Vendredi 9 août 2019. Parc du Château de Florans. Nuit du piano Rachmaninov et Tchaïkovsky.
A 20h. Alexander Malofeev, piano. Orchestre National Symphonique du Tatarstan. Alexander Sladkovsky, direction. Tchaïkovsky : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur n°2 opus 44
A 22h. Nuit du piano Rachmaninov et Tchaïkovsky. Nelson Goerner, piano. Orchestre National Symphonique du Tatarstan. Alexander Sladkovsky, direction. Rachmaninov : Concerto pour piano et orchestre n°3 en ré mineur opus 30
Une soirée russe par excellence, tant par le choix du compositeur que des interprètes.
Le compositeur : Sergueï Vassilievitch Rachmaninov, (1873-1943), pianiste et chef d’orchestre, connu principalement pour ses concertos et préludes pour piano.
Les interprètes : l’Orchestre National Symphonique du Tatarstan fondé en 1966 est internationalement reconnu pour ses prestations de grande qualité et la variété de ses programmes. Cet orchestre participe à de nombreux festivals en collaboration avec de grands solistes vocaux et instrumentaux.
Il est également reconnu pour son engagement social et altruiste puiqu’il a, à deux reprises, reçu le Prix Philanthrope de l’année pour des projets à l’intention des enfants handicapés.
Cette formation est placée sous la direction d’Alexander Sladkovsky diplômé des conservatoires de Moscou et de Saint-Pétersbourg qu’il dirige depuis 2010, collaborant avec de prestigieux artistes internationaux tels Denis Matsuev, Mikhaïl Pletnev, Nikolaï Lugansky et bien d’autres…
Pour la soirée «Nuit du Piano» au Parc du Château de Florans consacrée à Rachmaninov, arrive sur scène l’orchestre au grand complet : pas moins de six cors, autant de violoncelles, contrebasses, tous en robes longues noires, ou costumes chemises blanches, du plus bel effet !
Un pianiste : Lukas Geniušas. Ce jeune pianiste né à Moscou (pas encore 30 ans) a obtenu le second prix au Concours International de Piano Frédéric Chopin en 2010 et le second prix au Concours Tchaîkovsky en 2015. Il est le petit-fils de la pianiste et professeure russe Vera Gornostayeva dont il a suivi les cours : bon sang ne saurait mentir!
Il interprète à La Roque d’Anthéron le célèbre Second concerto en do mineur op18 de Rachmaninov.
Ce concerto est le symbole du retour du compositeur à la vie créatrice après trois années de silence. Il est sans aucun doute le plus prisé des virtuoses et le plus populaire. Le premier mouvement débute par une série d’accords allant crescendo. Le soliste exalte dès les premières notes la poésie douloureuse de l’œuvre, dans un début d’interprétation bouleversant qui n’est pas sans rappeler l’interprétation inoubliable de Byron Janis. Mais très vite, l’orchestre sous la direction d’ Alexander Sladkovsky prend le dessus et couvre le son du piano, et c’est dommage car dans le premier mouvement le piano devient presque inaudible ! On peut reprendre, il est vrai, les propos du musicologue Patrick Piggott dans Rachmaninov Orchestral Music : « Ce concerto peut sembler assez paradoxal puisque dans son premier mouvement, c’est à l’orchestre que reviennent la plupart des passages mélodiques, tandis que la partie solo (d’ailleurs privée de cadence) tient majoritairement un rôle d’accompagnement ou est ornementale ».
Il n’empêche que l’orchestre, par le nombre des musiciens, et par la configuration du lieu, aurait pu prendre en compte la sonorité et le rendu du soliste ! Pour les spectateurs, ce fut une véritable frustration.
La direction survoltée d’Alexander Sladkovsky est un atout pour l’esprit de l’oeuvre de Rachmaninov mais devient un handicap dès que le piano dialogue avec l’orchestre. Nous avons pu tout de même apprécier la belle interprétation de ce pianiste inspiré qui a emporté l’adhésion du public et a offert en bis un Prélude en sol mineur de Desyatnikov, compositeur russe contemporain.
L’orchestre a ensuite interprété une très belle page orchestrale de Rachmaninov, l’Île des Morts op29. Il s’agit d’un poème symphonique inspiré du tableau éponyme du peintre suisse Arnold Böcklin dont Rachmaninov s’attache tout particulièrement à recréer l’atmosphère lugubre, d’un symbolisme pessimiste. Le thème principal illustre le clapotis de l’eau et le balancement du bateau mortuaire qui voyage dans la nuit et le brouillard dense. La notoriété musicale de l’oeuvre tient à l’utilisation de la mesure à 5/8 qui illustre le geste du rameur Charon. Ce thème a inspiré de nombreux autres artistes comme en 1895 Jean Sibelius sous le titre Le Cygne de Tuonela ou encore Max Reger en 1913 dans Böcklin Suite op 128, mais aussi Salvador Dali, Wagner, Yourcenar et bien d’autres. L’orchestre conclut ainsi magnifiquement cette première partie de la soirée.
Une pianiste russe prend possession de la scène pour la seconde partie de la nuit du Piano. Varvara née en 1983 à Moscou, après une formation de onze années à l’école spéciale de musique Gnessin a été admise au conservatoire Tchaïkovsky de Moscou puis à l’Ecole supérieure de musique de Hambourg. Elle a obtenu de nombreux prix et bourses comme le 3e prix au concours de Printemps de Prague en 2011 et le premier prix au concours Géza Anda de Zurich. Depuis des années, la pianiste donne des concerts en métropole ainsi qu’à l’étranger et se produit en soliste avec divers orchestres symphoniques et de chambre. Des engagements l’ont emmenée en Russie, en Allemagne, en France, en Italie, en Grèce, en Autriche, en Hongrie, au Japon, en Suisse et au Brésil.
Elle interprète au Festival de La Roque d’Anthéron le 4e concerto en sol mineur op40 de Rachmaninov écrit aux Etats -Unis en 1926 et dédié au compositeur russe Nikolaï Medtner. Ce concerto est le moins apprécié par le public, sa structure même a été critiquée pour être décousue et difficile à assimiler à la première écoute, mais on y retrouve néanmoins toute l’âme de Rachmaninov, sa sensibilité exacerbée. Ce concerto fait partie des dernières œuvres du compositeur, marquées par des chromatismes audacieux et l’influence du jazz.
Un dialogue orchestre/piano ouvre le premier mouvement. La jeune pianiste met à profit l’équilibre de la composition et s’impose magnifiquement. Ce concerto incendiaire d’une virtuosité exaltée nous montre une pianiste très frêle, mais très tonique au clavier. Le dialogue avec l’orchestre s’établit, même si par moment la fougue même du chef d’orchestre lui donne trop d’emphase.
C’est du beau Rachmaninov qu’il nous est donné d’entendre.
Et le programme se poursuit avec la Rhapsodie sur un Thème de Paganini op 43, qui conclut cette Nuit du Piano. Il s’agit de la dernière oeuvre concertante du compositeur (en fait son 5e concerto). Il s’agit de 24 variations sur le thème du 24e Caprice pour violon de Paganini. Cette œuvre est d’une force et d’une densité dramatiques toute en muscle, d’une vitalité, d’un engagement physique foudroyant.
C’est une ovation qui salue la prestation de la pianiste. Elle nous offre en bis deux pièces de Medtner : Forgotten Melodies op39 n°4 Canzon Matinata et Fairy Tales op20 n°1 (D.B. Photos Christophe Grémiot & M.A.)
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