« Scènes de forêt » : un programme rare, une soirée inoubliable en crescendo !
Vendredi 24 janvier 2025, 20h, Opéra Grand Avignon
Orchestre National Avignon-Provence. Violoncelle et direction, Raphaël Merlin
Waldszenen de Schumann, orchestrée par Ralph Breitenbach. Antonín Dvorák, Waldesruhe. Ralph Vaughan Williams, Dark pastoral. Franz Schubert, Symphonie n° 4 « tragique »
Avant-concert : rencontre en salle des Préludes de 19h15 à 19h45 avec Raphaël Merlin
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Encore une belle soirée offerte par nos musiciens de l’ONAP et leur invité, Raphaël Merlin, nouveau directeur artistique et musical de l’Orchestre de Chambre de Genève, qui a su tout à la fois nous faire apprécier ses talents de chef d’orchestre et de violoncelliste.
Le programme proposé était, en première partie, avec ses « scènes de forêt », assez original : les Waldszenen (scènes de la forêt) de Schumann orchestrées, le reposant Waldesruhe (calme de la forêt) de Dvorak et le Dark Pastoral, un travail du compositeur anglais David Matthews à partir d’un projet de concerto pour violoncelle de Ralph Vaughan Williams.
Raphaël Merlin prit la précaution, avant d’entamer l’œuvre de Schumann, de présenter rapidement au public, scène par scène, cette promenade en forêt en neuf tableaux, en rappelant, pour sa compréhension, l’importance des sous-titres donnés par le compositeur lui-même. Nous ne savons, malheureusement, pas grand-chose de l’orchestrateur, Ralph Breitenbach, sinon qu’il doit s’agir d’un compositeur contemporain. Le programme n’en disait rien et aucune information le concernant n’est disponible sur internet. Son orchestration, donnée pour la première fois en France, par l’emploi d’un orchestre de chambre « classique », bois par deux, deux trompettes, mais quatre cors, n’a rien de choquant, ni de dépaysant. Les thèmes et l’atmosphère schumanniens sont respectés, l’auditeur demeure dans un monde connu, l’ensemble se laisse écouter, arrivant à rendre l’esprit enfantin qui enveloppe l’œuvre, alternant, selon les tableaux, tendresse, amusement, émerveillement, sérieux. On peut ainsi entendre, entre autres, le chasseur aux aguets, agité, décidé, avec ses coups de fusil, l’onirisme des fleurs solitaires, gracieuse orchestration dévolue aux seuls bois et cors, un lieu maudit calme et mystérieux, presque solennel, un chant de chasse décidé, sollicitant les cors et offrant une jolie partie de cordes, le tout s’achevant sur un adieu nostalgique et apaisé.
Et de la pièce la plus connue, me direz-vous, l’oiseau-prophète, qu’en était-il ? Les pupitres s’en partagent subtilement le chant, qui court de l’un à l’autre. Piccolo, flûte, hautbois, clarinette, violon solo s’appuient, se complètent, se répondent, le tout s’achevant sur le violon solo.
Raphaël Merlin, dirigeant sans baguette, et ses musiciens ont su nous offrir une agréable promenade et mis sans faillir toutes leurs compétences au service d’une orchestration qui, cependant, n’aura pas réussi, finalement, à remuer un public : celui-ci se contenta de ne lui accorder que de courts applaudissements de politesse.
Le chef attaquait par la suite sa partie de violoncelle. Il est rare de voir un violoncelliste diriger un orchestre depuis son instrument, exercice assurément peu aisé car, en position assise, il lui tourne constamment le dos pour faire face au public. Malgré cela, orchestre et soliste s’en sont excellement sortis, démontrant un bon travail préalable et une parfaite maîtrise des partitions proposées.
Waldesruhe, de Dvorak est sans conteste une œuvre à connaître. Six minutes de bonheur dans une transcription (1893) du compositeur lui-même pour violoncelle et orchestre de la pièce n° 5 de son cycle pour piano à quatre mains « Dans la forêt de Bohême ». Les musiciens ont livré une fort belle interprétation de ce chant continu du violoncelle, soutenu par l’orchestre, parfois doublé par la flûte, empreint de calme, d’émotion et de douceur.
Dans nos programmes, le compositeur anglais Ralph Vaughan Williams (1872-1958) est loin d’être des plus joués. Son œuvre est conséquente, mais à peine peut-on entendre, de temps en temps, sur les ondes, sa fantaisie sur le célèbre Greensleeves ou sa romance pour violon et orchestre « L’envol de l’alouette ». L’originalité du concert de ce jour était une composition, créée en 2010 sous le titre Dark Pastoral, d’un autre auteur anglais, David Matthews (né en 1943), bâtie à partir d’un projet abandonné de concerto pour violoncelle de Vaughan Williams. Là aussi, pas de surprise, le style de ce dernier se reconnaît aisément, les musiciens nous transportent en une promenade élégiaque, au lyrisme passionné, où le violoncelle mène le jeu et où l’orchestre crée l’atmosphère. Le soliste, habité par l’œuvre, montra un évident plaisir à la jouer. Son jeu, d’une belle sonorité, en exprima la réflexion profonde, toutes les nuances émotives, l’orchestre lui offrant un accompagnement efficace et sans failles. Et c’est un public éminemment conquis qui salua d’une belle ovation ces deux prestations.
Changement de décor en seconde partie : retour vers le plus classique avec la symphonie tragique de Schubert, la n° 4 (1816), que Raphaël Merlin mena, sans baguette toujours, d’une gestuelle nerveuse, enflammée, directive, parfois dansante, mais en parfaite entente et complicité avec ses musiciens, délivrant une œuvre vivante et animée, avec des pupitres à leur meilleur niveau. L’allegro vivace du premier mouvement, qui suit l’introduction « tragique », nous a paru toutefois un brin trop rapide et fougueux. Nous aurions préféré un peu plus de retenue. Les deux suivants furent bien maîtrisés, nuancés, mesurés, mais quel splendide 4ème mouvement ! L’allegro en était choisi rapide, animé, les nuances et dynamiques parfaitement rendues. Dans un orchestre bien articulé, les pupitres se succédaient, se répondaient, s’entremêlaient en parfaite coordination, on ne se lassait pas des « divines longueurs », et l’on en aurait redemandé. Les auditeurs ne pouvaient alors exprimer leur immense satisfaction qu’à travers une bien longue acclamation, le chef n’en finissant pas de féliciter ses musiciens et faisant plusieurs fois s’incliner l’ensemble de l’orchestre face au public. Une soirée, en définitive, inoubliable !
B.D. Photo Raphaëlle Mueller
G.ad.
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