ce qu’apportent aussi ces journées de Tous à l’Opéra : l’accessibilité à l’art, à la culture. La culture, ce n’est pas amonceler des connaissances, c’est faire ressentir des émotions, savoir qui nous sommes. Les opéras sont des lieux d’émotion, des lieux vibratoires. C’est merveilleux d’entendre le fluide de la musique dans un espace construit à cet effet. C’est là qu’il faut venir. C’est un art fait pour tout le monde. L’art s’adresse à tout le monde.
-Comment concevez-vous votre rôle de marraine de Tous à l’Opéra ?
-Un rôle de transmission. Nous, les artistes, nous sommes des transmetteurs. Nous ne chantons pas pour nous, mais surtout pour les autres. Il faut se détacher de soi pour offrir la culture au plus grand public. Ce qui est essentiel dans la vie, c’est d’être avec les autres. Avec l’expérience, avec la maturité, je le ressens comme un élixir de jeunesse, et j’ai tellement de plaisir à en parler ! Et justement, dans l’éducation, il est nécessaire de donner cette accessibilité à l’art, à la culture : cela se traduit à la fois par l’accessibilité à la pensée, une pensée lucide, et par le libre arbitre, la connaissance de ce que nous sommes.
-Vous parlez de transmission. Avez-vous l’impression que, depuis quelques années, les médias font des efforts pour démocratiser la culture, et notamment la musique classique ?
-C’est un gros problème. Aujourd’hui, l’argent est au milieu de tout. Il faut transmettre par nos propres moyens. Il faut des gens passionnés pour parler de choses passionnantes : qui peut mieux le faire que les artistes ? Sur certaines radios – je ne dis pas toutes -, on passe juste quelques minutes de musique pour ne pas risquer d’encombrer les ondes. Il faudrait avoir une plate-forme pour transmettre vraiment. Prendre des risques, et quand on prend des risques, on ne fait pas forcément du chiffre. Le spectacle vivant, c’est ça la bataille qu’il faut mener. Ce combat, il est dans la vie réelle, il n’est pas forcément dans la virtualité. Il est vrai que nous vivons une époque difficile pour parler de choses endogènes, profondes, intérieures. On reste toujours en surface. Je reviens à l’éducation artistique, parce que c’est primordial. J’admire le travail que font les éducateurs, les professeurs. Mais il faut leur donner la possibilité, et l’argent pour le faire. C’est de là que naît une société, un peuple, et un peuple qui sait penser et agir. On l’a vu déjà dans l’histoire. C’est peut-être une utopie ? C’est du moins nécessaire, parce qu’on survit en sachant d’où l’on vient et qui on est. Et de là découle aussi l’intégration des cultures. L’éducation doit apprendre à s’écouter. Apprendre à l’enfant à écouter, à écouter l’autre, et à s’écouter mutuellement. Aujourd’hui on ne s’écoute pas. On va au supermarché, on se marche dessus, on oublie de se dire bonjour… C’est l’art qui réconcilie les cultures. L’art, ce n’est pas seulement un divertissement, c’est un moment de partage, de grands questionnements, toute une philosophie de vie, c’est une authenticité pour survivre, pour ne pas être qu’un Sapiens qui mange et va dormir. Il nous fait nous sentir vivants.
-Pour votre dernier CD en septembre 2014, La Belle excentrique (d’un titre d’Erik Satie, NDLR), et bien d’autres fois auparavant, vous avez travaillé avec Olivier Py. Quel souvenir avez-vous gardé de ces moments, dont quelques extraits sur la Toile sont jubilatoires ?
-Avec Olivier Py, je partage la spontanéité, la radicalité dans l’émotion, la joie de vivre, passionnante. Il faut sortir des fauteuils poussiéreux (rire). Certes, j’aime l’odeur de la poussière, mais il faut ouvrir les portes, s’ouvrir sur une jeunesse en demande d’écoute. Olivier Py est très particulier dans le milieu du théâtre. Il est traducteur, acteur, chanteur, auteur…il a beaucoup de cordes à son arc. Du coup, il prend des risques. Il ne peut pas ne pas les prendre, sinon il trahirait ce qu’il est. On est dans une époque où l’on a besoin de ces artistes qui prennent des risques, on a besoin des poètes ».
Notons au passage que le clip enregistré par Patricia Petibon pour promouvoir Tous à l’Opéra a été censuré.
Propos recueillis par G.ad., mai 2016. Photo Bernard Martinez