Inoubliable
Orphée et Eurydice, opéra de Christoph Willibald Gluck dans la version d’Hector Berlioz, Festival d’Aix-en-Provence, au Grand Théâtre de Provence (21-07-2022)
Direction musicale, Raphaël Pichon
Emily D’Angelo (Orphée) ; Sabine Devieilhe (Eurydice) ; Lea Desandre (Amour)
Chœur et Orchestre Pygmalion
Après L’Orfeo de Monterverdi, la figure du poète est de retour, à nouveau en représentation de concert au Grand Théâtre de Provence, cette fois pour Orphée et Eurydice de Gluck dans l’adaptation réalisée par Berlioz en 1859 pour Pauline Viardot dans le rôle-titre. C’est donc la version pour mezzo qui est jouée ce soir, avec le dénouement dramatique où Eurydice retourne chez les morts après qu’Orphée lui a lancé un regard.
En prise de rôle ce soir, ainsi qu’effectuant ses débuts au Festival d’Aix, Emily D’Angelo compose un Orphée crédible à tous égards. Cheveux courts et toute de noir vêtue, jusqu’à sa paire de chaussures Rangers, la mezzo-soprano canadienne ferait pleurer les pierres au cours de son fameux air « J’ai perdu mon Eurydice » où la douleur est vraiment palpable. La diction est absolument remarquable, le timbre somptueux et sa souplesse vocale sert avec panache l’air très véloce « Amour, viens rendre à mon âme » en fin de premier acte, conclu par une longue cadence dans un silence quasi religieux de la salle.
Annoncée atteinte d’une laryngite, l’Eurydice de Sabine Devieilhe nous paraît toutefois tenir une excellente forme vocale, produisant des aigus cristallins dans une parfaite intonation. La qualité d’élocution du texte est aussi soignée, tout comme celle de Lea Desandre dans le rôle bien plus épisodique d’Amour.
Placés sous la direction parfois d’une folle énergie de Raphaël Pichon, les Chœur et Orchestre Pygmalion sont également les maîtres d’œuvre essentiels de ce concert qui restera inoubliable chez beaucoup de spectateurs. Les sonorités baroques de la formation correspondent idéalement à l’ouvrage de Gluck et la préparation technique de l’ensemble est irréprochable. Les choix de tempi sont bienvenus, avec une entame très lente et en nuance pianissimo pour les choristes, tandis que plus tard certains traits rapides se révèlent enthousiasmants.
Les chœurs des Spectres et Furies du deuxième acte expriment par exemple une fureur démonstrative, en se déplaçant vers l’avant du plateau. Les lumières s’amenuisent également en fin d’actes, s’éteignant même complètement au démarrage de l’acte III, la superbe flûte accompagnée aux légères cordes jouant longuement dans le noir. Tous les musiciens sont à louer, en particulier les cuivres impeccables, dont on connaît pourtant le caprice de ces instruments. La boucle est bouclée à la fin de cette version de l’opéra, les chœurs reprennent leur phrase initiale « Ah, dans ce bois lugubre et sombre » et c’est Eurydice qui meurt une deuxième fois.
I.F. Photos I.F.
Laisser un commentaire