Magnifique Héroïque, mais quelques réserves pour le Concerto de Michaël Lévinas
Vendredi 3 juin 2022, 20h 30, Opéra Grand Avignon
Orchestre National Avignon-Provence. Debora Waldman, direction. Henri Demarquette, violoncelle
Wolfgang Amadeus Mozart, Ouverture de la Clémence de Titus. Michaël Levinas, Concerto pour violoncelle et orchestre, en création mondiale. Ludwig van Beethoven, Symphonie n° 3, Héroïque.
Fin de saison symphonique pour l’Orchestre National Avignon-Provence.
Debora Waldman continue de nous régaler avec ses interprétations symphoniques et sa direction d’un orchestre qu’elle maîtrise parfaitement. Je passerai rapidement et sans reproches sur la courte ouverture de la Clémence de Titus pour en venir directement à l’Héroïque, avant d’aborder le concerto de Michaël Levinas (qu’on avait entendu en piano solo en début de saison).
C’est une Héroïque optimiste, nerveuse, dynamique que la cheffe nous a offerte. A un premier mouvement enjoué et décidé, tel un tourbillon qui vous emporte, a succédé une marche funèbre sans pathos, plus allegretto – comme le 2ème mouvement de la 7ème symphonie – qu’adagio, culminant dans un cri de révolte plus grandiose que poignant, avant retour vers l’apaisement. Le scherzo, allègre, enjoué, souriant, a confirmé cette vision optimiste de l’œuvre, avec des interventions des cors particulièrement appréciées. Le dernier mouvement, dans la même veine que les précédents, nous entraînait enfin vers un final éblouissant.
L’Orchestre National Avignon-Provence, homogène et bien mené, a fait honneur à l’œuvre et démontré qu’il mérite bien son appellation de « national » et l’excellente critique que lui a accordée la revue musicale Diapason (n° 712, Juin 2022) à l’occasion de son enregistrement des œuvres orchestrales de la compositrice Charlotte Sohy (1887-1955) (compte rendu de Classiqueenprovence ici): « orchestre avignonnais précis et raffiné ».
L’évènement de la soirée était cependant la création mondiale du concerto pour violoncelle de Michaël Levinas, résultant d’une co-commande des orchestres nationaux de Cannes et de Bretagne, membres du Consortium Créatif, une association de cinq orchestres nationaux et régionaux (Avignon, Bretagne, Cannes, Mulhouse, Picardie-Hauts-de-France) ayant pour ambition de promouvoir la création musicale contemporaine et de permettre au public de se familiariser avec elle et de se l’approprier. Le concerto de Lévinas était la première commande de ce Consortium.
Avant l’exécution de son œuvre, le compositeur expliqua au public la démarche qui fut la sienne, son approche de l’orchestre symphonique dans sa formation-type beethovenienne, son travail pour en tirer une forme et un monde sonore nouveaux par l’emploi d’une écriture polyphonique et harmonique. Michaël Levinas nous est bien sympathique, mais je ne puis lui éviter une critique quelque peu sévère. Qu’en est-il ?
L’œuvre se présente en quatre mouvements intitulés : Choral en larme II, Tourment, Nocturne, Epilogue. On en retient un violoncelle quasi omniprésent, souvent utilisé dans le registre aigu, jusqu’à l’inaudible, et un orchestre dans un rôle d’accompagnement, plutôt discret, mais de temps à autre animé de brefs élans de révolte. La lenteur domine, mais parfois, comme dans le Nocturne, une trop longue lenteur, allant jusqu’à susciter l’ennui. Le soliste, Henri Demarquette, défend l’œuvre avec conviction. Il n’a pas à déployer une virtuosité spectaculaire, il s’applique surtout à produire et tenir les sonorités voulues, l’orchestre aussi, d’ailleurs. Comme nombre d’œuvres contemporaines, ce concerto apparaît comme un jeu de constructions sonores, sans aucun thème mémorisable, sans aucun épisode marquant, sans aucune émotion transmissible à l’auditeur, bref trop intellectuel. Il ressort plutôt comme un exercice d’écriture, une curiosité qui sera certes jouée une fois par chacun des cinq orchestres du Consortium et peut-être portée quelques temps par son soliste créateur, mais après ? D’autres s’en empareront-ils ? Est-il voué à devenir populaire ? Est-ce là le bon langage pour amener un large public vers la création contemporaine ou, autrement dit, est-ce là le langage qui permettra de détrôner tous les joyaux, s’agissant ici du violoncelle, produits par l’histoire de la musique depuis Bach jusqu’à Chostakovitch, et même Fazil Say, dont nous avons pu découvrir récemment, avec enthousiasme, le concerto pour ce même instrument ? Je ne le pense pas, et pour preuve, si une courte ovation a salué les artistes à la fin du concerto, ce fut plus en raison de leur notoriété que de l’œuvre elle-même ; les applaudissements ont vite baissé en intensité et n’ont pas duré.
Vouloir détrôner le passé, vouloir renouveler et faire évoluer le répertoire, capter et captiver un public ancré dans un autre monde esthétique et émotionnel, n’est pas chose aisée. Il faut trouver la bonne voie, le bon langage. Certains y arrivent, mais le choix fait par Michaël Levinas, comme par beaucoup d’autres, ne me paraît pas le plus opportun.
B.D. Photo Jean-Philippe Raibaud (Demarquette)
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