Samedi 23 mars 2024, 20h 30, Grand Théâtre de Provence
Dans le cadre du Festival de Pâques, Aix-en-Provence
Orchestre Symphonique de Bamberg
Christoph Eschenbach, direction
Hanna-Elisabeth Müller, soprano
Richard Strauss, Vier letzte Lieder, pour soprano et orchestre
Anton Bruckner, Symphonie n° 2
Voir aussi la présentation d’ensemble du 11e Festival de Pâques
et tous nos articles de mars 2024
Strauss et Bruckner avaient donc l’honneur, ce 23 mars, d’ouvrir la partie symphonique de cette nouvelle édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Les maîtres d’œuvre en étaient Christoph Eschenbach, à la baguette, et l’Orchestre Symphonique de Bamberg. Petit pincement au cœur, Christoph Eschenbach était de ce qui fut le premier concert symphonique de ma carrière de mélomane, le 14 juillet 1969, ici même, au Festival d’été d’Aix-en-Provence, partageant la vedette avec Herbert von Karajan et Jorg Demus, dans le concerto pour trois pianos de Mozart. Il avait alors 29 ans.
Créés en 1950, huit mois après la disparition du compositeur, écrits sur des poèmes de Hermann Hesse, pour les trois premiers, et de Joseph von Eichendorff, pour le dernier, les Quatre derniers lieder de Strauss représentent un moment notable de l’histoire de la musique. S’ils peuvent être entendus comme le testament musical d’un vieux compositeur qui sait la route arrivée à son terme, ils marquent aussi la fin du (post)romantisme et des grands lieder orchestraux allemands. L’ordre des poèmes, du printemps au crépuscule, n’est pas celui que Strauss imaginait ; il a été organisé de manière posthume, plaçant en tête un allegretto (Printemps), suivi de trois andante, ordre qui ne peut que renforcer cette impression d’acceptation résignée, mais sereine, d’une fin de vie, d’une fin de cycle.
L’Orchestre Symphonique de Bamberg et son chef, et la soprano allemande Hanna-Elisabeth Müller nous en ont donné une belle interprétation, nous laissant toutefois du « Printemps » une impression plutôt mitigée, le soprano dramatique de la soliste s’y montrant quelque peu agressif dans les aigus et légèrement tremblotant dans les legatos et les notes tenues. Le medium et les graves étaient cependant sans reproches. Avec des tempi et des nuances bien dosés, une voix parfaitement mariée à un orchestre aux belles sonorités, notamment ses cordes, une soliste imprégnée de son texte, les trois andante ont bien rendu l’ambiance, la pensée, les sentiments de l’auteur, son adieu poignant à la vie, toute la sensualité de l’œuvre. Quelle jolie partie du violon solo dans « L’heure du sommeil » et cet envol des âmes, marquant une fin pleine d’espoir, suggéré par les flûtes dans le dernier lied « Au crépuscule ». Le chef, recueilli, maintenait un long silence, avant les ovations du public, qui fut gratifié d’un bis, avec un agréable et tendre « Morgen », autre lied avec orchestre bien connu du même Strauss, mettant encore en évidence le jeu tout en sensibilité des cordes de l’orchestre et de la cantatrice.
Une petite remarque ici, tout le monde ne connaît pas par cœur le répertoire, il serait souhaitable d’indiquer au public, d’une façon ou d’une autre, les titres et auteurs des bis exécutés. Cela se fait parfaitement à La Roque d’Anthéron, exemple à suivre.
La deuxième symphonie de Bruckner n’est pas des plus connues et jouées du compositeur, du moins en France, mais elle se fait depuis quelque temps une place dans le paysage symphonique, apparaissant régulièrement, notamment, sur les ondes des radios musicales. Comme pour les autres symphonies, l’extrait le plus diffusé en est le scherzo, mouvement le plus facilement identifiable et caractéristique de l’auteur. Il n’était donc pas étonnant, sur cette dynamique, de la retrouver au programme de ce Festival de Pâques. La version initiale (de 1872) fut créée en 1873, mais Bruckner, peu sûr de lui et facilement influençable, avait coutume, soit de lui-même, soit sous l’influence de proches ou d‘éditeurs, de réviser et remanier ses œuvres. La deuxième symphonie le fut ainsi quatre fois (1873, 1876, 1877, 1892). C’est la version de 1877 qu’avait choisie Christoph Eschenbach, plaçant l’andante (2ème mouvement) avant le scherzo (3ème mouvement).
C’est la première fois, je l’avoue, que j’attendais cette symphonie dans son entier. Elle n’est pas dénuée de force intérieure et de beautés, et je comprends qu’elle puisse ainsi revenir sur le devant de la scène et intéresser de plus en plus de chefs. Il lui manque cependant, à mon sens, ce petit plus nécessaire à la propulser parmi les plus grandes, des thèmes plus marquants, peut-être, une profondeur plus touchante.
Christoph Eschenbach et ses musiciens nous en ont donné une magnifique lecture. Sa direction calme, à la gestuelle économique, précise et efficace, a su mettre en valeur les beautés de l’œuvre, sa construction, et en exposer clairement les lignes. Masses orchestrales bien dosées et équilibrées, tempi bien choisis, maîtrise des changements soudains de dynamique ont été les qualités de cette exécution. Nous avons dit tout le bien que nous pensions des cordes, mais les autres pupitres ont également été à la hauteur de l’évènement. Nous avons pu apprécier, dans l’andante, la retenue et la force intérieure qui s’en dégageait, ces pizzicatti tout juste audibles des seconds violons et ce délicat duo flûte et premier violon. Autres qualités, dans l’ensemble, la maîtrise des nuances, des tensions intériorisées ou expressives, des crescendos nous menant de l’extrême douceur jusqu’aux explosions violentes du tutti, pour terminer sur un final radieux.
Une belle soirée donc pour ce début symphonique du Festival de Pâques 2024, salué par les ovations enthousiastes d’un public conquis.
B.D. Photo Festival de Pâques
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